Intervention de Marc Rohfritsch

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 15 janvier 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Marc Rohfritsch ingénieur divisionnaire de l'industrie et des mines chef du bureau des matériaux du futur et des nouveaux procédés de la direction générale de la compétitivité de l'industrie et des services dgcis

Marc Rohfritsch :

La direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services, comme son nom l'indique, a pour mission de développer la compétitivité et la croissance des entreprises françaises. Elle est placée sous l'autorité du ministère de l'artisanat et de celui du redressement productif. Mon bureau, au sein du service de l'industrie, participe à l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques industrielles dans leurs composantes sectorielles. À ce titre, nous animons la Conférence nationale de l'industrie, qui prendra bientôt le nom de Conseil ; nous soutenons les secteurs à forte valeur ajoutée et d'avenir ; nous accompagnons les secteurs en forte difficulté, et ils sont quelques-uns ; nous assurons une veille sectorielle et développons une connaissance fine du tissu industriel et d'autres actions transversales de soutien.

Mon bureau est compétent sur la production et la transformation des matériaux. Les matériaux, ce sont les plastiques, le caoutchouc et les composites, mais aussi les céramiques ou encore le bois, le papier et le carton et, naturellement, les métaux. L'exploration minière relève d'une autre direction. Cependant, pour ce qui concerne les ressources minérales, nous tâchons de mieux connaître et d'anticiper l'évolution de la demande industrielle, d'inciter les acteurs à mieux prendre en compte les risques qui pèsent sur leur approvisionnement et, enfin, d'actionner les bons leviers pour réduire la dépendance. Voilà le rôle que je joue sur le sujet qui vous occupe : l'exploitation des ressources minières marines profondes dans les zones économiques exclusives outre-mer.

Comment abordons-nous les besoins des industriels au sein du Comité pour les matériaux stratégiques, le Comes ? Quels sont les drivers ? Autrement dit, quelles sont les applications qui tirent les besoins ? La demande en métaux est en hausse, qu'ils s'agissent des métaux de commodité comme l'acier ou l'aluminium, ou des métaux plus stratégiques high tech. Ces derniers sont fortement liés au niveau de développement du pays.

Le mode de consommation des métaux dépend de trois grandes tendances sociétales : la sensibilité à l'éco-responsabilité, la hausse du prix de l'énergie et la recherche effrénée de technicité dans les produits. Il faut également citer les normes diverses et variées provenant de directives ; je pense à l'interdiction du Chrome 6, néfaste pour l'homme et l'environnement, ou encore à l'éco-conception et le recyclage.

Nos industriels dépendent pour leur approvisionnement de l'extérieur. Si on fait exception de l'or en Guyane et du nickel en Nouvelle-Calédonie, la France n'a pas de gisements de matériaux stratégiques, si bien que l'ensemble de la chaîne de valeurs peut potentiellement être affectée, par un effet domino, du fait d'une difficulté ponctuelle dans telle ou telle zone géographique. L'an dernier, nous avons conduit une étude sur deux filières particulièrement exposées : l'automobile et l'aéronautique. Ses résultats sont décevants, comme nous aurions dû nous y attendre, car les difficultés sont exactement celles sur lesquelles le Comes a buté. Les industriels ne veulent pas donner ce type d'information qu'ils considèrent très confidentielle. Et pour cause, ce serait afficher la vulnérabilité de leur entreprise. Tout cela pour expliquer que nous peinons à obtenir une vision agrégée de la consommation réelle de matériaux stratégiques en France.

Que faire pour réduire cette dépendance ? Nous avons réalisé des scénarios sur l'offre et la demande. Les premiers s'appuient sur des projections des valeurs de vente, l'impact des évolutions de marché - par exemple, l'augmentation des ventes de véhicules électriques - et l'estimation des effets de l'innovation sur le produit final. Pour l'offre, plus on va vers l'amont minier, plus nous sommes dans du temps long - il faut sept à dix ans pour ouvrir une nouvelle mine. Ce qui n'est pas vrai pour l'aval où les ajustements sont plus rapides. Nous tenons évidemment compte du recyclage, mais non des ressources marines parce que cela nous a paru prématuré.

Ces équilibres entre l'offre et la demande sont sensibles au rythme de démarrage des nouveaux marchés. Comment appréhender le moment où un nouveau marché démarre ? Prenons la transition énergétique, nous aurons peut-être alors grandement besoin de vanadium pour un stockage de masse de l'électricité. Autre exemple, le dysprosium, une des terres rares les plus stratégiques, qui entre dans la fabrication des aimants permanents indispensables pour le développement des éoliennes. Ces deux matériaux sont à surveiller de près, ainsi que le palladium et le platine. A contrario, l'offre est excédentaire pour le lithium et le restera demain. Nous avons effectué une étude sur dix métaux en 2012, elle est à la disposition des industriels.

Comment sécuriser l'approvisionnement des industriels ? La crise des terres rares, le tsunami au Japon et les inondations en Polynésie ont entraîné de fortes perturbations sur le marché des matières premières. Les acteurs industriels ont de plus en plus conscience des risques de dépendance, sans doute grâce au Comes. Cela dit, cette prise de conscience varie selon leur place dans la chaîne de valeurs : elle est plus élevée en amont, chez les mineurs et les transformateurs, qu'en aval.

Pour les acteurs aval, en revanche, le métal stratégique n'est que l'élément d'un alliage destiné à la fabrication d'un sous-composant : les préoccupations ne sont donc pas les mêmes. Reste que les perturbations dans la chaîne de l'approvisionnement ont poussé les industriels à se mobiliser et à participer au dialogue partenarial mis en place par l'État.

La crise des terres rares de 2011 a permis de mesurer les capacités de réaction industrielles, des stratégies de diversification de l'approvisionnement jusqu'à la constitution de stocks. Renault-Nissan a ainsi mis en place une stratégie volontariste de réduction des quantités de terres rares entrant dans ses composants. Un communiqué de presse de Nissan annonce que le moteur électrique de la Leaf utilise 40 % en moins de terres rares. Il en va de même pour les lampes basse consommation, où les terres rares sont remplacées par d'autres additifs. Autre exemple, le Japon, qui, en 2011, s'approvisionnait à 90 % en Chine, s'est tourné vers le Kazakhstan, l'Inde et le Canada, si bien que sa dépendance à la Chine est tombée, en 2013, à 50 %. Conséquence de tout cela, le marché de terres rares s'est retourné ; les prix, qui, au plus fort de la crise, avaient été multipliés par dix, se sont totalement dégonflés. Et les quotas restrictifs posés par la Chine pour 2012 sont restés très supérieurs à ce qui s'est réellement vendu ; ce fut, au regard de la stratégie agressive qui avait été la sienne en 2012, un véritable retour de bâton. Preuve que des contournements sont possibles, pour se protéger.

À quoi s'ajoute le peu de dynamisme de l'économie, qui a ses effets sur le front des matières premières. C'est, pour les pays dépendants, une opportunité à saisir : cela laisse le temps de se préparer à d'inévitables crises nouvelles. Il ne faut pas relâcher les efforts.

La France peut compter sur un tissu industriel d'importance et des organismes académiques et de recherche de premier plan, mondialement réputés. Tous ces acteurs doivent travailler à réduire les risques liés à l'approvisionnement. Ce qui exige la mise en place d'une démarche par filières, sous l'égide des pouvoirs publics, en lien avec les fédérations professionnelles. Tel est le sens de la création, en 2010, du Comes, et de son rapprochement en cours avec la Conférence nationale de l'industrie.

Les pouvoirs publics peuvent également apporter un appui ciblé. C'est ainsi qu'a été élaboré un outil d'auto-évaluation de la vulnérabilité des entreprises, en ligne sur le portail du ministère, qui vise à mieux sensibiliser les acteurs de terrain et doit jouer un rôle pédagogique auprès des PME. Dans le même ordre d'idées, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), publie, à la demande de sa tutelle, des panoramas sur les métaux rares, sources précieuses d'information sur leurs applications, les gisements existants, les filières industrielles concernées. Au-delà, lors du colloque sur les métaux stratégiques, le 16 octobre dernier, M. Arnaud Montebourg a appelé à la constitution d'un observatoire national de référence afin de mutualiser l'information sur l'approvisionnement en matières premières. Projet soutenu par les membres du Comes, qui ont rappelé la nécessité d'avoir accès à une information de qualité, à coûts mutualisés, via un portail public ou semi public, assurant également l'interface avec les initiatives européennes en ce sens.

Nous agissons aussi pour améliorer l'environnement général des entreprises. Ainsi en attestent l'évolution en cours du code minier, la protection face à la concurrence déloyale, le soutien à la recherche pour développer des compétences en géologie, en technique minière, en recyclage... Ainsi également des encouragements à mettre en place des filières de recyclage, à attirer des investisseurs étrangers, qui ont notamment débouché sur l'inauguration, en 2012, d'un projet industriel porté par Rhodia, à La Rochelle, pour le recyclage des terres rares contenus dans les ampoules basse consommation.

D'autres leviers peuvent venir du secteur privé ou du partenariat public-privé : stratégies d'achats groupés, comme l'Allemagne qui en a annoncé la mise en place ; constitution de stocks ; démarrage de nouvelles exploitations minières, prises de participation dans les entreprises minières, rapprochements client-fournisseur - bref, les stratégies classiques de sécurisation.

Les perspectives d'exploitation des ressources minérales profondes dépendent, pour conclure, du résultat des travaux de recherche actuels, destinés à mieux qualifier les ressources disponibles, à travailler sur les techniques d'exploration et d'exploitation industrielle et leur impact sur l'environnement. La rentabilité des exploitations à venir dépendra du prix du minerai sur le marché. Si les prix s'envolent, il faudra se poser la question de l'exploitation de mines terrestres aujourd'hui non exploitées faute de rentabilité, ainsi que de la recherche dans les profondeurs marines. Car il est une préoccupation stratégique première, celle de la souveraineté : si l'exploitation devait se trouver dans les mains de pays dont la politique n'est pas favorable aux intérêts de la France, il faudra diversifier, fût-ce en exploitant la ressource marine.

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