Merci pour votre invitation. Je crois important qu'une institution comme le Sénat s'intéresse à la politique vaccinale. Je vais vous présenter la recherche française dans le domaine de la vaccinologie, et serai heureuse de pouvoir discuter avec vous, dans un second temps, de ses aspects sociétaux.
Une alliance des instituts de recherche en santé et sciences de la vie (Aviesan) a été créée il y a quelques années afin de développer la coordination sur des axes de recherches transversaux. L'un de ces axes, pathologie infectieuse et microbiologie, est confié à l'institut de microbiologie et de maladies infectieuses. Son directeur, le professeur Jean-François Delfraissy, ainsi que M. Syrota, qui dirige Aviesan, m'ont chargée de coordonner la recherche française sur les vaccins. Nous avons baptisé cette coordination Corevac : Consortium de recherche sur les vaccins.
Quels sont les défis de la recherche vaccinale au niveau mondial ? D'abord, nous devons affronter la croissance de populations nouvelles : le nombre de nouveau-nés, cible classique, augmente, ainsi que le nombre d'adolescents et celui de personnes âgées, deux groupes qui sont, de plus en plus, de nouvelles cibles. Puis le monde change, vous ne l'ignorez pas : les pays émergents et en développement ont un accès de plus en plus large aux vaccins, ce qui est très bien, mais aussi à la recherche, à l'innovation et à la production de vaccins, si bien qu'ils entrent en compétition directe avec les producteurs occidentaux. De nouvelles catégories de population vont devoir être vaccinées : personnes âgées, femmes enceintes, et aussi les immunodéprimés, dont le nombre augmente considérablement - les porteurs du VIH ont une espérance de vie de plus en plus longue. Il y a aussi l'usage des immunosuppresseurs pour les transplantations. De nouvelles maladies, enfin, menacent, dont certaines ne sont pas encore couvertes par des vaccins mais pourraient l'être demain : maladies infectieuses émergentes, cancers, mais aussi maladies qui ne sont ni infectieuses, ni tumorales, comme la maladie d'Alzheimer.
Où en est la recherche vaccinale dans le monde ? On est passé des vaccins vivants de Jenner à la fin du dix-huitième siècle aux vaccins atténués, puis inactivés de Pasteur, qui encore aujourd'hui protègent contre de très nombreuses maladies : variole, BCG, rougeole, oreillons, rubéole, fièvre jaune, polio, varicelle, grippe, rage, coqueluche, hépatite A... Puis sont apparus, au vingtième siècle, les vaccins subunitaires, qui reposent sur des fractions d'agents pathogènes et prémunissent contre le tétanos, la diphtérie - ils ont été inventés à l'institut Pasteur. Les adjuvants sont à l'origine d'un essor considérable de la vaccinologie, au point que la diphtérie a disparu des pays occidentaux, le tétanos ne s'y rencontre plus que rarement. A la fin du XXe siècle, de nouveaux vaccins dits conjugués ont été inventés, pour lutter par exemple contre des infections responsables de méningites très sévères. Les stratégies actuelles visent à induire une modification génétique des agents pathogènes : c'est la vaccinologie inverse, qui permet de développer de nouveaux vaccins contre la grippe, les rotavirus, les virus HPV.
Restent les « trois grands », VIH, tuberculose et paludisme. L'enjeu est de développer la vaccinologie structurale, notamment contre la bronchiolite, et d'augmenter l'immunité, l'acceptabilité et la sécurité vaccinales dans nos sociétés - c'est, de l'aveu même des scientifiques, un élément majeur.
Pour répondre à ces défis, il faut commencer par améliorer les vaccins existants pour les rendre plus efficaces sur les populations peu sensibles à des vaccins classiques, ou trop fragiles pour les supporter. Cela implique des recherches précliniques, sur les marques immunologiques de l'efficacité vaccinale, des recherches cliniques sur le développement de nouveaux vaccins et la sécurité vaccinale, et des recherches épidémiologiques sur l'efficacité de ces vaccins et sur les aspects sociétaux et économiques.
En France, la recherche vaccinale a longtemps été négligée car on considérait qu'elle relevait strictement du domaine de la politique industrielle : ce fut, en quelque sorte, la rançon de son succès ! C'est ainsi que depuis le vaccin contre l'hépatite B la France n'est à l'origine d'aucune découverte, aucun vaccin n'y a même été développé ou évalué. La recherche est très fragmentée : les équipes travaillent sur des pathogènes spécifiques, les uns sur la tuberculose, les autres sur la coqueluche... Mais il n'y a pas de liens entre elles. Certes, nous disposons de centres de recherches importants, tels que l'institut Pasteur, ou le BioPôle à Lyon, et de quelques universités, mais tout cela manque de visibilité sur le plan international - même si, au niveau européen, les Français sont présents dans les deux tiers des programmes et coordonnent un peu plus d'un quart d'entre eux.
Nous avons organisé en décembre 2011 un colloque pour dresser un tableau critique de la recherche vaccinale en France. Les acteurs de premier plan que nous avons alors réunis, MM. Plotkin (l'un des pères de la vaccinologie mondiale), Moatti, Lambert ou Duclos, sont tombés d'accord pour dire que la recherche française en matière de vaccin souffrait d'une trop grande fragmentation, d'un manque de visibilité, d'un financement peu satisfaisant. Des tables rondes ont été consacrées à des problématiques touchant les sciences humaines et sociales : perception de la balance bénéfices-risques, facteurs prédictifs de l'efficacité ou de la toxicité des vaccins, adjuvants, innovation... Des historiens de la science nous ont parlé de la perception française des vaccins, et le prix Nobel Françoise Barré-Sinoussi de la recherche vaccinale sur le VIH. C'est de ce colloque qu'est né le Corevac, dont les missions sont d'interconnecter les acteurs multidisciplinaires de la recherche, instituts de recherche, participants aux programmes de santé publique, agences réglementaires, afin d'aider au développement de grands programmes de recherche vaccinale, incluant les questions sociétales, et de faciliter l'innovation vaccinale. La gouvernance de ce Corevac comprend un comité de pilotage, dont la composition reflète les différents aspects de cette recherche : clinique, avec le professeur Launay, santé publique, avec le professeur Perronne qui dirige la section des maladies transmissibles au Haut Conseil de santé publique, recherche fondamentale, avec les docteurs Combadière, Locht, Eliaszewicz et les sciences humaines et sociales, avec le docteur Verger. Le conseil scientifique fera appel en tant que de besoin aux responsables des grands instituts de recherche, à ceux des académies des sciences comme à celles de médecine et de pharmacie, ainsi qu'à des représentants des agences réglementaires, du Haut Conseil de santé publique, et à des experts internationaux. Corevac a commencé à se constituer au cours de l'année 2012, rassemblant des instituts de recherche fondamentale, l'institut de recherche et de technologie Bioaster qui relie Lyon BioPôle et l'Institut Pasteur, le réseau de recherche clinique Reivac ainsi que les organes de santé publique. Le nombre des participants, entre cent et deux cents, témoigne d'un grand enthousiasme pour cette initiative. La coordination existante de la recherche clinique sur les vaccins, menée par le professeur Launay à Cochin, regroupe un certain nombre de centres de recherche en France. Une plateforme de recherche fondamentale montée au CEA dans le cadre du grand emprunt développe des modèles animaux nécessaires au développement des vaccins.
Le Corevac se fixe comme tâche de réunir des chercheurs sur les grandes questions, parmi lesquelles l'amélioration de l'immunogénicité et de l'acceptabilité vaccinale. Des réunions ont eu lieu en 2012 sur les adjuvants, une autre aura lieu bientôt sur les stratégies alternatives d'immunisation, par voie muqueuse, cutanée... Corevac veut également aider à la création de plateformes de vectorologie, d'immunologie, pour aider la recherche fondamentale ; et nous entendons aider à connecter les chercheurs français aux programmes internationaux, ils le sont déjà aux programmes européens, et en particulier à l'European vaccine initiative dirigée par Mme Leroy.
On a des exemples de grandes cohortes, celle de 20 000 enfants par exemple, constituée grâce aux crédits du grand emprunt, ou celles de la Cnam : Corevac souhaite les utiliser pour étudier des questions sociétales, comme la perception des vaccins. La recherche en sciences humaines et sociales constitue un maillon essentiel de la recherche vaccinale, or elle a trop souvent été négligée en France.