Intervention de Alain Fauconnier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 janvier 2013 : 1ère réunion
Répertoire national des crédits aux particuliers — Examen du rapport d'information

Photo de Alain FauconnierAlain Fauconnier, co-rapporteur :

Lors des débats en décembre 2011 sur le projet de loi « Lefebvre » renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs, trois amendements émanant de différents groupes proposaient, selon des modalités différentes, la création d'un répertoire national des crédits aux particuliers, autrement appelé « fichier positif », dans le but de lutter contre le surendettement. Ces amendements n'ont pas été adoptés, compte tenu des difficultés que soulevait cette question, mais un groupe de travail regroupant quatre commissions a été constitué pour étudier l'opportunité et les conditions de mise en place du fichier positif.

Nous avons conduit de nombreuses auditions et effectué plusieurs déplacements, dont un à Bruxelles pour bien comprendre le fonctionnement de la centrale belge des crédits aux particuliers, qui sert souvent de référence aux promoteurs français du fichier positif et aux réflexions conduites en France sur le sujet.

Au sein du groupe, nous sommes également partagés sur l'opportunité de créer un fichier positif. Dans ces conditions, le groupe de travail n'a pas adopté de conclusions, mais se borne à apporter sa contribution au débat et à la décision, en énonçant les arguments en faveur comme opposés et en précisant les modalités d'un éventuel fichier si celui-ci venait à être créé.

La décision de principe a été prise par le Gouvernement, puisque le Premier ministre a indiqué, en clôture de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté le 11 décembre 2012, qu'un registre des crédits aux particuliers serait créé à l'occasion du prochain projet de loi sur la consommation. Pour autant, le Gouvernement ne sous-estime pas les difficultés que présente ce projet, puisque Benoît Hamon, ministre chargé de la consommation, a déjà indiqué lors de débats parlementaires récents qu'il fallait imaginer un dispositif simple et respectueux de la vie privée, ce qui justement n'est pas simple.

Ce sujet est débattu depuis les années 1980, en particulier à l'occasion de la « loi Neiertz » de 1989 relative au surendettement, qui a créé un « fichier négatif », c'est-à-dire le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, le FICP, géré par la Banque de France.

Un « fichier positif » enregistre tous les contrats de crédit en cours, crédit immobilier ou crédit à la consommation, crédit amortissable ou crédit renouvelable, indépendamment de la survenance d'un incident de paiement. Compte tenu du rôle du crédit, notamment de l'excès de crédit, dans le phénomène de surendettement, l'objectif du fichier positif est de prévenir le surendettement en empêchant d'octroyer le « crédit de trop ». Le banquier ou la société de crédit pourra constater en consultant le registre que son client a déjà un niveau élevé d'endettement. Le débat porte justement sur l'efficacité du registre des crédits dans la prévention du surendettement, compte tenu de son coût et du nombre de personnes enregistrées. Le crédit n'est pas le facteur exclusif d'explication du surendettement, il y a aussi ce qu'on appelle les « accidents de la vie », qui conduisent à une perte de revenus face aux charges financières ou de la vie courante : chômage, divorce, veuvage et même retraite.

La Banque de France, qui est très réticente à la mise en place de ce registre des crédits et qui gère les commissions de surendettement, nous a indiqué que le registre permettrait d'éviter selon elle seulement 20 à 30 000 cas de surendettement par an, sur un total d'environ 220 000, à comparer au « fichage » d'environ 25 millions de personnes titulaires d'un crédit. La Cour des comptes montre dans un rapport de 2009 que les études statistiques sur le phénomène de surendettement sont trop rudimentaires pour en comprendre les causes, de sorte que la distinction entre surendettement actif, par accumulation de crédit, et passif, dû aux accidents de la vie, ne permet pas de rendre compte de la réalité du phénomène. Dans ces conditions, il est difficile d'apprécier l'impact réel du fichier positif sur le surendettement.

Ceci étant dit, un tel registre serait objectivement un outil utile d'aide à l'analyse de la solvabilité de l'emprunteur par le prêteur. Il donnerait une information exhaustive et fiable sur son niveau d'endettement et ses charges de crédit. On sait qu'il n'est pas rare qu'un emprunteur omette, pas toujours sciemment bien sûr, de déclarer les crédits qu'il a déjà souscrits lorsqu'il demande un nouveau crédit, a fortiori lorsqu'il est déjà très endetté. Certains considèrent que le fichier positif donnerait un accès plus facile au crédit classique pour des ménages modestes qui en sont aujourd'hui généralement exclus.

Le fichier positif est revenu régulièrement dans les débats parlementaires depuis plus de vingt ans. Le débat a été très important au moment de la « loi Lagarde » de 2010 réformant le crédit à la consommation. Le Sénat avait adopté un amendement prévoyant la remise d'un rapport sur l'opportunité et les modalités de création d'un registre des crédits, l'Assemblée nationale a modifié cette disposition pour la limiter aux modalités. En effet, la ministre Christine Lagarde considérait que le principe de la création du fichier positif était politiquement acquis et qu'il s'agissait désormais d'en prévoir les modalités.

La « loi Lagarde » a donc prévu la mise en place d'un comité de préfiguration du registre, qu'on appelle « comité Constans », du nom de son président Emmanuel Constans, par ailleurs président du Comité consultatif du secteur financier. Le comité Constans a remis ses conclusions en 2011. Il propose que soient recensés dans un registre géré par la Banque de France tous les crédits, y compris les autorisations de découvert de plus de trois mois, avec une reprise du stock des crédits en cours. Il prévoit une obligation d'alimentation du registre à la charge des établissements de crédit et une obligation de consultation à la charge des mêmes avant toute offre de crédit. Pour en garantir la fiabilité, il propose que l'identifiant utilisé pour alimenter et consulter et permettant d'identifier chaque personne soit dérivé du NIR, c'est-à-dire le numéro de sécurité sociale, mais pas le NIR directement pour tenir compte des réserves de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) : on parle de NIR avec « double hachage ». Enfin, le financement est assuré par la consultation payée par les établissements de crédit. Un comité de gouvernance est prévu. Le comité Constans prévoit un coût d'investissement de 15 à 20 millions d'euros pour la Banque de France et un coût annuel de fonctionnement de 30 à 35 millions. Le coût d'investissement pour les établissements de crédit est évalué entre 525 et 820 millions, ce qui paraît excessif.

Les travaux du comité Constans ont servi de point de départ à notre réflexion, de même qu'une étude de droit comparé que nous avons demandée au service compétent du Sénat. Cette étude a porté sur l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni et la Suisse. Elle montre qu'il n'existe pas de modèle unique en Europe, étant entendu qu'aucun texte n'existe ou n'est prévu dans ce domaine par l'Union européenne : parfois il existe un fichier positif unique dont la gestion est publique, dans d'autres cas un fichier public coexiste avec des fichiers privés, dans d'autres cas encore plusieurs fichiers privés sont concurrents, dans un cadre légal très variable d'un pays à l'autre. Parfois le fichier comporte des informations qui dépassent la sphère du crédit (téléphonie mobile par exemple). En tout cas la prévention du surendettement est rarement l'objectif affiché de ces fichiers, il s'agit plutôt de fiabiliser des informations sur l'endettement d'un consommateur accessibles aux prêteurs, à d'autres professionnels ou encore aux bailleurs. Tout ceci figure dans le rapport.

En Belgique, où nous nous sommes rendus avec Nicole Bonnefoy, un fichier négatif géré par la Banque nationale de Belgique existe depuis les années 1980. Une loi de 2001 a institué la centrale des crédits aux particuliers, qui a repris les données du fichier négatif (incidents de paiement et données sur les procédures de médiation de dettes, équivalentes de nos procédures de surendettement) et recense tous les crédits. Sont mentionnés l'état civil de l'emprunteur, le prêteur, le type de crédit, le montant de la mensualité, la durée... Les prêteurs doivent, sous peine de sanctions, alimenter la centrale et la consulter avant toute offre de crédit. Des délais légaux de conservation sont prévus. Un comité d'accompagnement de la centrale contrôle son fonctionnement, avec des représentants des banques et des consommateurs notamment.

Aujourd'hui 6 millions de personnes sont enregistrées pour 11 millions de crédits, soit les trois quarts de la population adulte. Il a fallu deux ans à compter de l'adoption de la loi pour que la centrale soit pleinement opérationnelle, y compris avec la reprise du stock des crédits en cours, avec un coût de fonctionnement raisonnable de moins de 5 millions d'euros par an.

L'identifiant retenu en Belgique est l'équivalent du NIR, mais il ne comporte que la date de naissance, alors que le NIR intègre d'autres données personnelles. Selon les personnes que nous avons rencontrées à Bruxelles, l'utilisation de ce numéro national d'identification garantit la fiabilité absolue du système et n'a pas posé de problème de principe, pour des raisons de mentalités sans doute, alors que c'est un point d'achoppement en France. De fait, il n'y a pas à la Banque nationale de Belgique, contrairement au service de la Banque de France qui gère le FICP à partir de données d'état civil, de personnels chargés de vérifier les données d'état civil fournies par les établissements de crédit pour garantir la fiabilité des enregistrements. Enfin, les risques de consultation illicite de la centrale semblent très faibles, à l'inverse des risques d'utilisation détournée des données par les consommateurs eux-mêmes, pour répondre par exemple à un bailleur dans le cadre d'une location.

Les banques belges sont aujourd'hui satisfaites, alors qu'elles étaient hostiles au départ pour des raisons d'organisation du marché et de concurrence. Pour améliorer leur analyse de solvabilité, les banques demandent même à présent que d'autres impayés soient intégrés dans la centrale (téléphonie en particulier), ce que refusent les organisations de consommateurs, qui ont été moteurs dans la création de la centrale. Cependant, il n'y a pas eu d'étude pour mesurer l'impact de la création de cette centrale sur le phénomène de surendettement et le nombre de dossiers évités : on sait seulement que cela a permis de faire baisser le taux de défaillance dans le remboursement des crédits, mais à partir de 2008, début de la crise économique, la tendance s'est inversée. On ne connaît donc pas l'efficacité réelle de la centrale en matière de prévention du surendettement, alors que c'est son premier objectif.

Les auditions ont permis de confronter les points de vue.

Concernant les représentants des consommateurs, les deux grandes associations que sont UFC-Que Choisir et CLCV sont très hostiles, ainsi que les associations proches des organisations syndicales. L'association des usagers des banques est également hostile. En revanche, les associations familiales agréées pour la défense des consommateurs sont majoritairement favorables.

L'association bien connue CRESUS, qui accompagne des personnes surendettées, en partenariat parfois avec des banques, promeut depuis longtemps le fichier positif.

Concernant les banques et sociétés de crédit, la Fédération bancaire française, l'Association des intermédiaires bancaires et les grandes banques sont hostiles, disposant déjà d'importants fichiers clients et craignant peut-être son éventuel impact en termes de concurrence et d'évolution des parts de marché, ce qui ne s'est pas vérifié en Belgique. Certains établissements, nouveaux entrants parfois sur le marché du crédit à la consommation ou filiales de la grande distribution, sont en revanche favorables au fichier. L'Association française des sociétés financières, qui regroupe les sociétés spécialisées dans le crédit, n'a pas d'avis officiel, ses adhérents étant partagés.

Les représentants du commerce et de distribution sont favorables au fichier positif.

Les représentants des professions juridiques sont favorables, qu'il s'agisse des avocats, des notaires ou des magistrats, les huissiers semblant plus réservés. A cet égard, l'Association nationale des juges d'instance considère qu'un fichier permettrait d'engager plus facilement la responsabilité d'un prêteur qui accorde un crédit trop facilement et accroît les difficultés financières de l'emprunteur, dont il peut toujours aujourd'hui invoquer la mauvaise foi.

La Banque de France est quant à elle très hostile à la création d'un registre des crédits, considérant que son efficacité sera réduite face au surendettement, pour un coût très élevé. A tout le moins souhaiterait-elle, si le registre était créé, pouvoir utiliser le NIR directement, au vu de son expérience difficile de gestion du FICP, qui fonctionne à base de données d'état civil pour identifier et repérer les personnes enregistrées.

Enfin, la CNIL exprime depuis longtemps des réserves de principe sur la création du fichier. Elle est à l'origine de l'identifiant proposé par le comité Constans, le NIR avec « double hachage », de façon à ce que le NIR en tant que tel demeure utilisé uniquement dans la sphère de la sécurité sociale, au nom du principe de cantonnement des identifiants pour une meilleure protection des données personnelles et du refus des identifiants à large périmètre. La CNIL avait d'ailleurs refusé en 2007 à une société commerciale l'autorisation de créer un fichier positif privé en agrégeant des données issues de fichiers bancaires.

Je vous exposerai les modalités d'un éventuel dispositif possible après la présentation par André Reichardt et Nicole Bonnefoy des arguments pour et contre la création d'un fichier positif.

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