Cela dit, il nous faut bien évidemment agir avec plus de force pour le développement : c’est le sens des actions de la France.
Le sous-développement ou le « mal développement » expliquent en grande partie nombre de phénomènes malheureux, voire dramatiques, que l’on constate de par le monde. Mais, et personne dans cette assemblée, fort heureusement, n’a ce sentiment, ce n’est pas parce que le mal développement explique ces comportements qu’il les justifie.
Nous savons tous à quel point le développement et la sécurité sont liés, pour reprendre l’expression utilisée par plusieurs d’entre vous. Mais ne tombons pas dans l’excès qui consisterait à considérer que, dès lors que les populations sont pauvres, tout est justifié. Rien ne justifie le terrorisme ! Je tenais à apporter cette précision, non qu’il y ait eu des dérives, mais afin de m’assurer que nous sommes bien d’accord sur la façon d’aborder les choses.
Mme Demessine a parlé sans ambages. Fallait-il laisser les groupes terroristes conquérir Bamako ? La réponse est clairement : « non » ! Elle a ensuite approuvé, au nom de son groupe, l’intervention de la France, faite en application de l’article 51 de la charte des Nations unies, ajoutant, à juste raison, qu’il fallait isoler les groupes terroristes. Je la remercie de ce soutien même si, comme elle, je me pose quelques questions.
En ce qui concerne les financements, veillons à ne pas prononcer d’accusations à la légère. Je n’entrerai pas dans le détail, mais sachez que nos services ont, à notre demande – et cela ne date pas des derniers jours – conduit des actions afin de déterminer l’origine de ces financements. Certaines accusations ont été portées dont nous n’avons absolument aucune confirmation. C’est un paramètre auquel il faut être attentif.
Pour autant, certains faits sont prouvés, malheureusement ! Drogues, armes, otages, tous ces trafics rapportent des dizaines de millions d’euros. Dans nombre des groupes dont nous parlons, on confond banditisme, terrorisme et affirmation religieuse. Et il faudra que la France soit beaucoup plus active, avec d’autres, sur la scène internationale - c’est l’une des orientations que devront suivre notre diplomatie et l’action gouvernementale – pour lutter notamment contre le développement du trafic de drogues, contre les narco-États terroristes, car le phénomène a pris une telle ampleur, représente de telles sommes, que, si l’on ne donne pas un coup d’arrêt, nous serons désemparés.
Pour ce qui concerne l’Afrique, une grande partie de la drogue provient d’Amérique, notamment d’Amérique du Sud, et aboutit en Guinée Bissau, qui malheureusement devient un narco-État. Une partie des produits circule vers l’est du continent, jusqu’à l’océan Indien, une autre vers le Sahel et remonte vers l’Europe avant, parfois, de repartir vers les États-Unis. Ces pratiques dégagent des sommes telles que si l’Europe, les pays du G8, du G20, et l’ensemble de la communauté internationale ne font pas de la lutte contre le trafic de drogues l’un de leurs objectifs majeurs, beaucoup de ces États, déjà faibles, seront sans moyens d’action.
Mme Demessine s’est également interrogée sur la réalité de la MISMA. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la défense et moi-même travaillons activement sur ce dossier. Nous avons déjà un certain nombre d’engagements. Nous en aurons d’autres dans les jours qui viennent : il s’agit de faire en sorte que la MISMA soit présente sur le terrain le plus vite possible.
M. Zocchetto, après avoir rendu lui aussi hommage à nos soldats, a souligné le nombre de Maliens vivant en France. Il a, je reprends ses termes, saluer la réponse du Président de la République à l’appel lancé par le Mali. Il a également posé des questions, au reste légitimes, sur la durée de notre intervention, sur le risque d’enlisement.
Il m’a interrogé sur l’absence de concertation. Sachez, monsieur Zocchetto, que la concertation est engagée depuis longtemps. Personne, me semble-t-il, ne conteste que c’est en particulier sur l’initiative de la France que l’affaire a été portée dès les mois de septembre et octobre derniers devant le Conseil de sécurité. À l’époque, les autorités maliennes nous avaient d’ailleurs rendu hommage.
Au sujet de l’intervention proprement dite, des concertations rapides ont eu lieu avec le président des États-Unis et avec nos alliés les plus proches vendredi et samedi derniers. Pour ce qui concerne l’action militaire, nous avons été les seuls sollicités. Si l’on nous avait proposé de venir avec nous… mais on ne l’a pas fait. C’est donc dans le cadre de la MISMA que l’action pourra être conduite d’une manière plus globale. Je reviendrai dans un instant sur la question des otages.
Enfin, M. Zocchetto a insisté, à juste titre, sur les perspectives de solutions politiques.
M. Jean-Pierre Chevènement, qui connaît très bien cette région et qui a une expérience diversifiée compte tenu de ses fonctions ministérielles passées, a apporté des précisions utiles pour aborder la situation dans toute son ampleur.
Il a indiqué, au nom de son groupe, que le coup d’arrêt était nécessaire. Je pense, et je ne suis pas le seul, que, si aucune guerre n’est souhaitable, certaines guerres sont inévitables.
M. Chevènement a souligné qu’il s’agissait non pas d’ingérence, mais d’assistance – j’ai retenu la formule - et il a insisté sur le rôle indispensable de nos partenaires africains. Il a indiqué, avec une pointe d’esprit facétieux dans un débat par ailleurs très dur, que, s’agissant de nos partenaires européens, il avait quelques doutes, mais que l’histoire et ses prises de position l’avaient préparé à cela.
Il a également souligné qu’il fallait frapper vite et fort, éviter les dommages collatéraux, avoir conscience, sans les exagérer, et ce y compris dans l’appui militaire, des problèmes ethniques qui peuvent se poser. Il faut bien évidemment tenir compte des diversités ethniques : les populations arabes ne sont pas les populations noires. Il a par ailleurs rappelé la nécessité de lancer un plan de développement du Sahel.
Il a enfin, avec une grande pertinence, évoqué la situation de l’Algérie, pays qu’il connaît bien, et dont le concours est nécessaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce pays, dans lequel 150 000 personnes ont péri du fait d’actions terroristes, est, au moment où je vous parle, victime d’une nouvelle attaque. Je dispose de renseignements divers en provenance de notre ambassade et de nos services mais, vous le comprendrez, je ne peux, à cette tribune, vous livrer des informations qui ne sont pas encore confirmées.
Je peux simplement vous dire qu’il y a eu une attaque, selon toute vraisemblance, de groupes terroristes ; on parle notamment d’AQMI. Des personnes de plusieurs nationalités sont retenues, mais on ignore encore s’il y a des Français parmi elles. De toute façon, il s’agit à nouveau de personnes qui sont prises en otage, cette fois en Algérie, et par des groupes terroristes. Voilà qui montre bien que nous ne sommes pas confrontés simplement à des actions isolées.
Nous ne pouvons que souhaiter que les événements d’Algérie trouvent une issue la moins tragique possible. Les Algériens doivent bien prendre la mesure du risque encouru.
M. Labbé puis Mme Aïchi sont intervenus au nom du groupe écologiste. J’ai retenu le soutien de M. Labbé, et son hommage, auquel je souscris, à M. Canfin.
Mme Aïchi, après un début d’intervention auquel je peux souscrire, a formulé des interrogations quelque peu surprenantes. Je pense que personne dans cette enceinte, en tout cas pas le Gouvernement, ne recommande un « choc des civilisations ». Cette doctrine, qui a certes été évoquée, n’a pas de sens. Il convient d’éviter les amalgames, et c’est ce que nous faisons. Il faut, sans répit, combattre les groupes terroristes, mais sans assimiler l’ensemble des populations du Nord aux terroristes. Soyons très vigilants sur ce point, et c’est sans doute ce que voulait dire Mme Aïchi.
En revanche, sur la légalité de notre intervention, je ne suis pas tout à fait d’accord avec Mme Aïchi, et, si je m’en tiens à cette litote, c’est parce que j’apprends petit à petit à être diplomate…