Je travaille à l'INRA et j'ai coordonné ce travail réalisé entre 2006 et 2008 sur les nouvelles ruralités à horizon 2030. Je vous propose de passer en revue les différents scénarios et d'évoquer les présupposés et tendances fortes. Nous regarderons les changements survenus depuis 2008 et la manière dont ils affectent chacun des scénarios élaborés. Nous tenterons d'éclairer les enjeux spécifiques qu'ils soulignent.
Nous avions pris comme base de réflexion le fait que les ruralités sont entrées dans l'ère des mobilités. Cela se traduit par plusieurs facteurs :
· L'accroissement des migrations résidentielles vers les espaces ruraux. Les données de l'INSEE sont très explicites sur le sujet ; elles retracent une augmentation de 0,7 % par an de la croissance de la population dans les espaces ruraux contre 0,5 % dans les pôles urbains. Du point de vue des représentations des ruralités, nous assistons à la fin d'une représentation par l'exode rural, même si des disparités territoriales subsistent en France. Nous sommes entrés dans l'ère de l'attractivité des campagnes.
· L'augmentation des mobilités physiques au sens des déplacements. Il s'agit des mobilités journalières entre le domicile et le travail. Cette dissociation entre le lieu de travail et le lieu de résidence est en train de transformer le territoire. Je pense également aux mobilités liées aux loisirs et à l'accessibilité aux services.
Les ruralités, à travers ces mobilités, s'intègrent aujourd'hui dans d'intenses relations entre ville et campagne. Ce constat est un élément fondamental de notre démarche.
Je souhaite aborder un deuxième point : les ruralités aujourd'hui ne sont plus monofonctionnelles. Nous avons tendance à penser les ruralités en référence à une activité sectorielle, à savoir l'agriculture et l'agroalimentaire qui restent très prégnantes en termes d'occupation de l'espace. Pour autant, aujourd'hui, les ruralités sont devenues plurifonctionnelles : à côté de la production agricole, les ruralités intègrent également des fonctions liées à la nature, aux écosystèmes, au cadre de vie et au patrimoine.
La première conséquence de cette transformation vers une plurifonctionnalité réside dans la caractérisation économique de l'emploi sur les territoires ruraux. L'activité agricole ou alimentaire n'est plus l'activité principale qui correspond aujourd'hui à environ 10 % ou 15 % des emplois. Dans les territoires ruraux comme ailleurs, l'économie résidentielle reste l'activité la plus importante et représente 40 % des emplois environ.
La seconde conséquence est que l'évolution de l'agriculture elle-même se poursuit. Elle se spécialise régionalement avec des bassins de production de plus en plus marqués et des formes d'organisation et d'exploitation de l'agriculture qui se dualisent : l'agriculture de type familiale se maintient et l'agriculture de firme se développe.
Enfin, cette approche fonctionnelle des ruralités renvoie fréquemment à un raisonnement en termes de coexistence des différentes fonctions. J'attire votre attention sur l'hybridation des fonctions et non pas seulement leur coexistence. Il est important d'observer la manière dont ces fonctions sont imbriquées et participent de la fabrication du territoire. L'enjeu pour l'avenir est de savoir comment renforcer des synergies entre ces différentes fonctions.
Nous avons identifié quatre scénarios qui se situent dans un contexte général de métropolisation :
· Les campagnes de la diffusion métropolitaine. Ce scénario fait l'hypothèse de l'émergence métropolitaine et de l'intégration des campagnes dans ces grandes aires. Ces campagnes connaissent de fortes dynamiques résidentielles et de mobilité entre le domicile et le lieu de travail. Leur paysage est très fragmenté. Elles sont caractérisées par une économie résidentielle peu qualifiée.
· Les campagnes intermittentes. Ce scénario s'appuie davantage sur un changement des modes de vie. La mobilité devient notamment un véritable mode de vie. La population s'efforce de profiter tant des avantages de la ville que de ceux de la campagne. Ces dernières sont caractérisées par un riche patrimoine naturel ou culturel. Dans ce modèle, l'accès aux technologies de l'information est très important, notamment pour l'activité professionnelle.
· Les campagnes au service de la densification urbaine. C'est un scénario de rupture. Cette rupture très forte dans les mobilités individuelles transforme les phénomènes de périurbanisation qui se poursuivaient jusque-là. Les campagnes deviennent fournisseurs d'énergie, de biens alimentaires et de services pour les métropoles.
· Les campagnes dans les mailles des réseaux de villes. Ce scénario imagine que les territoires se structurent autour de réseaux de ville qui s'imbriquent aux espaces ruraux, avec des territoires qui favorisent la qualité de vie. Un équilibre économique coexiste entre des activités productives, dont les activités agricoles, et des dynamiques résidentielles.
Quels changements sont survenus depuis la définition de ces quatre scénarios en 2008 ?
A propos du premier scénario, et d'après les données de l'INSEE, nous constatons un agrandissement des aires urbaines. Nous assistons à l'apparition de ruralités métropolitaines avec la structuration à échelle très large de véritables régions métropolitaines. De nombreuses questions surgissent face à ce phénomène et posent un problème en termes de mobilité, de gestion des écosystèmes, de fragmentation des espaces et de maintien de l'activité agricole. Mais ce type de territoire est plébiscité par les résidents.
Concernant le deuxième scénario, les mobilités dans ces campagnes patrimonialisées se maintiennent, voire s'accroissent. Elles sont liées à des mobilités touristiques nationales et internationales.
Je ne constate pas d'évolution spécifique concernant le scénario 3. Les questions de l'alimentation et de l'énergie qui sont centrales dans ce scénario se généralisent à l'ensemble des scénarios.
Enfin, j'observe que la croissance des communes rurales se poursuit de manière soutenue. En parallèle, les villes moyennes connaissent des difficultés. Ce dernier scénario est également affecté par une baisse de l'activité industrielle dans les territoires ruraux. Quelle va être la robustesse des réseaux de villes dans le contexte actuel de crise ? Quelle sera la capacité de ces réseaux à fournir un accès aux services et à l'emploi ? Comment ces réseaux de villes et ces territoires vont réussir à se doter de lieux de structuration et de planification, d'ingénierie territoriale et de lieux de conservation qui permettent aux différents acteurs du territoire d'entrer dans un véritable projet ?