Je vais répondre à votre question, mais je commencerai tout d'abord par présenter la notion de double dividende. La fiscalité écologique a pour finalité première - et normalement unique - de modifier les comportements. Quelques recettes fiscales peuvent en être obtenues, mais ce n'est pas là son objectif. Plus cette fiscalité écologique sera efficace sur le plan de l'environnement, plus elle réduira son assiette. Je préfère parler d'érosion de l'assiette plutôt que de disparition. En effet, les dépenses de carburant ne seront pas réduites à zéro avant plusieurs décennies. L'efficacité environnementale dépend de la réaction au signal-prix des comportements : plus ces derniers ont une élasticité forte au prix, plus les recettes sont appelées à diminuer.
La fiscalité écologique se traduit également par des effets économiques. Elle peut présenter un coût en pouvoir d'achat pour les ménages qui sont frappés, et en perte de compétitivité pour les entreprises impactées, bien que ces dernières puissent, en règle générale, répercuter une partie de ses coûts dans leur prix, donc sur le consommateur. Un impôt écologique non compensé aura forcément un coût en termes d'emplois et d'activité économique.
Il y a aussi des coûts sociaux potentiels. Je pense à cet égard à la fiscalité énergétique, notamment celle qui touche les carburants. Elle est régressive, dans la mesure où elle affecte davantage les ménages pauvres. En effet, la part de leur budget consacrée aux dépenses énergétiques et de carburant est plus importante que pour les ménages les plus riches. Elle porte sur des dépenses particulièrement contraintes, car ces foyers pauvres sont souvent installés en périphérie, ne disposent pas de transports publics, ont besoin d'utiliser leur voiture ou vivent dans des logements mal isolés. Ainsi, les effets sociaux d'une fiscalité écologique non compensée sont négatifs. De fait, et de façon paradoxale, lorsque la fiscalité écologique touche des dépenses contraintes, les ménages sont dans l'impossibilité de modifier leur comportement, ce qui rend alors cette fiscalité inefficace. Une fiscalité écologique est donc difficilement envisageable sans mesure d'accompagnement.
Chercher à réduire les coûts économiques et sociaux de la fiscalité écologique constitue le coeur de la théorie du double dividende. On peut à cet égard envisager de substituer la fiscalité environnementale à des prélèvements pesant dans d'autres domaines. La plupart des impôts se traduisent par des distorsions plus ou moins fortes, qui ont des effets négatifs pour l'économie. C'est le cas lorsque le gain pour l'Etat du prélèvement fiscal s'avère plus faible que la perte sèche, en termes de bien-être et de pouvoir d'achat, subie par les contribuables. De telles distorsions se rencontrent chaque fois que la fiscalité cherche à modifier les comportements. De ce point de vue, la fiscalité écologique provoque par définition des distorsions. En France et en Europe continentale, c'est la fiscalité pesant sur le travail qui exerce le plus de distorsions. Aux Etats-Unis, c'est la fiscalité sur le capital.
Il s'agit donc de remplacer des prélèvements obligatoires sur le travail très distordants par des prélèvements obligatoires assis sur une base environnementale. Au-delà, une discussion existe entre universitaires, qui distinguent le double dividende au sens faible (simple réduction du coût de la mesure à travers la substitution d'impôts) et le double dividende au sens fort (obtention d'un gain net, à travers une hausse de l'activité et de l'emploi). Mais un tel résultat positif n'est possible que si l'on affecte les recettes environnementales à une réduction des autres impôts.