Intervention de Catherine Troendle

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 janvier 2013 : 1ère réunion
Equilibre hommes-femmes parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées en bourse — Communication

Photo de Catherine TroendleCatherine Troendle, rapporteure :

Le mois dernier, notre commission s'est saisie de la proposition de directive relative à un meilleur équilibre hommes-femmes parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées en bourse, transmise au Sénat le 27 novembre 2012. Son objectif est d'obliger les sociétés cotées les plus importantes à féminiser leurs conseils d'administration à hauteur d'au moins 40 % à l'horizon 2020, sous peine de sanctions.

Cette proposition de directive se situe dans la continuité de nos travaux sur la loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance - dite « loi Copé-Zimmermann », dont le rapporteur était Marie-Hélène Des Esgaulx. La loi française a d'ailleurs été la principale source d'inspiration de la Commission européenne, fondée sur le principe que les quotas sont un mal nécessaire face à la lenteur des évolutions spontanées et aux limites de l'autorégulation dans ce domaine.

Ce texte européen est le fruit de la ténacité de la commissaire européen Viviane Reding. Elle avait lancé en 2011 une initiative pour inciter les grandes entreprises à féminiser leurs conseils d'administration, sur la base du volontariat. Celle-ci ayant été un échec, elle a porté au sein de la Commission européenne un projet d'initiative législative qui a eu du mal à aboutir. La présente proposition de directive de novembre 2012 constitue, en effet, une version assouplie d'un premier projet présenté en septembre 2012, plus contraignant, mais qui avait été accueilli avec hostilité par de nombreux commissaires européens comme de plusieurs États membres, tels que le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. Ce texte est donc un compromis, ce qui apparaît d'ailleurs dans les imprécisions ou les incohérences de sa rédaction.

L'avenir de cette proposition de directive est à ce jour incertain. Tous les États membres n'ont pas encore fait connaître leur position officielle, en particulier l'Allemagne où le patronat y est très hostile. Plusieurs parlements nationaux ont fait part de leur opposition par l'adoption d'avis motivés. Dans ces conditions, on ne peut guère envisager que le texte puisse être renforcé, même si le Parlement européen semble y être très favorable. Le Secrétariat général des affaires européennes m'a indiqué que la position de la France était un soutien au texte, considérant qu'on ne peut pas espérer bien davantage.

En France, la loi du 27 janvier 2011 prévoit, sous peine de sanctions, une proportion minimale d'au moins 40 % de représentants de chaque sexe dans les conseils d'administration et de surveillance des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions, lorsqu'elles sont cotées ou qu'elles comptent plus de 500 salariés et plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ou de total de bilan. Les membres des conseils représentant des personnes morales ainsi que ceux qui représentent les salariés, avec des dispositions spécifiques, sont pris en compte par la loi. Cette obligation s'impose à compter de 2017 pour les sociétés cotées et 2020 pour les autres. Une obligation intermédiaire à 20 % est prévue pour les sociétés cotées en 2014. Des dispositions similaires concernent les entreprises publiques. Les sanctions prévues en cas de composition irrégulière du conseil sont proportionnées : nullité des nominations et suspension des jetons de présence. Seuls les conseils, organes collégiaux, sont concernés et non les fonctions exécutives, exercées dans 80 % des cas par une seule personne, le directeur général ou le président-directeur général.

Cette loi produit déjà des effets positifs : de 2010 à fin 2012, la proportion de femmes dans les conseils des sociétés du CAC 40 est passée de 16,3 % à 25,2 % et de 12,5 % à 21,9 % dans les conseils des sociétés du SBF 120. La méthode des quotas prouve ainsi son efficacité.

Que prévoit la proposition de directive et quelles difficultés pose-t-elle ?

Premièrement, elle fixe un objectif d'au moins 40 % de représentants de chaque sexe parmi les administrateurs non exécutifs à l'horizon 2020, sous peine de sanctions à déterminer par les législations nationales, dans les sociétés cotées à l'exclusion des PME. La loi de 2011 satisfait déjà pour l'essentiel ces obligations, avec un périmètre bien plus large et un calendrier plus rapide. Comme la directive prévoit un principe d'harmonisation minimale, nous n'avons pas à diminuer le niveau d'ambition et d'exigence de notre législation. Je vous propose donc d'approuver cet objectif fixant une obligation quantifiée et contraignante à l'échelle européenne, sous peine de sanctions.

Deuxièmement, deux définitions posées par la directive posent problème. Les textes européens procèdent à partir de définitions du champ des termes employés. Il conviendrait dès lors d'utiliser la notion de siège social et non de siège statutaire, inconnue en droit français, et la notion d'actions et non de valeurs mobilières.

Troisièmement, il convient de prévoir des dispositions spécifiques concernant les administrateurs représentant les salariés, car leurs règles de désignation sont différentes des autres. En France, lorsqu'ils existent, ils sont élus.

Ensuite, et c'est un point difficile, la proposition de directive comporte des mesures très intrusives dans le processus de recrutement des administrateurs de sociétés. Si elles s'inscrivent dans une logique de lutte contre les discriminations, elles sont inadaptées à la réalité de ce processus. Elles se révèlent, en outre, sans doute contraires à notre principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre et posent un problème au regard du principe de subsidiarité. Il n'existe, dans notre droit, rien de comparable. Je vous propose donc de désapprouver ces dispositions, même si la France pourrait en être exonérée, car elle dispose déjà d'une législation correspondant à l'objectif de 40 % de la directive.

Cinquièmement, la proposition de directive comporte deux facultés d'exonération de l'obligation de 40 % : lorsque dans l'entreprise les salariés du sexe sous-représenté sont moins de 10 % et lorsque les administrateurs du sexe sous-représenté, en prenant aussi en compte les administrateurs exécutifs, sont au moins un tiers. Ces deux exonérations, sans effet réel très significatif, affaiblissent la portée de la proposition de directive. Je vous propose de les désapprouver.

Sixièmement, la proposition de directive envisage pour les administrateurs exécutifs - c'est-à-dire les présidents-directeurs généraux, les directeurs généraux et les membres de directoire - un dispositif à la portée juridique incertaine et discutable et à la portée pratique très faible voire inopérante. Il s'agit d'engagements individuels qui doivent être contractés par les sociétés, sans que rien ne soit dit de leur contenu, sans qu'une procédure claire soit prévue et sans que l'on comprenne clairement si des sanctions seraient applicables en cas de non respect de ces engagements. Ces dispositions n'ont pas beaucoup de sens et ont été critiquées par toutes les personnes que j'ai rencontrées en audition. La loi française ne comporte pas de dispositif comparable. Je vous propose donc d'en demander le retrait.

Enfin, si la proposition de directive impose qu'un régime de sanctions soit obligatoirement mis en place, elle comporte également une disposition selon laquelle les sociétés qui ne respecteraient pas les objectifs contraignants de mixité dans leurs conseils pourraient apparemment se soustraire aux sanctions prévues, à condition de présenter des motifs pour justifier qu'elles n'ont pas pu atteindre ces objectifs. C'est le principe du comply or explain, principe de base de l'autorégulation par les entreprises elles-mêmes, souvent utilisé pour éviter des interventions législatives contraignantes assorties de sanctions. Or, en matière de présence des femmes, l'autorégulation ne marche pas. Cette disposition paraît contradictoire avec l'existence de sanctions et montre bien qu'il s'agit d'un texte de compromis. Je vous propose de demander la clarification de cette disposition, de façon à garantir l'application de sanctions lorsque les obligations de mixité ne sont pas respectées.

Ainsi, la proposition de résolution européenne, que je vous soumets, cherche à tenir l'équilibre, dans un souci de cohérence avec le texte et les objectifs de la proposition de directive, entre le pragmatisme à l'égard de la libre organisation des sociétés, dans le respect du droit français des sociétés, et la volonté de fixer des objectifs clairs et contraignants de parité, tout en étant réalistes pour tenir compte des réticences d'un certain nombre d'États membres de l'Union européenne.

Je vous propose d'adopter cette proposition de résolution. Des amendements pourront être proposés d'ici à notre réunion de commission du 30 janvier, au cours de laquelle nous les examinerons et adopterons définitivement la proposition.

En outre, des réflexions sont en cours, dans le cadre d'un futur projet de loi sur le gouvernement d'entreprise. Un accord a été conclu, la semaine dernière, avec les partenaires sociaux sur certains aspects. Le texte devrait être prêt à la fin du premier trimestre et soumis à notre examen au deuxième trimestre.

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