Territoires 2040 a regroupé sept, voire huit groupes de travail. Nous avons interrogé le territoire national en l'analysant au travers des fonctions que certains types d'espaces remplissent.
Nous sommes partis du constat que la multiplication et l'intensification des échanges sur les territoires rendaient la réflexion par type de territoire très difficile. Nous avons senti la nécessité d'inventer de nouvelles catégories qui permettent de penser de manière prospective des espaces qui associent ces différents territoires. Par exemple, je fais référence au travail de Michel Lussault pour lequel il ne s'agit pas simplement de penser à l'avenir des grandes agglomérations, mais bien à l'avenir de ces grandes agglomérations en interaction avec l'ensemble des territoires qui constituent leur hinterland. C'est bien à travers cette interaction et les dynamiques qui se nouent que l'on peut comprendre l'évolution du système territorial. Tous ces travaux sont disponibles sur le site de la DATAR, Territoires 2040. Je ne vais pas revenir sur ce sujet.
Je souhaite davantage attirer votre attention sur les questions que ces travaux nous posent. Elles n'émanent pas en effet d'une vision de la DATAR, mais de la recension et de la pensée d'experts réunis dans un collectif de plus de cinq cents personnes, lesquelles ont produit des interpellations prospectives et stratégiques. Ce groupe s'est penché de très près sur l'évolution des campagnes françaises et s'est intéressé aux espaces de faible densité. Présidé par Laurence Barthe, il a bâti des scénarios. Je ne vais pas les décrire en détail car toute démarche prospective mène à la définition de scénarios. Nous retrouvons des sujets communs avec les scénarios évoqués par Olivier Mora, tels que la faible densité absorbée par exemple. La campagne se densifie autour des villes.
Les systèmes entreprenants sont ces territoires ruraux qui, à travers de nouvelles pratiques, sont producteurs d'innovation et d'hybridation. Ils inventent de nouvelles façons de vivre qui peut-être renouvellent les territoires ruraux, et sans doute nos urbanités. C'est un point important. Je pense aussi aux archipels communautaires, avec une logique ségrégative : les personnes choisissent de vivre ensemble dans une logique d'exclusion à travers la recherche d'entre soi. Je pense également aux plates-formes productives, à savoir ces espaces ruraux qui se spécialisent dans la production agroalimentaire et qui constituent un support technique aux espaces urbains qui croissent et grandissent.
Ce sont des situations territoriales possibles, plus que des scénarios. Nous les détectons déjà sur certains territoires.
A travers ces situations territoriales, nous souhaitons interroger les enjeux qu'elles posent aux politiques d'aménagement du territoire et aux politiques plus globalement. Je précise au préalable que la démographie et son retournement, qui a eu lieu dans les années 1990-2000, nous interrogent beaucoup sur l'évolution des campagnes. Nous avons constaté une croissance de quasiment tous les espaces ruraux en termes de population. Cela nous permet de parler de la fin de l'exode rural.
Nous pouvons toutefois nous demander si cet exode rural est véritablement terminé. Les populations les plus jeunes cessent-elles de quitter les campagnes ? L'installation de retraités et de professionnels à la campagne prouve-t-elle la fin de cet exode ?
En second lieu, je rappelle que l'on parle souvent en pourcentage, en citant le chiffre de + 0,5 %, à propos de la croissance de la population rurale, comme Olivier Mora l'a rappelé.
Néanmoins, nous ne sommes pas tout à fait sur le même ordre de grandeur. En effet, 0,5 % de 60 % de la population, si j'exclus le périurbain, est un chiffre différent de 0,7 % de 40 % de la population (30 % de périurbain et 10 % d'espaces ruraux). La croissance de la population française aujourd'hui est avant tout urbaine et dans les grandes agglomérations. Elle ne se situe pas dans les espaces ruraux. Il est important de rappeler ce point.
Le premier enjeu que nous proposons à la réflexion est le suivant : nous partons du constat que l'on ne peut plus penser l'évolution des espaces ruraux indépendamment les uns des autres et indépendamment des grandes métropoles. Le territoire français se structure en effet de plus en plus en vastes espaces métropolitains urbanisés qui intègrent ces espaces de campagne. Ils s'inscrivent dans des trajectoires et destinées communes. Comprendre aujourd'hui l'évolution des espaces ruraux ou des campagnes, c'est nécessairement la comprendre en fonction de l'évolution de ces grands espaces métropolisés. Une question centrale se pose par ailleurs, concernant la mise en capacité de ces territoires nouveaux. En effet, nous raisonnons en termes de vastes systèmes territoriaux, régionaux ou interrégionaux, dont le fonctionnement repose non pas seulement sur le succès et le développement de chaque territoire, mais sur la cohérence et la complémentarité de tous ces territoires entre eux.
Cette question peut d'ailleurs être précisée : comment mettre en capacité ces territoires nouveaux, non pas simplement pour qu'ils connaissent une dynamique endogène qui leur soit propre, mais aussi pour qu'ils s'inscrivent dans une dynamique de systèmes beaucoup plus globaux ?
Nous n'imaginons pas, par ailleurs, ces différents scénarios diversifiés de manière exclusive les uns des autres. Dans Territoires 2040, les scénarios évoqués peuvent se produire en différents lieux du territoire de manière assez limpide. Dès lors, les espaces de faible densité peuvent entrer dans des logiques de développement très différentes les unes des autres.
Jusqu'à aujourd'hui, nous avons pensé le développement des territoires de manière assez homogène. Est-ce que cette pensée adoptée dans les années 80 est encore pertinente aujourd'hui compte tenu de l'extrême hétérogénéité des territoires ? Le modèle de développement territorial qui reposait à la fois sur l'accueil de population et d'entreprises est-il un modèle qui peut encore être promu pour l'ensemble des territoires français ? Sur les territoires les plus éloignés par exemple, ce modèle est-il valable sachant que d'après les données de l'INSEE, ces territoires perdront une partie de leur population ? L'ouvrage de Laurent Davezies pose la question de la pérennité de ce modèle et de l'équilibre des territoires.
Le troisième défi est le suivant : ces dernières années, l'aménagement du territoire s'est opéré tant par les pratiques des usagers que par les politiques d'aménagement du territoire. La périurbanisation n'est pas nécessairement liée à des dispositifs d'aménagement mais plutôt à un défaut de régulation à travers les politiques dédiées. A travers leurs pratiques, les usagers se sont installés en zones rurales et travaillent en zones urbaines. Demain, l'avenir des politiques d'aménagement ne passera-t-il pas par la prise en compte à la fois des usagers et des usages ? Cela permettrait de renforcer l'égalité entre les citoyens.