Intervention de Gérard Larcher

Réunion du 16 janvier 2013 à 15h00
Engagement des forces armées au mali — Lecture d'une déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher :

Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je le dis d’emblée, nous nous tenons aujourd’hui aux côtés du chef de l’État et de notre armée engagée au Mali.

À nos forces, qui mènent en première ligne le combat sur un théâtre exigeant et difficile, je veux dire, comme tous mes collègues, ma totale confiance dans leurs capacités. Grâce au courage de nos soldats – et ils en ont déjà payé le prix, hommage leur soit rendu, comme à la mémoire de Damien Boiteux - oui, grâce à leur courage, un coup d’arrêt a déjà été porté à l’avancée des terroristes et des pertes leur ont été infligées.

Nous le savons, nous avons affaire à des terroristes aguerris, jetés corps et âme dans une guerre « asymétrique » où ils mènent un combat total. Mobiles, surentraînés, ils savent utiliser ce désert au climat hostile, enclavé et escarpé, propice à tous les trafics. Dans cette immensité, ils peuvent se diluer et s’abriter. Ils ont fait du désert leur sanctuaire et leur base arrière. Ils y ont leurs camps d’entraînement, ils y établissent leurs connexions avec d’autres réseaux terroristes, la secte Boko Haram au Nigéria, les shebab somaliens, Ansar al-Sharia en Tunisie, AQMI en Algérie... Ils constituent progressivement, en toute impunité, un vaste arc djihadiste de l’Atlantique à la mer Rouge, dans un continuum de trafics et d’exactions qui va du Sahel à la Somalie.

Vous le savez, monsieur le ministre des affaires étrangères, tout cela n’a pas commencé au début de l’affaire libyenne, mais bien avant. En 2010, un certain nombre de chefs d’État et de gouvernement de cette région attiraient l’attention de la France sur l’émergence de groupes terroristes, grâce aux trafics, et à leur montée en puissance. Je les ai entendus souligner en 2010 le risque d’une déstabilisation qui s’étendrait demain au Nigéria, jusqu’au golfe de Guinée, créant, en quelque sorte, le syndrome de la Somalie. Alors, non, ce phénomène n’a pas commencé il y a dix-huit mois, il est beaucoup plus ancien.

Je ne reviendrai pas longuement sur l’importance de l’armement dont disposent ces groupes. Au-delà des armes légères, ils disposent, nous le savons, de missiles antichars MILAN et, si j’en crois une dépêche parue hier, des missiles sol-air SAM-7.

L’argent, il y en a, grâce au trafic d’otages, dont ces groupes se sont fait une spécialité, et à la dîme prélevée au passage des convois des trafiquants de cigarettes, d’essence et, surtout, de cocaïne. Car le réseau de la cocaïne, ce n’est plus Madrid-Barajas, comme il y a vingt ans ! Il s’étend aujourd’hui sur de vastes territoires du Sahel.

Pouvions-nous laisser AQMI devenir maître de la région et y faire prospérer, avec les moudjahidine notamment, ses trafics ? Pouvions-nous laisser les terroristes asservir tout un peuple ? Pouvions-nous laisser se constituer cet immense sanctuaire djihadiste qui, du Mali à la corne de l’Afrique, en passant par le Nigéria, puis par le golfe de Guinée, s’étendrait progressivement ?

Oui, la France a eu raison de vouloir stopper l’avancée des terroristes ! Oui, la France a eu raison d’empêcher l’effondrement du Mali, et, par un effet de souffle, de toute la région ! Oui, la France a raison de vouloir aider la force africaine à restaurer l’intégrité de ce pays ! Oui, la France a raison de vouloir restaurer une légalité constitutionnelle au Mali !

Pour autant, la situation n’est pas tout à fait celle que nous avions imaginée. Sur l’initiative du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et avec Jean-Pierre Chevènement, nous avons constitué un groupe de travail sur la question sahélienne. Nous avons entamé une réflexion. À la fin du mois de novembre, le scénario était un peu différent. Aujourd’hui, face à l’urgence, notre gouvernement et le chef de l’État ont réagi et nous avons changé notre planification.

C’est l’honneur de la décision, c’est l’honneur de notre armée : moins de cinq heures après l’ordre présidentiel, elle était au combat contre les 1 200 terroristes de cette colonne qui fondait sur Bamako.

Je tiens en cet instant à rendre hommage à nos services de renseignement. Durement éprouvés ces jours derniers, ils ont su déceler la menace avec précision et pertinence.

Christian Cambon et François Zocchetto l’ont dit, nous avons des interrogations.

Quelle sera l’ampleur de la phase « terrestre » et quelles seront ses implications pour nos soldats ? Que veut dire « tenir » seuls un territoire hostile d’une telle immensité ? Les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui pour « traiter » le « fuseau ouest » augurent-elles d’une combativité supérieure à celle que nous avions prévue ? Quelle sera la durée de l’intervention ? La guerre sans fin serait le risque majeur. Quel sera le degré de préparation des troupes de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO ? Jean-Pierre Chevènement l’a évoqué, nous savons qu’il faudra des semaines pour qu’elles atteignent le niveau opérationnel. Quel est notre scénario de sortie ?

Comme l’a fait le président de la commission des affaires étrangères, j’aimerais aujourd’hui dire clairement aux rédacteurs du Livre blanc et de la loi de programmation militaire en préparation qu’il nous faut réfléchir avant d’abandonner des capacités, avant de réduire nos forces prépositionnées ! Forces spéciales, renseignement, troupes au sol, moyens blindés, moyens aériens : nous avons besoin de tout le spectre !

N’oublions pas qu’il faut soixante-douze heures à un bâtiment de la marine nationale pour rejoindre, à partir de Toulon, le détroit d’Ormuz, et je ne dis pas cela tout à fait par hasard. On voit bien aujourd’hui l’importance de nos forces au Tchad, au Gabon, au Sénégal, dans la montée en puissance du dispositif « Serval ». Ce pourrait être demain le cas, vers d’autres théâtres, à partir des Émirats arabes unis.

Et si nous avions dû évacuer plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de nos ressortissants au Mali ? Rappelons-nous la Côte d’Ivoire...

Il nous faut méditer ces enseignements et ne pas avoir comme variable d’ajustement simplement des préoccupations financières, que nous avons tous, par ailleurs.

Mais, fondant notre action sur la résolution 2085, nous n’avons pas vocation à agir seuls. Je trouve que, dans sa déclaration, le Premier ministre a été très aimable avec Mme Ashton… Certes, j’en conviens, un certain nombre de nos partenaires se sont engagés, nous apportant soutien politique et moral. Mais nous voyons bien que la grande absente aujourd’hui, c’est l’Europe ! À une semaine de l’anniversaire du traité de l’Élysée, qui sera pour nous l’occasion, en quelque sorte, de refonder sur cette base ce qui fait le socle de l’Europe, nous ne pouvons que constater, avec un peu de tristesse, que l’Europe n’est autre chose en cette matière qu’une « super ONG » ou une entreprise à responsabilité limitée !

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