La proposition de loi qui nous est de nouveau soumise l'est dans la version adoptée en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, et sous un nouvel intitulé.
Initialement adoptée par les députés le 4 octobre dernier, cette proposition de loi a été rapportée par M. Roland Courteau devant notre commission, qui a adopté le 23 octobre, sur proposition du groupe CRC-SPG, une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. Vous avez bien voulu me désigner pour remplacer notre rapporteur. En séance publique, le Sénat a confirmé le vote de la motion et rejeté le texte. La CMP, réunie le 19 décembre, a rapidement constaté que les positions des deux assemblées ne pouvaient être conciliées. Par conséquent, l'Assemblée nationale a été une nouvelle fois saisie du texte qu'elle avait adopté : elle l'a voté à nouveau, avec modifications, le 17 janvier dernier. C'est ce texte qui est soumis une nouvelle et dernière fois au Sénat. Si la Haute Assemblée rejette ce texte, ou l'adopte avec des modifications, l'Assemblée nationale pourra être saisie pour une lecture définitive. Elle reprendra alors le texte qu'elle a adopté en nouvelle lecture, modifié éventuellement par un ou plusieurs amendements adoptés au Sénat.
La procédure, qui donne le dernier mot à l'Assemblée nationale, ne prive pas le Sénat de tout pouvoir. Il est seul à pouvoir proposer d'ultimes modifications, que les députés pourront reprendre, mais non modifier. Le Gouvernement ne pourra déposer d'amendements à l'Assemblée nationale ; il ne peut le faire que lors de l'examen en séance publique au Sénat. Plus que d'entonnoir, on peut presque parler de seringue !
La nouvelle lecture est peu fréquente. Nous l'avons pratiquée l'année dernière sur le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire, mais dans des circonstances particulières. Ce fut même un record de vitesse ! Aujourd'hui, les délais impartis autorisent un nouvel examen approfondi...
L'Assemblée nationale a apporté d'importantes améliorations à sa rédaction de première lecture, faisant preuve d'une capacité d'écoute des observations extérieures. Le rapporteur a proposé pour l'article 1er, qui instaure un système de bonus - malus dans la consommation domestique d'énergies de réseau, une rédaction nouvelle qui évite les principaux inconvénients de la précédente : le croisement des données des fournisseurs avec celles de l'administration fiscale, source importante de coûts et d'erreurs, a été abandonné ; les critères de calcul des volumes de base ont été rationalisés et simplifiés ; les modalités de partage du malus entre propriétaires et locataires, légitime mais impossible à mettre en oeuvre, ont été retirées ; un délai plus réaliste a été retenu, avec une première application en 2016 sur les consommations de 2015. Les députés ont retenu certains des principes proposés par notre rapporteur en première lecture : le volume de base, notion cruciale qui détermine l'application du malus, est désormais calculé sur la base de statistiques objectives ; le malus le plus important n'est appliqué que pour une consommation supérieure au triple de ce volume de base.
Néanmoins, ce texte peut encore être amélioré. Le bonus n'a guère d'effet incitatif, il n'entre pas vraiment dans l'objet de cette loi. Il ne profitera que peu aux ménages modestes, qui vivent rarement dans des maisons « dernier cri » à basse consommation. Le malus, en revanche, est susceptible d'inciter réellement à réduire les consommations trop élevées.
Je reprends donc l'idée avancée par Roland Courteau : consacrons les quelques centaines de millions d'euros que produira chaque année le malus à l'amélioration de la performance énergétique de l'habitat, en visant par priorité les logements occupés par des ménages à faibles revenus. L'Agence nationale de l'habitat (ANAH), les services sociaux et l'Agence de l'environnement de la maîtrise de l'énergie (Ademe) aideront à les identifier. Le malus revêt ainsi l'aspect d'une taxe qui rend la facture progressive selon le volume consommé, mais ce, sans modifier le tarif lui-même, conformément à l'engagement du Président de la République. Puisque nous supprimons le bonus sur la tranche de consommation inférieure au volume de base, annulons le premier malus sur la tranche intermédiaire, pour ne pas pénaliser les ménages qui n'ont pas une consommation exagérée. Mieux vaut instaurer un mécanisme d'alerte lorsque la consommation dépasse 250 % du volume de base, une sorte de carton jaune qui sera mis en oeuvre par un organisme défini par décret.
Je propose aussi de remplacer le mécanisme de collecte généralisée des données par un système plus ciblé et moins coûteux : 20 millions d'euros environ au lieu de 50. Il suffira d'envoyer un courrier lorsque la consommation dépasse un certain niveau : si le ménage peut expliquer ce dépassement, par le nombre de personnes hébergées par exemple, le malus ne sera pas appliqué.
La politique énergétique ne consiste plus seulement à chercher davantage de sources d'énergie, mais aussi à explorer les gisements d'économies ou les transferts d'énergie entre usages, par effacement. Le logement représente 32,2 % de la consommation finale d'énergie en France, il doit donc être visé en priorité, d'autant que les techniques de rénovation sont bien maîtrisées. La tâche est considérable. Elle requiert des financements, bien sûr, mais aussi une mobilisation politique. La proposition de loi la facilite, par le dispositif que nous venons d'examiner ainsi que par la création à l'article 6 d'un service public de la performance énergétique de l'habitat.
Ce texte comporte en outre deux séries de dispositions à caractère social. L'article 3 a pour objet de mieux atteindre la cible des quatre millions de ménages concernés par la précarité énergétique. En effet, comme le note la fondation Abbé Pierre dans son dernier rapport, « l'efficacité des tarifs sociaux du gaz et de l'électricité reste limitée et ne permet pas de sortir les ménages de la précarité ». Les difficultés de paiement du loyer ou des factures d'énergie sont le premier déclencheur des demandes d'aides adressées aux centres communaux d'action sociale. Le Gouvernement a pris les mesures réglementaires pour étendre le bénéfice des tarifs sociaux à 400 000 nouveaux ménages. La proposition de loi est nécessaire pour aller plus loin.
L'article 8 interdit aux fournisseurs, pendant les mots d'hiver, de couper l'approvisionnement en énergie ou, grâce à une proposition de M. André Chassaigne, de résilier l'abonnement. Cette nécessaire trêve hivernale est-elle suffisante ? Un consommateur peut toujours se retrouver sans fournisseur, si celui-ci résilie son contrat à l'approche de l'hiver. Faut-il envisager un fournisseur de dernier secours, l'énergie n'étant pas un bien comme les autres ? J'ai écouté des représentants d'EDF à ce sujet : EDF est, en pratique, le fournisseur de dernier secours. Il reprendra l'abonné dont le contrat aurait été résilié par un autre fournisseur d'accès, avec par exemple un volume délimité.
La composition du collège de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été à nouveau revue et nous satisfait mieux : les qualifications demandées aux membres correspondent davantage aux priorités de la nouvelle politique de l'énergie.
Le mécanisme de valorisation de l'effacement a été également réécrit : désormais soutenu à travers la contribution au service public de l'électricité en fonction de ses avantages pour la collectivité, il n'est plus une simple question de relations entre opérateurs et fournisseurs sous le regard du régulateur. La France se dote ainsi d'un instrument novateur et ambitieux pour le développement de l'effacement.
Les mesures relatives aux règles d'implantation des éoliennes ont été améliorées, les députés ayant repris, sur amendement du gouvernement, une proposition faite par votre rapporteur en première lecture : l'autorisation d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) devra tenir compte du schéma régional éolien (SRE). De nombreux élus sont perplexes au sujet de la suppression des zones de développement de l'éolien (ZDE), mais celles-ci ne fonctionnent pas. Sans doute sont-elles trop complexes. Il suffit, paraît-il, d'un bon conseiller juridique pour les faire annuler. Du reste elles ne concernent que l'application du tarif d'achat, et n'interdisent pas en elles-mêmes la construction d'un parc.
La véritable autorisation administrative est donnée dans le cadre de la réglementation ICPE et sous la forme du permis de construire. L'autorisation ICPE associe tous les acteurs, en particulier les communes et la commission départementale des sites. Elle prend réellement en compte l'impact sur le paysage. Quant aux permis de construire délivrés par le préfet, je rappelle que celui-ci est lié par les règles d'urbanisme définies au niveau communal. On n'accroît pas le rôle des communes en multipliant les procédures, c'est plutôt l'inverse lorsque la procédure est fragile, or tel est le cas avec les ZDE...
Je m'interroge néanmoins sur la suppression de la règle dite des cinq mâts, introduite par un amendement de M. Ollier. Cette règle n'est pas la panacée : elle ne prend pas en compte les spécificités des territoires et elle limite de manière exagérée la réalisation du potentiel éolien de notre pays - nous ne construisons chaque année que la moitié de ce qui serait nécessaire pour atteindre les objectifs fixés pour 2020. Cela dit, elle contribue à limiter l'impact sur le paysage et à mieux gérer les raccordements via les terres agricoles. Nous avions envisagé, lors du débat sur le Grenelle II, un seuil de trois mâts. Faut-il y revenir ? Débattons-en au cours de l'examen en séance publique...
Le texte de cette proposition de loi a été largement remanié sur les aspects qui avaient motivé son rejet initial par le Sénat. Il est plus juste, plus équilibré, plus complet.