Intervention de Georges Patient

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 16 janvier 2013 : 1ère réunion
Présentation par mm. jean-étienne antoinette et georges patient sénateurs de la guyane d'une étude de législation comparée sur les régimes applicables en matière d'exploration et d'exploitation pétrolières offshore

Photo de Georges PatientGeorges Patient, président :

Dans le cadre de notre réflexion sur les enjeux des Zones économiques exclusives (ZEE), nous avons demandé aux services du Sénat de réaliser une étude de législation comparée sur le régime applicable à l'extraction des produits minéraux tirés des fonds marins.

Je vais vous présenter aujourd'hui, en compagnie de mon collègue Jean-Étienne Antoinette, le résultat de la première partie de cette étude, qui concerne le régime juridique de l'exploration et de l'exploitation pétrolières dans la ZEE et sur le plateau continental.

Cette étude tend à nous donner, vous l'aurez compris, des éléments de comparaison utiles dans le contexte des recherches qui ont lieu au large de la Guyane et dans la perspective de la réforme du code minier que M. Tuot a d'ores et déjà évoquée devant la commission du développement durable en décembre dernier.

Une seconde partie de l'étude, présentée sous la forme d'une autre note, nous sera remise courant février. Elle concernera les évolutions du régime de recherche et d'exploitation des ressources minérales sous-marines : nodules, encroûtements et sulfures hydrothermaux. Elle intéressera donc plus directement des territoires français situés dans le Pacifique.

Afin de clarifier le propos, nous vous proposons un exposé à deux voix. Dans la première partie, je vous présenterai le cadre général et les principes qui déterminent le régime de la recherche et de la production pétrolières dans la ZEE et sur le plateau continental. Puis, dans un second temps, notre collègue Jean-Étienne Antoinette insistera sur les principales conclusions que la comparaison qui nous est proposée permet de tirer de l'étude des législations de l'Australie, du Brésil, du Mexique, du Royaume-Uni et de la Norvège.

Commençons par le cadre général et la définition de la ZEE, du plateau continental et du régime français qui y est applicable

En vertu de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer de 1982, la ZEE s'étend au-delà de la mer territoriale jusqu'à 200 milles marins, soit 370 kilomètres des lignes de base. Ce chiffre est important car il suggère l'immensité du domaine couvert par ces zones pour la France.

La première carte qui vous est présentée montre l'extension des ZEE de l'ensemble des États du monde et celle de la France. À cette zone il convient d'ajouter le plateau continental qui s'étend jusqu'au rebord externe de la marge continentale. Il peut aussi être revendiqué par les États riverains. Sur ces deux aires, les États côtiers exercent des droits exclusifs : même s'ils n'exploitent pas eux-mêmes le tréfonds de la mer, nul ne peut en entreprendre l'exploitation sans leur autorisation. La loi n° 68-1181 du 30 décembre 1968 dispose d'ailleurs, pour la France, que toute activité entreprise sur ce plateau est subordonnée à la délivrance préalable d'une autorisation.

Ceci me conduit à vous rappeler les grands types de titres miniers qui sont délivrés dans notre pays en vertu du code minier. La législation de la recherche et de la production pétrolières françaises est incorporée - parfois plus mal que bien, j'y reviendrai - dans ce code minier, qui a été modifié à de nombreuses reprises et qui se trouve en cours de réforme.

Avant d'en venir aux titres miniers eux-mêmes, je souhaite vous rappeler l'existence de deux grands types d'activités dans les activités pétrolières :

- tout d'abord, l'exploration « préalable », qui est comme une première approche destinée à connaître les caractéristiques géologiques générales d'une zone ;

- puis l'exploration-production, qui est menée à bien dans une zone - on parle de « blocs à explorer et exploiter » - où existe une forte présomption de trouver du pétrole.

J'insiste sur la nécessité de lever toute équivoque sur la notion polysémique d'« exploration ». Selon les diverses législations étudiées, elle peut viser aussi bien des investigations « préalables » ou « superficielles » dont je viens de parler, que des recherches approfondies débouchant sur la production de pétrole, son « exploitation » qui viennent ensuite.

La France attribue, quant à elle, trois types principaux d'autorisations : l'autorisation de prospection préalable, le permis exclusif de recherche et la concession. Je les examinerai successivement.

L'autorisation de prospection préalable est accordée par l'autorité administrative sans mise en concurrence ni enquête publique et sans concertation locale, pour une durée qui ne peut excéder deux ans. Elle donne le droit non exclusif d'exécuter des travaux de recherches, à l'exception des sondages dépassant une profondeur de 300 mètres à partir du fond de la mer, mais ne permet pas de disposer du produit des recherches mis à part des échantillons ou des prélèvements. Elle permet d'effectuer une première approche du plateau continental pour savoir s'il serait intéressant d'effectuer des prospections plus approfondies. Elle permet d'accumuler des connaissances, des données qui pourront, du reste, être vendues à des explorateurs.

Le permis exclusif de recherche est accordé, après mise en concurrence, par l'autorité administrative compétente (le ministre au nom de l'État dans le cas général, et le président de la région en Guadeloupe, Guyane, Martinique, à La Réunion et à Mayotte) pour une durée maximale de cinq ans, sans enquête publique. Il est prorogeable deux fois de cinq ans sans nouvelle mise en concurrence.

Nous passons à la phase de production avec un dernier titre, la concession, qui est accordée après enquête publique réalisée conformément au chapitre III du code de l'environnement et mise en concurrence, sauf dans le cas où elle est consécutive à l'obtention d'un permis exclusif de recherche. Seul le titulaire d'un tel permis a le droit, s'il le demande avant l'expiration de ce titre, à l'octroi d'une concession sur les gisements exploitables découverts à l'intérieur du périmètre du permis. La concession est accordée soit par le Premier ministre par décret en Conseil d'État, soit par le président de la région en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte.

D'une durée maximale initiale de 50 ans, la concession peut être prorogée sans que chaque prorogation puisse dépasser 25 ans.

J'ajoute qu'en vertu d'une disposition adoptée à mon initiative dans la loi de finances rectificative pour 2011, à compter du 1er janvier 2014, pour les gisements en mer situés dans les limites du plateau continental, les titulaires de concessions de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux seront tenus de payer une redevance annuelle calculée sur la production. Elle sera déterminée en appliquant un taux progressif à chaque tranche de production annuelle. Ce taux sera fixé en fonction de divers paramètres : nature des produits, continent au large duquel est situé le gisement, profondeur d'eau, distance du gisement par rapport à la côte et montant des dépenses consenties pendant la période d'exploration et de développement, dans la limite de 12 %. Le produit de la taxe sera affecté pour 50 % à l'État et pour 50 % à la région dont le point du territoire est le plus proche du gisement.

Telles sont les principales caractéristiques du système français d'attribution des titres.

J'en viens à des considérations de nature plus « économique ».

En effet, en étudiant certaines des législations étrangères qui ont été votées au cours des dernières années, on constate que les pouvoirs publics de ces autres pays ont envisagé les diverses options qui s'offraient à eux pour l'établissement du cadre juridique, le plus souvent contractuel, des relations entre la puissance publique et les exploitants de champs pétrolifères.

Je m'inspirerai de plusieurs documents publiés par le Sénat du Brésil pour vous présenter les grands types de modes de gestion du pétrole.

Il existe dans le monde plusieurs grands « modèles » de gestion de la production pétrolière : le monopole, la concession et le contrat de partage de la production pour n'évoquer qu'eux. Je mentionnerai pour mémoire les contrats de service en vertu desquels une entreprise publique nationale rémunère une entreprise pétrolière pour une prestation donnée, et le contrat d'association ou joint venture par lequel une entreprise nationale crée un consortium avec d'autres entreprises.

Le monopole confié à une entreprise d'État correspond à une gestion directe par les pouvoirs publics.

La concession a, quant à elle, les caractéristiques suivantes :

- pendant une période donnée, tout le pétrole extrait appartient au concessionnaire ;

- en échange, le concessionnaire peut payer un « versement à la signature » (ce qui favorise les entreprises qui sont déjà des opérateurs du secteur, seules capables de verser celui-ci) ou chaque année des royalties en numéraire (et pas en pétrole) qui garantissent un revenu minimum à l'État calculé en fonction de la valeur du pétrole ;

En vertu d'un contrat de partage de la production :

- la propriété du pétrole extrait appartient à l'État ;

- l'exploitant perce les puits à ses frais et risques ;

- l'entreprise qui perce les puits est assurée, pendant une période donnée, de recevoir, en cas de succès, d'une part le remboursement en pétrole des coûts qu'elle a engagés et, d'autre part, une fraction de la production à titre de rémunération, l'État recevant l'autre fraction de la production.

La carte qui vous est présentée provient d'une étude récente réalisée au Brésil à l'occasion de la discussion de la loi sur les contrats de partage de production.

Elle montre les pays qui recourent à des systèmes qui s'inspirent du régime de la concession, ceux qui recourent à des contrats de partage de la production et, enfin, ceux qui recourent aux deux dispositifs.

Pour la réalisation de l'étude qui nous est soumise, on a choisi d'étudier cinq États divers, compte tenu des compétences linguistiques dont dispose le Sénat - l'étude repose sur des documents en langue originale, hormis pour la Norvège où l'on s'est fondé sur le texte en anglais publié par les autorités d'Oslo. Ont été retenus le Brésil, du fait de sa proximité avec la Guyane et du caractère innovant de sa législation ; le Mexique parce qu'il présente le cas original de maintien d'un monopole historique ; et enfin l'Australie, la Norvège et le Royaume-Uni, qui s'avèrent particulièrement actifs en matière d'exploitation pétrolière.

Je vous propose, avant de conclure mon propos, de souligner les grands thèmes qui me paraissent devoir être pris en compte dans la réflexion relative à l'évolution de la législation française sur la recherche et l'exploitation pétrolières.

La question primordiale est la suivante : existe-t-il un intérêt à disposer d'une législation pétrolière spécifique ? Ceux d'entre nous qui ont lu le code minier savent que les développements qu'il consacre au pétrole sont « noyés » parmi ceux relatifs au sable, à la marne et aux granulats...

Bref, que l'on s'interroge sur la façon dont il est lu par les professionnels... Il serait légitime de clarifier cette législation pour que les opérateurs, mais aussi les citoyens et les défenseurs de l'environnement sachent « sur quel pied danser ».

La seconde question qui saute aux yeux lorsque l'on étudie les législations étrangères est de savoir si les procédures de gestion du domaine minier qui peut contenir du pétrole sont assez incitatives : la loi facilite-t-elle la connaissance des ressources ? Encourage-t-elle leur exploitation ? Ou permet-elle le « gel » des zones accordées et la perpétuation de situations acquises ?

Corollaire de ces questions : de qui doit relever l'initiative de l'exploration pétrolière ? De l'État ou des entreprises ? Le sujet est loin d'être anodin puisqu'il traduit l'existence - ou l'absence - de politique en la matière.

Troisième grand « point de passage obligé », la nécessité de protéger l'environnement, qui constitue une préoccupation de base, unanimement partagée : il convient d'optimiser les conditions dans lesquelles les consultations relatives à l'autorisation de l'exploitation pétrolière sont menées.

Je vous rappelle que nous raisonnons ici sur des zones qui, si elles sont inhabitées et situées jusqu'à 370 kilomètres des côtes, peuvent avoir une grande importance pour la pêche, pour les activités côtières mais aussi pour la biodiversité et la vie des mammifères marins. À l'ère de la transparence, les modalités d'information, de consultation et de contribution du public aux procédures d'autorisation sont donc essentielles.

Le quatrième volet qui m'apparaît incontournable concerne le degré de concurrence qu'il convient d'instituer entre les opérateurs. Nous verrons qu'il s'agit d'une préoccupation d'intensité variable selon les pays. Sur ce point, le législateur doit arbitrer entre la volonté de préserver les intérêts de l'État et celle de développer l'activité économique. L'expérience prouve en effet que les États ne peuvent se désintéresser de la gestion du « cycle de vie » des champs pétroliers, des sondages « d'exploration » au démantèlement des plates-formes. Il est par conséquent nécessaire de prévoir les conditions dans lesquelles, sans se substituer à l'initiative privée, l'État peut « réguler » l'exploitation pétrolière et les modalités concrètes des opérations sur le terrain.

Enfin, la dernière préoccupation qui m'apparaît incontournable est celle qui concerne les retombées de la « rente » pétrolière sur les collectivités et sur les populations des régions côtières. Je sais, du reste, que cette préoccupation est partagée par plusieurs de nos collègues, dont mon ami Jean-Étienne Antoinette à qui je cède la parole afin qu'il nous présente de façon détaillée les conclusions de l'étude des législations des cinq États qui ont été analysées.

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