Je suis honoré d'être entendu cette après-midi par votre commission, et de me soumettre à vos suffrages dans la perspective de la responsabilité que le Président de la République propose de me confier.
Mon parcours professionnel est marqué à la fois par la continuité, car j'ai constamment été au service de l'État, tour à tour dans des fonctions de juge, de conseil, de direction, de représentation, et par une volonté de mobilité, puisque j'ai exercé des responsabilités au ministère de l'intérieur, à celui de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, dans le domaine de l'intégration, de l'action culturelle extérieure, au niveau interministériel aussi, ou dans une ambassade. Je suis un citoyen très attaché à la vie publique de mon pays, ce qui m'a conduit à m'engager dans des fonctions de cabinet, à l'issue desquelles je suis toujours (à quatre reprises !) revenu dans mon corps d'origine, pour y exercer des fonctions de rapporteur. Je suis d'abord un membre du Conseil d'État, un juge et un conseil des gouvernements, quelle que soit leur orientation politique. J'ai également enseigné, chaque fois que la disponibilité m'en était laissée.
Dans toutes mes fonctions, je me suis attaché à l'échange, à la délibération collective, à la recherche commune d'une position juste, dans le respect de la diversité des points de vue. En animant diverses équipes, j'ai toujours eu conscience qu'il est exceptionnel d'avoir raison seul, et qu'il n'est de perspective assurée que concertée, discutée, comparée. Mes fonctions ont exigé la plus grande neutralité : en tant que juge, bien sûr, comme secrétaire général du Conseil constitutionnel, comme ambassadeur, mais aussi comme président du jury de l'École nationale d'administration (ENA). J'ai eu l'honneur d'être membre des commissions d'évaluation des institutions et de la vie publique dirigées par M. Balladur et par M. Jospin. J'ai été nommé ambassadeur par le Président Chirac, président de section au Conseil d'État par le Président Sarkozy, et je suis désigné aujourd'hui par le Président Hollande.
Je suis très attaché à l'indépendance, et à l'impartialité, que je distingue - l'on peut être indépendant sans être impartial -, ainsi qu'au pluralisme, que renforce heureusement la collégialité.
Dans mes responsabilités de secrétaire général du Conseil constitutionnel, j'ai dirigé l'instruction de plusieurs décisions qui concernent le CSA, ou la sphère audiovisuelle en général. La plus importante est celle du 21 janvier 1994 relative à la garantie du pluralisme et à la liberté des médias, qui comporte l'énoncé des normes de constitutionnalité applicables telles que le Conseil les a dégagées. Il y a eu aussi, la même année, la décision très importante relative au rôle du CSA en matière de sauvegarde et de promotion de la langue française. Des décisions ont circonscrit l'action pénale du conseil et rappelé les exigences constitutionnelles du service public des télécommunications à propos de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) en 1996.
Directeur de cabinet du Premier ministre pendant cinq ans, j'ai été le premier à désigner immédiatement au sein de l'équipe un conseiller chargé de la société de l'information : il me semblait que les enjeux du numérique étaient déjà essentiels. J'ai travaillé à un programme pour le développement de l'information qu'on appelait le PAGSI. J'ai contribué à la préparation de la loi du 1er août 2000 sur l'audiovisuel qui a énoncé les grands principes du service public de la communication audiovisuelle, restructuré ce secteur par la création de France Télévisions et de la société Arte France, engagé la mise en oeuvre du numérique hertzien, ouvert un cadre juridique aux télévisions locales, renforcé les responsabilités du CSA en matière de protection des jeunes publics, et assuré la garantie d'une diffusion en clair des événements d'importance majeure.
Le plus important, je crois, est que j'ai manifesté durant cette période un respect constant de la liberté et de l'indépendance des médias : pas une seule fois en cinq ans je ne suis intervenu pour répondre à une critique, jamais je n'ai suggéré une position ou relayé une intervention. Si je n'avais pas été fidèle à cette attitude, je ne serais pas aujourd'hui présent devant vous.
Bien sûr, j'ai traité des problèmes liés à l'audiovisuel dans d'autres fonctions, et notamment au Conseil d'État, à titre consultatif, comme rapporteur de l'avis sur le passage de la télévision analogique à la télévision numérique, achevé en novembre 2011, ou bien au contentieux, encore très récemment dans une affaire importante qui a concerné un grand groupe de l'audiovisuel. Tout dernièrement, dans le cadre de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, j'ai contribué aux préconisations relatives à la prévention des conflits d'intérêt pouvant concerner les autorités indépendantes, ainsi qu'aux adaptations du rôle du CSA en qualité de garant du pluralisme politique avant des échéances majeures.
J'ai toujours considéré que les problèmes de l'audiovisuel étaient déterminants pour notre avenir collectif. Quelles sont les priorités du CSA ? D'abord, les principes et les missions qu'il a pour fonction, en vertu de la loi, de faire respecter : je n'en négligerai aucun, mais je voudrais insister sur quelques-uns.
Je crois que les programmes audiovisuels peuvent contribuer davantage - à l'instar de la chaîne parlementaire - à l'éducation citoyenne, tout particulièrement des jeunes : je suis préoccupé par la perte de repères concernant notre histoire, soucieux de l'impératif de laïcité, de la compréhension de nos institutions et de nos devoirs civiques. Je suis très attaché à la protection de la jeunesse, que la transmission des contenus d'Internet et des services à la demande peut menacer. A cet égard, l'observation des différentes formes de télé-réalité doit être attentivement assurée.
La charte de l'environnement, intégrée à notre Constitution, prescrit que l'éducation et la recherche contribuent à sa protection. Les médias audiovisuels me semblent naturellement avoir une part essentielle à cet objectif.
Je suis très préoccupé aussi par le respect et la reconnaissance de nos diversités, afin que puissent être surmontés les préventions et les handicaps de toute nature. Il s'agit là d'un objectif commun primordial plus que d'une thématique particulière. La fragmentation des audiences peut être aussi un risque.
Le CSA est appelé à se saisir plus directement des enjeux économiques de ses activités. En particulier, la bonne gestion du spectre audiovisuel doit être conçue comme un objectif essentiel, dans le respect de la liberté de communication. Je serai très attaché à la nécessité pour notre pays de promouvoir des industries culturelles puissantes et influentes, dont la capacité d'exportation serait croissante. Pour moi, la compétitivité ne s'arrête pas à l'exception culturelle. Je mesure à quel point l'administration du CSA est appréciée pour sa grande qualité, je veillerai à l'amélioration constante de son potentiel économique. J'ai toujours préconisé que les décisions publiques importantes soient précédées d'études transparentes de leurs possibles incidences, les études d'impact. Beaucoup de sujets les imposent : télévisions locales, télévision connectée, plafonds de concentration, mesures de régulation économique, financière et fiscale. L'étude attentive des besoins financiers pluriannuels des chaînes publiques relève de la même démarche.
Je porterai une attention soutenue à la coopération européenne et internationale, notamment dans la sphère francophone. L'expérience de notre pays en matière de régulation de l'audiovisuel est un savoir-faire précieux. Largement diffusé, il peut contribuer à notre influence économique, juridique et technique.
A propos des relations avec l'Arcep, je ne crois pas bon de séparer les problématiques économiques et techniques d'une part, culturelles et sociétales, d'autre part. Il y a de nombreux sujets communs : l'ADSL, la télévision connectée, la neutralité d'Internet... La coopération a vocation à se renforcer grandement. S'il était décidé d'aller au-delà, mon expérience me conduirait à veiller tout particulièrement aux coûts, parfois inattendus, et aux lourdeurs, liés aux changements structurels profonds.
Je veillerai aussi à développer les relations, déjà substantielles, avec l'Autorité de la concurrence, mais aussi celles, plus ténues, avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), parce que se renforce la perspective inquiétante du profilage sur la base des choix individuels de programmes. J'ai conscience que nous évoluons vers de nouvelles formes de régulation à l'heure où le téléspectateur se fait internaute. Il importe en particulier d'approfondir la réflexion sur la co-régulation : celle-ci permet d'introduire un encadrement juridique protecteur sur la base de l'initiative même des intéressés, mais avec une intervention des autorités publiques - cela dans un contexte international et européen déterminant. Il ne s'agit donc pas de décalquer un contrôle existant, mais de l'adapter à l'hyper-communication, sans tomber dans la dérégulation.
Il importe de développer l'éducation aux médias, en direction des usagers les plus âgés, mais aussi des jeunes, dont la dextérité ne doit pas être dévoyée.
Je serai très attentif au soutien et à la promotion des télévisions locales, sans méconnaître l'activité des stations régionales de France 3. Il est essentiel que la décentralisation vive et se développe aussi en matière audiovisuelle, notamment outre-mer. Les acteurs locaux de la vie publique doivent trouver un espace pour s'exprimer.
En ce qui concerne la radio analogique, je suis conscient des problèmes soulevés par l'existence d'un plafond d'audience qui a été déterminé dans un contexte que j'ai précisément connu, en 1994, et je m'engage à présenter un rapport complet et transparent sur le sujet. S'agissant de la radio numérique terrestre, je mesure l'importance des obstacles, notamment du point de vue de la commodité et des capacités financières de l'usager, qui rendent sa perspective sans doute plus lointaine. C'est aux zones moins bien desservies par la radio analogique qu'il faut porter une attention privilégiée : lutter contre la fracture numérique suppose aussi de combattre la fracture audiovisuelle.
Je serai extrêmement attentif aux problèmes que rencontrent nos compatriotes à l'étranger. Vous avez entendu il y a quelques mois Mme Saragosse dans le cadre de la même procédure : je m'entretiendrai prioritairement avec elle.
Enfin, je compte sur les rapports avec le Parlement et en particulier avec votre commission, pour accompagner, tout en la contrôlant, la démarche du CSA. Celui-ci est certes une autorité indépendante, mais ce n'est pas une autorité souveraine. Il a pour vocation d'entretenir une relation étroite avec le Parlement, que je crois indispensable à sa légitimité. Je compte pouvoir m'appuyer sur le législateur, dont l'expertise est unanimement reconnue. Je souhaiterai vous rencontrer aussi souvent que possible pour vous rendre compte, et aussi trouver dans vos délibérations une source d'inspiration, de réflexion et d'action.