Nous en arrivons à l'une des dispositions centrales du présent texte : le financement de la gestion, c'est-à-dire le traitement et le stockage, des déchets radioactifs.
Il est évident que l'avenir et la sûreté de la gestion des déchets toxiques dépendent du montant et de la pérennité des moyens qui y seront dédiés.
Le principe général qui prévaut dans ce texte en matière de financement de la gestion des déchets est celui du pollueur-payeur. C'est donc la responsabilité du producteur qui l'emporte.
Le droit de l'environnement, qui s'applique à tous les déchets toxiques, prévoit d'ailleurs que le producteur, c'est-à-dire l'entreprise, est responsable de la gestion des déchets qu'il produit. Il est en particulier tenu de financer leur traitement et leur stockage. Une fois les déchets traités et stockés, le producteur a des responsabilités, mais le stockeur, c'est-à-dire l'ANDRA, pour le compte de l'État, en a également. Ces mêmes principes doivent s'appliquer pour les déchets radioactifs.
Actuellement, le financement du traitement des déchets repose sur des fonds alimentés par les entreprises pour le démantèlement de certaines installations. L'article 14 du projet de loi prévoit que chaque opérateur doit disposer d'un fonds de réserve pour le démantèlement et la gestion des déchets, avec un système d'accumulation d'actifs par les entreprises.
La question qui se pose - elle est complexe - est la suivante : qui gère ces actifs ?
S'il est vrai qu'un transfert à l'État de la gestion de ces fonds et de la propriété des déchets permet de garantir leur pérennité, il faut bien admettre que les gouvernements successifs sont tentés de puiser dans ces cagnottes, que l'on pourrait qualifier de provisionnelles et de providentielles, et que cette garantie n'est pas parfaite.
Par ailleurs, c'est admettre, à terme, que la question des déchets et de la pollution des sites est du ressort de l'État, ce qui est contraire à la notion de responsabilité du producteur.
Les entreprises, quant à elles, souhaitent pouvoir gérer ces fonds afin de les faire fructifier en toute liberté, mais aussi parce que, en matière financière, un actif doit correspondre à un passif.
Mais que dire de la pérennité de l'entreprise dans l'environnement concurrentiel que vous avez instauré par la loi d'août 2004 ? Quelles garanties peut-on avoir concernant la responsabilité des exploitants dans la durée ? Le système concurrentiel tend en effet à fragiliser les entreprises présentes sur le marché. Il est donc source d'incertitudes.
Avant, nous disions : « C'est EDF ! ». EDF contrôlait en effet toute la filière et tous les établissements. La pérennité d'EDF sous le contrôle de l'État garantissait la sûreté nucléaire.
Aujourd'hui, alors que la logique de la rentabilité à court terme a souvent gagné le monde de l'entreprise, comme dans le monde de la finance, et alors que la filière nucléaire requiert des investissements à long terme, comment une entreprise dont le sort est incertain - disparition, acquisition, fusion, capitaux fluctuants - peut-elle garantir que ces fonds ne disparaîtront pas dans des opérations boursières ?
Les pratiques en vigueur chez EDF ces dernières années n'incitent pas à l'optimisme ! L'entreprise avait en effet tendance à considérer que les investissements d'aujourd'hui génèreraient suffisamment de cash pour financer les dépenses de demain. Ce raisonnement est-il correct ? L'État avait ainsi contraint EDF à accélérer la constitution de fonds d'actifs dédiés au financement de ses charges de démantèlement et de gestion des déchets à vie longue.
La Cour des comptes, dans son rapport, avait également souligné le manque de provisions de charges pour le démantèlement.
La gestion des déchets nucléaires nécessite des moyens sûrs, à long terme, qui sont difficilement compatibles avec les logiques du marché.
Vous le voyez, la solution parfaite n'existe pas. Celle qui nous semble la plus juste, ou la moins mauvaise, consiste en des fonds gérés par les entreprises, mais sous un contrôle accru de l'État et des représentants du personnel. Nous souhaitons donc que les conseils de surveillance de toutes les entreprises concernées soient élargis à des représentants du personnel et à des représentants de la société civile afin de garantir la bonne gestion de ces actifs dédiés.
Une autre question se pose, à laquelle un amendement déposé par le rapporteur du présent projet de loi à l'Assemblée nationale a répondu en partie : comment assurer l'évaluation des charges nécessaires au traitement des déchets produits par les exploitants ? En effet, la version initiale de l'article prévoit que les exploitants sont tenus de présenter, pour les provisions nécessaires aux charges liées à la gestion des déchets, un degré de sécurité suffisant.
Mais qui assurera un contrôle de la sécurité de ces fonds ?
Nous sommes, bien sûr, favorables à la création d'une commission d'évaluation du montant des provisions nécessaires, mais quelles contraintes cette commission pourra-t-elle exercer sur les entreprises ?
Enfin, au sujet des évaluations, nous aurions souhaité que la composition de cette commission inclue des représentants des organisations syndicales, qui devraient avoir leur mot à dire dans le montant et la gestion des fonds consacrés aux déchets. Elles ont des spécialistes qui seraient à même de participer à l'évaluation.
Espérons au moins que la publication des décrets fera l'objet de concertations suffisantes, qui permettront d'inclure des expertises contradictoires pour l'évaluation des charges et le calcul des provisions.
De fait, même si nous comprenons les problèmes liés au transfert de responsabilité, le système de financement par provisions internes nous laisse insatisfaits. Il nous semble que l'article 14 évacue certains risques et ne permet pas un financement pérenne et sécurisé des charges liées à la gestion des déchets.