Intervention de Leila Aïchi

Réunion du 16 janvier 2013 à 15h00
Engagement des forces armées au mali — Lecture d'une déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Leila AïchiLeila Aïchi :

De même, je vous rappelle que nous évacuons nos troupes d’Afghanistan après dix ans de guerre, avec des résultats plus que mitigés...

Pour ma part, je ne souscris en rien au concept de « choc des civilisations », alors même qu’il s’agit essentiellement, et nous le savons tous ici, d’un problème d’accès aux matières premières et à l’énergie. Je ne crois pas non plus au caractère irréconciliable de l’opposition entre un Nord-Mali touareg et un Sud-Mali noir. De la même façon, l’antagonisme historique entre une culture nomade et une culture sédentaire ne doit pas être exagéré.

Le prétexte religieux, souvent utilisé dans le cas d’entreprises criminelles, liées pour l’essentiel, on le sait, au trafic de drogues et au trafic d’armes, ne peut en aucun cas tenir lieu d’argument sérieux.

Le groupe écologiste et moi-même sommes favorables au principe d’une intervention immédiate, urgente, humanitaire et limitée dans le temps, et contre le principe d’une guerre s’installant dans la durée.

Nous ne devons ni minorer les risques encourus par la population malienne, ni sous-estimer ceux qui pèsent sur les États de la région, ni encore ignorer les perspectives internes au Mali pour l’après-conflit.

Quel sera le sort réservé aux réfugiés ? La possibilité d’exactions contre la population touareg est plausible, compte tenu de la faible formation de l’armée malienne et des forces de la CEDEAO. La situation explosive de la Libye, de la Côte d’Ivoire et d’autres pays doit nous imposer de réfléchir et de proposer, dès à présent, des solutions pour l’après-conflit.

En tant qu’écologistes et progressistes, nous rejetons avec véhémence toute approche essentialiste des identités. Nous savons où cela mène ! Souvenons-nous du Rwanda, mes chers collègues ... Nous devons donc nous défier de toute lecture ethnique trop simpliste et nous attaquer aux réels problèmes qui minent le Mali. Et ils sont nombreux !

Gagner un conflit, c’est d’abord gagner la paix. Car le pouvoir malien est en pleine décrépitude... Qui gouverne le pays ? Le pouvoir civil ? La junte militaire ? Qu’en est-il de l’état du système judiciaire malien, de son administration, de ses services publics ? Quel est le niveau de corruption institutionnel ? Quel est le rôle des acteurs régionaux ? Quel est le rôle de l’Algérie ?

Pour répondre à toutes ces questions, la France et l’Europe, dramatiquement absente, doivent d’abord porter leur concours à la mise en place d’institutions légitimes et démocratiques pérennes qui répondent aux aspirations de la société civile.

On a fait l’Europe des banques et de la finance. Où en est l’Europe de la défense ?

La mise en place de plans de coopération pour le développement d’économies réellement durables et solidaires doit constituer une priorité. À cet égard, je tiens à saluer le travail de M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement. Il s’agit de favoriser non pas l’installation de multinationales voraces pillant le pays, mais bel et bien le développement solidaire et durable des PME et TPE françaises et maliennes, dans le cadre d’un partenariat équitable.

Il ne faut pas oublier non plus que cette crise est une conséquence historique du colonialisme dans la région et du tracé arbitraire des frontières. La prise en compte de cette dimension est essentielle pour envisager tout processus de sortie de crise.

Enfin, il faut aussi prendre la mesure de la problématique environnementale dans la sous-région sahélienne.

Comme le rappelle l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, la sécheresse entraînée par le dérèglement climatique a réduit, en 2012, la production céréalière du Sahel de 26 % par rapport à l’année précédente. De graves pénuries de fourrage conduisent à la transhumance précoce et à des changements dans les voies empruntées par le bétail, ce qui aggrave les tensions entre communautés ainsi qu’aux frontières. L’insécurité alimentaire et la malnutrition, récurrentes dans la région, menacent directement cette année plus de 16 millions de personnes.

Je ne le répéterai jamais assez, mes chers collègues : au XXIe siècle, la paix et l’environnement sont plus que jamais liés. Combien faudra-t-il de drames humains pour que la France et l’Europe comprennent cette triste réalité ?

Que dire de la crise du Darfour, un conflit qui trouve son origine dans un problème d’accès à l’eau ? Que dire du delta du Niger, ou encore de la Somalie, où la surpêche, phénomène principalement dû aux bateaux-usines des multinationales, crée des pirates en puissance ?

Monsieur le ministre, les conflits du XXIe siècle ne sont plus ceux du siècle précédent.

Le monde a évolué, mais pas notre vision des conflits militaires. Les conflits liés aux guerres territoriales cèdent la place à d’autres, qui sont de nature environnementale et énergétique. J’ai interpellé plusieurs fois le Gouvernement sur ce nécessaire changement de paradigme, sans obtenir de réponse.

L’opération Serval est une nouvelle démonstration de ces cinquante années d’échec de la coopération avec l’Afrique, cinquante ans de pillage des ressources naturelles, cinquante ans de développement gangrené par la corruption, cinquante ans d’incapacité totale à construire des relations durables, respectueuses et équilibrées, bref cinquante ans sans vision !

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