Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je voudrais moi aussi remercier les membres de la délégation sénatoriale à la prospective de l’excellent travail fourni sur l’enjeu technique et complexe, mais néanmoins crucial, que sont les maladies émergentes. Je pense bien sûr au rapport très documenté rédigé par Mme Fabienne Keller, à ses propositions pour informer, prévenir, coordonner et à l’ensemble des analyses sur lesquelles nous avons pu travailler.
Comme plusieurs de mes collègues l’ont rappelé avant moi, les maladies émergentes sont à l’origine, chaque année, de 14 millions de décès dans le monde. Ces maladies, parmi lesquelles les tristement célèbres VIH, SRAS, virus Ébola ou encore grippe H5N1, sont responsables de 43 % du total des décès constatés chaque année dans les pays du Sud. Leur incidence a augmenté de 10 % à 20 % ces dernières années dans les pays du Nord. Pour la France, ce chiffre est de 12 %.
Je voudrais rapidement mettre l’accent sur quelques caractéristiques de ces maladies émergentes.
En me documentant, j’ai constaté que des phénomènes que nous, écologistes, combattons depuis des années amplifient la rapidité du développement de ces maladies émergentes. C’est aujourd’hui une certitude scientifique : les atteintes à la biodiversité, le changement climatique, la déforestation ou encore l’agriculture et l’élevage intensifs favorisent l’apparition ou la réapparition de ces maladies.
Il est prouvé que la régression de la biodiversité et la disparition de certaines espèces animales « protectrices », comme des prédateurs de rongeurs, par exemple, libèrent des niches écologiques pour les espèces invasives, ce qui favorise, dans certains cas, l’éclosion et la propagation des maladies infectieuses. Plusieurs chercheurs, dont la zoologue Kate Jones, insistent d’ailleurs sur le fait que la biodiversité et sa gestion conservatoire et « restauratoire » sont des moyens de limiter le risque d’épidémie et de pandémie.
Outre la biodiversité, le changement climatique, avec les modifications des précipitations, de l’humidité et de la température qu’il entraîne, joue également un rôle majeur dans l’accroissement des maladies émergentes. Notons qu’il a aussi pour conséquence de perturber la composition des écosystèmes et les interactions des espèces entre elles. Comme on s’attend, dans les années à venir, à une augmentation significative de la température, il faut donc envisager parallèlement l’extension géographique de nombreuses maladies infectieuses, notamment celles transmises par des animaux vecteurs, comme le paludisme et la dengue.
Par ailleurs, l’urbanisation, la déforestation et la fragmentation des forêts, ainsi que l’intensification de l’agriculture et de l’élevage, favorisent également l’accroissement des maladies infectieuses émergentes. Par exemple, l’augmentation d’élevages intensifs, plus sensibles aux maladies, comme ceux de porcs ou de volailles, entraîne l’extension des zones où vivent des espèces vecteurs ou des réservoirs d’agents pathogènes. De même, la récente sélection génétique des plantes les rend plus sensibles à certains virus.
Des illustrations concrètes de ces phénomènes viennent étayer cette thèse, comme celle que nous fournit le virus Junin, responsable de la fièvre hémorragique d’Argentine, et dont la propagation a été accentuée par la transformation massive, dans ce pays, des terres de pampas, zones aux herbes hautes, en champs de maïs. Cela a eu pour effet de favoriser la pullulation de rongeurs qui servent de « réservoirs » à ce virus et qui étaient auparavant naturellement régulés par les autres espèces vivant dans les pampas. Or, depuis plus d’un siècle, la culture du maïs, amplifiée par l’utilisation d’herbicides, a entraîné la disparition progressive de ces zones naturelles. La fièvre hémorragique d’Argentine, jusque-là silencieuse, est donc devenue épidémique.
Avant de conclure, je rejoindrai ceux de nos collègues qui ont recommandé de ne pas oublier la résistance bactérienne, elle aussi en augmentation. Le cas des virus résistants aux médicaments, ou de leurs vecteurs résistants aux pesticides, représente environ 20 % des 335 maladies émergentes recensées en février 2008 dans l’étude mondiale sur les maladies émergentes humaines précédemment citée.
Un certain nombre de maladies émergentes sont en fait d’anciennes maladies devenues antibiorésistantes ; je pense, par exemple, à la tuberculose.
On estime aujourd’hui que 25 000 malades porteurs d’infections multi-résistantes meurent chaque année. Cette recrudescence s’explique par la généralisation des antibiotiques non seulement dans les soins vétérinaires et humains, mais aussi dans la nourriture animale. De ce point de vue, nous ne pouvons que regretter que la disposition de la loi Kouchner prévoyant un médecin responsable de la modération de l’usage des antibiotiques dans chaque hôpital n’ait finalement jamais été mise en œuvre.
Nous considérons que l’urgence en matière de lutte contre les maladies émergentes est d’instaurer une régulation très encadrée de l’antibiothérapie, d’assurer une protection accrue de la biodiversité, de lutter contre la déforestation et de prendre des mesures de modération de l’agriculture et de l’élevage intensifs. Malheureusement, les négociations internationales sur la biodiversité et le climat se traduisent souvent par des avancées insuffisantes au regard de l’urgence des enjeux. En témoignent les échecs relatifs des conférences d’Hyderabad et de Doha en octobre et novembre 2012.
Plus largement, et ce seront mes derniers mots, le bon état sanitaire d’une population étant le premier barrage à la maladie, les objectifs de la lutte contre la pauvreté et de l’accès aux soins des personnes précaires doivent rester, en toutes circonstances, une priorité en France et dans le monde, au-delà même du seul enjeu des maladies émergentes : on meurt encore dans des proportions inquiétantes, dans certains pays, de maladies non émergentes, telles que la rougeole, le paludisme dans sa forme simple, de maladies diarrhéiques liées à l’absence d’eau potable, ou même tout simplement de la faim.