Intervention de Isabelle Pasquet

Réunion du 12 février 2013 à 14h30
Diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports — Article 23

Photo de Isabelle PasquetIsabelle Pasquet :

L’activité et l’emploi maritimes n’ont cessé de reculer en France depuis de trop nombreuses années. Cette situation est en train de s’aggraver, notamment en raison des distorsions de concurrence entre armateurs engendrées par l’existence, en Europe, de véritables pavillons de complaisance.

Pour certaines activités, les compagnies ou entreprises d’armement basées ou établies en France restent tenues d’immatriculer leurs navires sous le pavillon du premier registre français. Cette obligation assure un haut niveau de garanties tant en matière de sécurité qu’en termes de droits des salariés – je songe aux transports de passagers assurant des liaisons régulières intracommunautaires, au cabotage national, à l’assistance portuaire, ou aux navires de pêche professionnelle. A contrario, les entreprises basées dans un autre État membre peuvent immatriculer leurs navires sous des pavillons bis équivalant à des pavillons de complaisance.

Nombre d’entreprises d’armement remplacent des équipages de marins sous statuts nationaux par des marins communautaires ou issus de pays tiers, afin de les employer à bas coût et à des conditions sociales minimales, selon les normes internationales en vigueur.

Dans une Europe guidée par l’austérité et la compétitivité, ces normes minimales se sont évidemment étendues à de nombreux pays de l’Union, dont la France, notamment via la création de pavillons sous registre international. Le but est d’harmoniser l’emploi du secteur maritime international au sein de l’Union européenne sur le modèle des pays tiers, sur fond de mondialisation et de libéralisation des échanges.

Inquiets pour l’avenir de la filière française et des métiers de la mer, les représentants de la CGT des marins ont dressé ce constat devant nous il y a quelques mois : au vu des pratiques et infractions constatées avec l’utilisation de pavillons étrangers équivalents au registre international français, le RIF, dans ces secteurs, des distorsions de concurrence structurelles se créent inévitablement, et emportent de lourdes conséquences.

Ces pavillons 40 % moins chers, qui ne respectent pas le droit social français et les obligations fiscales françaises, appliquent à l’emploi de marins dans les vingt-sept pays de l’Union européenne et de l’espace extracommunautaire des contrats précaires via des sociétés de manning, c'est-à-dire d’intérim.

La loi relative à la création du RIF a, pour sa part, permis aux armateurs français qui opèrent au long cours, dans les secteurs ouverts à l’international, de disposer de navires battant pavillon français sans plus aucun marin français à bord et, bien entendu, dans des conditions sociales minimales et précaires. Le résultat est le suivant : près de 1 000 emplois de marins français ont déjà disparu sur ces navires entre 2009 et 2010 – ce sont les chiffres de l’Établissement national des invalides de la marine, l’ENIM – malgré 75 millions d’euros par an d’aides sociales et près de 200 millions d’euros d’exonérations fiscales au titre de la taxe au tonnage, accordés aux armateurs français ou reconnus comme tels.

Alors même que notre pays est toujours plus dépendant des transports maritimes et que l’économie maritime connaît un plein essor à l’échelle mondiale, certains prétendent que la mauvaise santé de la filière tiendrait à l’insuffisante compétitivité de nos entreprises maritimes.

Nous ne pouvons pas souscrire à une telle analyse qui pousse à déréglementer toujours davantage. Ce processus revient à aligner nos conditions d’activité et d’emploi sur le « standard international », celui de la défiscalisation complète de l’activité et du contrat de travail international comme seul régime social des salariés, avec un plancher de rémunération fixé à 520 dollars par mois.

Il est nécessaire et urgent que la France porte, au niveau européen, l’exigence d’une législation commune à tous les États membres dans ces secteurs.

Parallèlement, pour ce qui concerne les activités exclues du RIF, mais également les transports maritimes entre États membres qui relèvent du droit international, nous devons porter la réflexion sur la création d’un pavillon européen équivalent au pavillon français de premier registre, garantissant une haute protection sociale aux gens de mer tout en évitant toute distorsion de concurrence sociale et fiscale.

C’est à ce niveau qu’il faut lutter contre les pavillons de complaisance et responsabiliser, sur les plans social et environnemental, les multinationales du commerce maritime ainsi que les armateurs. C’est l’avenir de toute une filière qui est en jeu.

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