Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous remercier pour ce débat de qualité. Il nous a permis de mesurer toute l’importance de définir la façon dont nous entendons protéger notre société et, partant, chacun de nos concitoyens contre l’émergence ou la réémergence de certains risques, parmi lesquels figurent les maladies infectieuses.
Le principal constat du rapport d’information sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes rédigé, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, par Mme Keller est bien que nos sociétés restent fragiles, en dépit des immenses progrès réalisés par la recherche médicale.
Je tiens à remercier Mme la rapporteur et l’ensemble des membres de la délégation pour la qualité de leur travail : le contenu riche et documenté de ce rapport, assorti de propositions concrètes, nous permettra, j’en suis certaine, d’avancer dans ce domaine majeur pour la santé publique.
Les activités humaines ont souvent été à l’origine du développement et de l’implantation des maladies infectieuses. Nous savons par exemple que la variole, la rougeole et la grippe ont été introduites dans le Nouveau Monde par les colonisateurs espagnols. En retour, ces derniers ont été atteints par la fièvre jaune et ont diffusé le typhus en Europe.
Ces enjeux ne sont pas dépassés et n’appartiennent pas seulement à l’histoire ; vous avez d’ailleurs été nombreux à évoquer la grippe espagnole. Aujourd’hui encore, nombre de facteurs peuvent concourir à la diffusion et à l’émergence, parfois brutale, de maladies infectieuses. Je pense notamment à l’accélération et à la mondialisation des échanges, à la concentration de plus en plus intense de populations dans des mégalopoles ou à la modification du climat. En parallèle, on peut constater que les agents pathogènes ont révélé leurs exceptionnelles capacités d’adaptation. Nous devons donc être très vigilants.
Vous avez évoqué, mesdames, messieurs les sénateurs, la résurgence de maladies qui paraissaient disparues ou, en tout cas, contenues. Certaines sont particulièrement préoccupantes, d’autres sont moins graves ; je pense à la gale que l’on croyait réservée à des populations en situation de précarité ou défavorisées, alors qu’elle touche en réalité des collectivités de personnes. J’ai saisi d’ailleurs de cette question le Haut Conseil de la santé publique afin qu’il évalue la situation et formule des recommandations. Cette maladie n’est pas grave, mais elle pose des problèmes concrets et quotidiens extrêmement désagréables.
Pour préparer l’avenir, nous devons anticiper et agir autour de quatre axes majeurs : la prévention, la détection, la coopération et la préparation de la population.
Le Président de la République l’a rappelé dans son discours de clôture du quarantième congrès de la Mutualité française à Nice, l’enjeu majeur de notre politique de santé publique est bien d’abord la question de la prévention.
Cela a été souligné, mieux prévenir, c’est d’abord améliorer la couverture vaccinale en mettant en place une stratégie nationale pour les cinq prochaines années. Ce programme doit tirer les enseignements des échecs passés ; je pense en particulier aux écueils que nous avons rencontrés lors des campagnes de vaccination contre la pandémie grippale et contre l’épidémie actuelle de rougeole.
Je suis préoccupée de constater que, face à une maladie aussi courante que la grippe, le taux de vaccination des personnes identifiées « à risque » est en diminution depuis l’année dernière et que seule une petite minorité des personnels soignants des établissements de santé se fait vacciner. Il y a là, me semble-t-il, un enjeu important. Qui plus est, vous l’avez évoqué, il existe des résistances à la vaccination plus importantes dans notre pays que dans d’autres. Il conviendrait de mieux les cerner, même si nous atteignons globalement des résultats satisfaisants.
Vous avez été un certain nombre à le souligner : mieux prévenir, c’est aussi mieux contrôler l’usage des antibiotiques si nous voulons maîtriser l’apparition de résistances aux antibiotiques. J’ai bien entendu le regret exprimé par Mme Archimbaud concernant le prolongement de la loi Kouchner du 4 mars 2002. Je souhaite que, dans chaque établissement de santé, on puisse recourir à un référent en antibiothérapie. Nous devrions avancer sur cette question dans les prochaines semaines.
Il nous faudra également engager une réflexion sur l’utilisation des antibiotiques chez les animaux, en favorisant un rapprochement des spécialistes en santé animale et en santé humaine, inspirée du concept one health, « une seule santé », qui doit aussi pouvoir prospérer dans notre pays.
Le deuxième axe est celui du renforcement de nos capacités de détection, d’alerte et de réponse aux signaux. Notre action devra passer par une amélioration de la gouvernance régionale et nationale.
À l’origine, la sécurité sanitaire était définie comme « la sécurité des personnes contre les risques liés au fonctionnement du système de santé ». Ce concept est aujourd’hui beaucoup plus large : il s’étend aux risques liés au fonctionnement de la société, c’est-à-dire aux risques alimentaires, environnementaux et médicaux. C’est d’ailleurs sous le signe de la sécurité sanitaire qu’ont été placés les dispositifs de lutte contre les menaces épidémiques.
Le système de veille sanitaire est assurément perfectible, et nous devons aujourd’hui améliorer ses capacités de détection, d’alerte et de réponse.
En premier lieu, nous devons inciter les professionnels de santé à la déclaration des vigilances. Des épisodes non seulement récents mais aussi en cours nous en ont montré la nécessité. Cette question sera une priorité de la stratégie nationale de santé à laquelle je travaille. Une refonte du système des vigilances est en cours de réalisation et aboutira cette année.
En second lieu, il s’agit de valoriser la veille sanitaire régionale en déployant des réseaux en santé publique avec la médecine générale. Il faut considérer les médecins généralistes comme de véritables « vigies de santé publique ». Lors des événements récents, nous ne nous sommes pas suffisamment appuyés sur les professionnels de santé, en particulier les médecins généralistes. C’est l’une des raisons, me semble-t-il, qui expliquent l’échec de la prise en charge de la menace de pandémie grippale H1N1.
Le troisième axe de notre action doit être celui du renforcement de la coopération internationale, notamment – mais pas uniquement – en direction des pays émergents.
Le règlement sanitaire international, adopté par 194 États lors de l’Assemblée mondiale de la santé le 23 mai 2005, renforce les contrôles sanitaires dans les lieux d’échange. Il vise à améliorer la coordination internationale, en instaurant un réseau mondial unique de gestion des alertes sanitaires.
Ce règlement ne pouvait être appliqué dans notre pays, faute de traduction concrète. Cette dernière est intervenue avec la publication, au Journal officiel du 11 janvier 2013, du décret relatif à sa mise en œuvre.
Par ailleurs, lors des déplacements que j’ai pu effectuer dans différents pays européens au cours des derniers mois, j’ai pu observer la nécessité de rationaliser et de renforcer les capacités et les structures de l’Union européenne pour faire face à l’émergence des maladies infectieuses. Par principe, les menaces sanitaires ne connaissent pas les frontières. Nous devons donc jeter les bases d’une approche élargie et coordonnée au niveau de l’Union européenne. C’est à cette condition que nous pourrons approfondir la coopération avec les pays du Sud, qui restent aujourd'hui les premières victimes de ces maladies.
Enfin, quatrième axe, nous devons tirer des enseignements de la pandémie grippale H1N1, notamment en termes de perception des risques et de comportements de la population.
Pour être efficaces, les mesures préventives mises en place par les autorités sanitaires doivent être compréhensibles pour nos concitoyens.
La qualité de la communication est déterminante, vous avez eu raison de le souligner, madame Keller, si nous voulons partager une culture commune sur les risques émergents, anticiper et dissiper les rumeurs infondées. Il est de notre responsabilité de relayer des messages factuels, informatifs, cohérents et précis au plus près de la population et des acteurs locaux. Nous devons donc trouver le juste équilibre entre l’exigence de ne pas inquiéter outre mesure tout en informant et en permettant la mise en place d’une protection de qualité.
Il y a quelques mois à peine, un centre de crise a été inauguré au ministère des affaires sociales et de la santé. Ce centre nous permet désormais de réaliser des exercices d’anticipation plus efficaces pour tester nos capacités de réponse. À titre d’exemple, les capacités de mobilisation et d’organisation des médecins, des hôpitaux, des agences régionales de santé et des différents acteurs nationaux ont été testées dans le domaine des pathologies vectorielles, comme le chikungunya, et de la réponse antivectorielle.
Madame la sénatrice, vous plaidez pour que nous allions plus loin, avec des « exercices d’anticipation politique » qui réuniraient plusieurs ministères, au-delà du seul ministère de la santé.