Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte examiné aujourd’hui et déposé par notre collègue Gérard Miquel, en apparence modeste, aura en pratique des conséquences majeures pour la politique environnementale et le recyclage des déchets en France.
Le dispositif proposé apporte un aménagement au système des filières de responsabilité élargie du producteur. Pour mémoire, la REP pose le principe selon lequel toute personne qui produit ou détient des déchets est tenue d’en assurer ou d’en faire assurer la collecte, la valorisation et l’élimination. Il s’agit de mettre en œuvre le principe du pollueur-payeur.
La réglementation européenne s’est très tôt emparée du sujet. La directive de 1975 sur les déchets prévoyait déjà que le coût de l’élimination des déchets devait être assuré en partie par le producteur du produit générateur de déchets.
En France, la loi du 15 juillet 1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux a introduit le principe de responsabilisation des producteurs, en ces termes : « Il peut être fait obligation aux producteurs, importateurs et distributeurs des produits de pourvoir ou de contribuer à l’élimination des déchets qui en proviennent. »
Deux possibilités s’offrent donc aux producteurs : mettre en place eux-mêmes un système de collecte et de traitement ou adhérer à un éco-organisme agréé, auquel ils délèguent ces activités.
Cette responsabilité a été qualifiée par l’OCDE de « responsabilité élargie du producteur ». Les objectifs sont simples.
Il s’agit, premièrement, de transférer la charge du traitement de certains déchets des collectivités vers les metteurs sur le marché, donc des contribuables vers les consommateurs.
Il s’agit, deuxièmement, de prévenir l’impact des produits sur la création de déchets en favorisant l’éco-conception par les producteurs.
Il s’agit enfin, troisièmement, de développer le recyclage par le biais d’objectifs chiffrés à atteindre pour chaque filière.
Seize filières existent aujourd’hui en France, et quatre nouvelles viennent d’être lancées ou sont en cours de lancement. Il sera question aujourd’hui de celle des déchets d’équipements électriques et électroniques, ou DEEE.
Les déchets d’équipements électriques et électroniques sont divers. Ils comprennent, par exemple, les gros appareils ménagers, froid et hors froid, les petits appareils en mélange, les écrans, ou encore les lampes.
La création d’une filière de recyclage spécifique a été imposée par la réglementation européenne, avec la directive Déchets du 27 janvier 2003, transposée par le décret du 20 juillet 2005. Une directive récente, de 2012, en cours de transposition, a remanié ce premier texte. Pour l’essentiel, ces textes imposent la collecte sélective des DEEE, avec un objectif de collecte et de valorisation de 4 kilogrammes par habitant et par an en 2006, et une obligation de reprise gratuite des anciens appareils lors de la vente d’un nouvel appareil similaire.
La filière française de recyclage est entrée en vigueur le 15 novembre 2006 pour les DEEE ménagers. Cette filière repose sur quatre éco-organismes agréés par les pouvoirs publics et à but non lucratif, notamment Eco-systèmes.
Selon les chiffres recueillis par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, pour 2011, la filière des DEEE représente un fort gisement de valorisation : 1, 44 million de tonnes d’équipements ont été mis sur le marché en France ; 193 millions d’euros ont été perçus par les quatre éco-organismes, dont 74 % pour Eco-systèmes, afin de traiter les DEEE ; près de 450 000 tonnes ont été collectées, soit 6, 9 kilogrammes par habitant et par an.
Les éco-organismes ont reversé en 2011 un total de 32 millions d’euros à leurs partenaires de collecte, dont 19 millions aux collectivités territoriales et 5, 5 millions aux acteurs de l’économie sociale et solidaire. L’existence de cette filière REP a par ailleurs représenté un total de 70 millions d’euros de coûts évités pour les collectivités, du fait de la prise en charge opérationnelle de la collecte et du traitement des appareils usagés par les éco-organismes.
La REP en matière de DEEE représente enfin une filière d’emploi à part entière, notamment dans l’insertion, avec plus de 3 500 emplois, dont 1 500 dans l’économie sociale et solidaire.
Dans ce cadre, le texte vient aménager l’une des spécificités de la filière : l’éco-contribution visible et répercutée à l’identique au consommateur final.
La filière des DEEE doit en effet faire face à une problématique spécifique : celle du stock de DEEE historiques, ces déchets qui n’ont pas fait l’objet d’une éco-participation, dans la mesure où ils ont été mis sur le marché avant le 13 août 2005. Ces déchets historiques représentent actuellement 93 % des collectes.
Pour les équipements électriques mis sur le marché aujourd’hui, il existe une internalisation par les metteurs sur le marché des coûts de recyclage et de valorisation. Cette internalisation se traduit notamment par leur contribution financière aux éco-organismes.
Pour les déchets historiques, le risque était grand que les producteurs aient des difficultés à répercuter ces coûts très importants sur l’aval de la filière, du fait des rapports de force existant dans la distribution. Ils auraient donc cherché à minimiser leur contribution à la collecte des déchets historiques, ce qui aurait mis en péril le traitement.
La loi a donc instauré, à l’article L. 541-10-2 du code de l’environnement, un régime obligeant les producteurs à afficher, sur une ligne distincte de leurs factures, le montant des éco-contributions supportées, et ce pour tous les maillons successifs de la chaîne de distribution, sans marge ni réfaction, jusqu’au consommateur final.
Toutefois, ce dispositif de répercussion à l’identique et affichée au consommateur prendra fin le 13 février 2013.
Or les études des flux de déchets ont montré que le taux de présence des déchets historiques parmi les DEEE collectés est encore à ce jour très élevé : il était en 2011 de 83 % pour les petits appareils ménagers et de 96 % pour les écrans et gros appareils électroménagers de froid.
Sur la base d’un scénario de décroissance du taux de déchets historiques de 5 % par an, ce taux resterait supérieur à 50 % jusqu’en 2019 inclus. Ce n’est qu’ensuite que les produits neufs subventionneraient majoritairement le traitement des déchets issus de produits neufs, et non des déchets historiques. C’est donc seulement à compter de cette date que le système institué à l’article L. 541-10-2 du code de l’environnement pourrait prévoir un retour au système de droit commun.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui proroge ce mécanisme de répercussion à l’identique de l’éco-participation et de son affichage au consommateur final jusqu’au 1er janvier 2020, afin de tenir compte de la lente décroissance de la part des DEEE historiques dans les collectes.
Son article unique corrige également une erreur matérielle : le décret prévu à l’alinéa 4 de l’article L. 541-10-2 du code de l’environnement ne doit en effet porter que sur cet alinéa, et non sur l’ensemble de l’article.
Je crois qu’on ne peut que souscrire àl’objectif visé par ce texte, qui est de consolider une filière de recyclage en plein développement, en garantissant ses moyens financiers.
La commission du développement durable, réunie le 6 février dernier, a unanimement voté cette proposition de loi.
Elle a toutefois adopté un amendement de cohérence afin de faire concorder la nouvelle version de l’article L. 541-10-2 issue de l’ordonnance du 11 janvier 2012 avec le dispositif introduit par la présente proposition de loi.
Je conclurai donc en insistant sur le fait que la contribution visible, répercutée à l’identique du producteur jusqu’au consommateur final, est essentielle. Elle évite l’application de marges à chaque étape de la commercialisation du produit et permet de minimiser les coûts de fin de vie, tout en garantissant un traitement de qualité. Le consommateur final finance la fin de vie de son produit, et non pas une partie des bénéfices des fabricants et revendeurs d’équipements.
Le régime de la contribution visible obligatoire a aussi permis, ces dernières années, non seulement de mieux sensibiliser et informer nos concitoyens, mais aussi de sécuriser les ressources des éco-organismes agréés et de leur donner la visibilité nécessaire pour structurer la filière de recyclage.
La disparition prématurée de la contribution visible risquerait non seulement de contraindre la filière de DEEE française à revoir ses ambitions à la baisse, mais aussi de fragiliser un système qui a permis la mise en place, en quelques années, d’un recyclage des DEEE à haute qualité environnementale et qui nous permettra de léguer une belle planète à nos enfants. Car, comme le disait si joliment Saint-Exupéry, nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants !