Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 23 janvier 2013 à 14h30
Débat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

permettez-moi tout d'abord de saluer à mon tour le travail accompli par la mission commune d'information, sa présidente et sa rapporteur. Je dois souligner que nous devons à Mme Bonnefoy la création même de cette mission commune d’information.

L'unanimité que son rapport a suscitée confirme combien la situation est préoccupante. Les dangers liés à l'utilisation des pesticides – c'est le premier constat de la mission – ont été longtemps sous-évalués. J'ajouterai qu’ils l’ont d'abord été par inconscience et par ignorance, puis en toute conscience, pour protéger des intérêts économiques fort éloignés de ceux des agriculteurs et des consommateurs.

À cet instant, je voudrais rappeler que, à l'heure actuelle, les coûts induits par l'utilisation des pesticides sont très largement externalisés et assumés par la collectivité, en totale contradiction avec le principe pollueur-payeur, pourtant consacré depuis longtemps par notre législation.

L'incidence économique de l’utilisation des pesticides est en effet aujourd'hui principalement assumée par les contribuables et les ménages. Le rapport Sainteny a relevé que la concentration en pesticides dans l'ensemble des ressources en eau ne cesse de progresser et que, en 2009, toutes les eaux de surface d'Île-de-France devaient être traitées avant distribution pour respecter les normes de santé publique.

La question ne se limite pas, cependant, à sa dimension financière, encore que les sommes consacrées à la réparation des torts que nous causons à notre écosystème soient considérables. Le problème principal que pose l’utilisation toujours plus importante de pesticides, dans notre pays, par les agriculteurs, la SNCF, les sociétés d'autoroutes, les collectivités locales et les particuliers, est que ces produits, que l’on en fasse une bonne ou une mauvaise utilisation, affectent sévèrement la santé publique et la biodiversité à court, moyen et long terme, dans une mesure là encore longtemps sous-estimée.

J’ai bien entendu les propos tenus tout à l’heure par M. le ministre, qui insistait sur la nécessité de faire évoluer notre modèle agricole pour assurer la réussite du plan Écophyto, tant ce modèle est dépendant de l’utilisation des pesticides. Je constate les efforts consentis en ce sens par le Gouvernement, notamment par le ministère de l’agriculture. Cela étant, l’utilisation des pesticides par des non-agriculteurs est aujourd'hui également très importante et pourrait être réduite plus facilement que celle des agriculteurs.

Le Gouvernement, à la suite de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre derniers, a établi une feuille de route pour la transition écologique et annoncé un certain nombre de mesures qui, pour partie, ont anticipé sur celles qui sont préconisées par la mission commune d’information. Il prévoit notamment d’augmenter la redevance pour pollution diffuse et de mettre en place un groupe de travail sur les perturbateurs endocriniens, en vue d’établir une stratégie nationale en 2013.

L'augmentation de la redevance pour pollution diffuse est indispensable. C'est aussi une recommandation de la mission, et c’était l'objet d'un amendement que j’ai cosigné avec quelques collègues mais qui n'a malheureusement pu être débattu lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2013.

Cette augmentation, pour être véritablement efficace, doit être substantielle. Elle n’est cependant pas suffisante. Il est également indispensable d’interdire purement et simplement certains usages et certains produits. La mission commune d'information propose ainsi d’interdire la vente de produits phytosanitaires aux particuliers, à l’exception de ceux qui sont autorisés en agriculture biologique. C’est une mesure de bon sens. Alors que les professionnels ne respectent pas toujours les règles élémentaires de précaution, faute de formation ou d’information, il est assez peu probable que les particuliers fassent mieux, sachant qu’ils n’ont pas toujours conscience de la nocivité des produits qu’ils achètent.

Mes chers collègues, nos collectivités territoriales portent eux aussi une grande responsabilité. Joël Labbé l'a souligné, un certain nombre de villes sont d’ores et déjà engagées dans une démarche « zéro phyto ». Je crois que nous aurions tout à gagner à généraliser cette politique à toutes les collectivités. La mission commune d'information propose de retenir pour cela un délai de cinq ans, bien entendu contraignant.

S’agissant des perturbateurs endocriniens, je me réjouis de la mise en place d’un groupe de travail par le Gouvernement. La recherche sur les effets des perturbateurs endocriniens sur la santé humaine a mis en lumière depuis plusieurs années – cela a été rappelé dans le récent rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – des problématiques potentielles majeures pour la santé reproductive, la santé des enfants et le développement, pour les générations actuelles et surtout pour celles à venir. Pour mémoire, sont notamment recensés comme effets la réduction du nombre de spermatozoïdes et de la qualité du sperme, la diminution de la fécondité, des avortements spontanés, une modification du ratio des sexes, des anomalies du système reproducteur masculin, la puberté précoce, des altérations du système immunitaire, la survenance de cancers.

Il est donc urgent de se doter d’une réglementation adaptée. Les perturbateurs endocriniens sont en effet venus bouleverser les règles de la toxicologie moderne selon lesquelles la dose fait le poison : les perturbateurs endocriniens agissent à faible dose et ont parfois des effets non linéaires.

Je souhaite à ce propos interroger le Gouvernement : où en est la constitution du groupe de travail qu'il a annoncé ? Quelles mesures ont-elles été prises pour s’assurer qu’il ne subisse pas les mêmes critiques que le groupe de travail mis en place par l’Autorité européenne de sécurité des aliments, dont je rappelle, pour ceux qui n’auraient pas suivi l’affaire, que seuls quatre de ses dix-huit membres disposent d’une expérience scientifique en endocrinologie, outre que huit d’entre eux ont déclaré des liens d’intérêts récents avec des industriels de la chimie ?

En conclusion, j'insisterai sur l’efficacité sanitaire d’une fiscalité écologique bien comprise. Le Gouvernement a mis en place un comité national et pris des engagements calendaires, mais il est important que nous nous entendions sur le champ de la fiscalité écologique, qui ne saurait se réduire à la fiscalité carbone.

Ce matin, la commission des finances a organisé une table ronde sur ce sujet. Il est regrettable que l'accès en ait été refusé aux membres des autres commissions, en particulier à ceux de la commission du développement durable. J’avoue que voir certains de nos collègues, hier adversaires déclarés de l’écologie, se convertir aujourd’hui avec ferveur à la fiscalité écologique me laisse quelque peu perplexe.

La fiscalité écologique n’est ni une nouvelle manne pour les finances publiques ni une nouvelle occasion de faire supporter par les ménages un allégement de la fiscalité pesant sur les entreprises. Elle est un moyen de faire évoluer les comportements et de pénaliser, pour les faire disparaître, les activités néfastes à la préservation de l’environnement.

J'espère que l'unanimité que suscite aujourd'hui le rapport se manifestera de nouveau lorsque nous aborderons ensemble la question de la fiscalité écologique dans toutes ses dimensions. §

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