Intervention de Vincent Capo-Canellas

Réunion du 20 février 2013 à 14h30
Débat sur l'avenir de l'industrie en france et en europe

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Les déclarations à l’emporte-pièce contre les entreprises ou leurs dirigeants ne créent pas un climat favorable aux entrepreneurs dans notre pays. Je ne crois pas qu’il faille stigmatiser les patrons. Au demeurant, si vous aviez continué dans cette voie, vous vous seriez coupé des industriels. Or c’est le climat de confiance qu’il nous faut rétablir.

Le constat est aussi qualitatif : le décrochage de ces dix dernières années s’explique par le positionnement de notre industrie avec des produits de moyenne gamme qui subissent de plein fouet la concurrence des produits moins chers obtenus grâce à des coûts de production beaucoup plus faibles que les nôtres et celle de produits de meilleure qualité, haut de gamme, par certains de nos concurrents européens. La comparaison avec notre voisin et principal partenaire commercial, l’Allemagne, est frappante : avec des coûts de production assez proches, l’industrie allemande réussit à être compétitive en étant le deuxième pays exportateur au monde, derrière la Chine, mais devant les États-Unis.

Louis Gallois l’affirme clairement : l’industrie française ne pourra s’en sortir qu’en montant en gamme. Cela nécessite un effort de productivité, d’innovation, de qualité et de service. Pour cela, il faut donner la priorité à l’investissement : nous devons parier sur l’innovation, la compétitivité, les secteurs d’avenir. L’État a bien sûr un rôle de stratège à jouer, en définissant les priorités, en donnant sa vision de l’avenir, mais aussi en garantissant un environnement favorable à l’investissement, en créant cette confiance et cet écosystème accueillant.

Le choc fiscal que le Gouvernement a assené aux entreprises depuis qu’il est en place est à l’opposé de cette politique. Comment demander aux entreprises d’investir et d’innover lorsqu’on augmente drastiquement leurs charges et qu’on les taxe ?

On voit ici que, si le constat est partagé, des divergences fortes existent sur les solutions de court terme.

Donner la priorité à l’investissement, cela suppose de dégager des marges pour les entreprises. Du fait de leur perte de compétitivité, les entreprises ont rogné sur leurs marges, ce qui ne leur permet plus d’investir aujourd’hui. Pour y remédier, Louis Gallois a proposé un choc de compétitivité qui devait être aussi un choc de confiance, traduisant le soutien et la confiance que l’État accorde aux entrepreneurs.

On le sait, le Gouvernement n’a pas retenu le dispositif proposé par Louis Gallois et consistant à alléger de 30 milliards d’euros les charges des entreprises pour favoriser l’investissement et l’innovation. Le Gouvernement a préféré un système plus complexe, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi dont nous verrons dans quelques mois s’il a atteint l’objectif visé.

Pour ma part, je crains qu’il n’y ait pas de choc, ni de confiance, ni de compétitivité, car il aurait été préférable de développer une mesure plus simple, immédiate et percutante.

Le Gouvernement a aussi éludé en partie la question des coûts de production élevés dans notre pays, liés à notre mode de financement de la protection sociale, qui handicape certains secteurs de notre industrie face aux pays émergents. Mon collègue Aymeri de Montesquiou évoquera plus longuement cette question.

Cela dit, monsieur le ministre, vous ne partez pas de rien, surtout en matière d’investissement industriel. De nombreuses initiatives avaient été prises – car le constat est ancien et est bien antérieur à l’arrivée de l’actuel gouvernement –, qui allaient dans le bon sens ; je pense aux états généraux de l’industrie, au lancement du programme d’investissements d’avenir ou bien encore à la « marque France ».

Monsieur le ministre, lorsque vous intervenez pour tenter le sauvetage d’entreprises, la politique de réindustrialisation que vous menez s’inspire beaucoup des mesures de vos prédécesseurs et, c’est bien naturel, reprend des outils déjà existants : pôles de compétitivité, conférences de l’industrie, Conseil national de l’industrie, Commissariat général à l’investissement, FSI – Fonds stratégique d’investissement.

Il s’agit maintenant de savoir si les décisions prises aujourd’hui vont dans le bon sens. Se posent, à cet égard, de véritables interrogations.

L’État a joué son rôle en investissant hier dans des secteurs prioritaires, par le biais des 35 milliards d’euros du PIA, le programme d’investissements d’avenir. Ces crédits ont été bénéfiques à notre industrie. Toutefois, maintenant qu’ils sont quasiment épuisés, comment assurer la suite ? Comment certains programmes seront-ils financés ?

Je songe notamment à des projets intéressant l’aéronautique, comme l’A350 ou le futur hélicoptère X6 : ils ne peuvent plus, semble-t-il, bénéficier des crédits du PIA, non plus que du système d’avances remboursables, celui-ci ayant été arrêté. Ainsi, un problème se pose entre la fin du PIA et l’éventuelle remise en place du système des avances remboursables. Je m’empresse d’indiquer que ce dispositif est profitable à l’État et qu’il permet d’assurer des investissements de long terme que le secteur privé ne peut assumer seul. De surcroît, les avances remboursables sont tout à fait capitales pour garantir des sauts technologiques nous permettant de rester compétitifs et, partant, de conserver notre rang mondial.

Veillons à ne pas faire de l’aéronautique l’automobile de demain : actuellement, ce secteur va très bien, mais il faut penser aux investissements d’avenir. Si le soutien à la recherche devait se tarir, un problème majeur se ferait inévitablement jour.

Le soutien à la recherche et à l’innovation est essentiel. Si la recherche publique s’élève en France à 2, 4 % du PIB, ce qui situe notre pays au même niveau que ses voisins, la recherche financée par les entreprises privées reste faible. L’innovation est également moins développée chez nous que dans des pays comparables.

Or, on le sait, aujourd’hui la concurrence internationale contraint les entreprises à développer des produits de plus en plus innovants. C’est pourquoi le crédit d’impôt recherche doit être préservé. Il s’agit d’un outil qui permet d’anticiper les prochaines ruptures technologiques. L’effort de recherche permettra par exemple à Airbus de consolider sa position au cours des prochaines décennies.

C’est d’autant plus vrai que les pays émergents remontent peu à peu la chaîne de production, depuis la fabrication d’éléments jusqu’à l’assemblage et à la conception. Ainsi, la Chine devrait être en mesure de développer une gamme complète d’avions commerciaux d’ici à 2020. Elle pourrait devenir, à terme, avec Airbus et Boeing, le troisième grand acteur de l’aéronautique mondiale.

Nous savons combien la recherche sur les véhicules du futur est vitale pour l’industrie automobile française. C’est pourquoi il faut intensifier les échanges et les partenariats entre le monde de l’industrie et les laboratoires de recherche, entre les entreprises et les universités, à l’image de ce qui se fait au sein des pôles de compétitivité, afin de faciliter les transferts de la recherche vers l’industrie et les applications industrielles.

Dans cette perspective, le soutien aux jeunes entreprises innovantes est tout aussi déterminant.

Pour autant, il faut se garder de toute idéologie « anti-grandes entreprises ». Certes, il existe des PME performantes, et il faut miser sur elles. Toutefois, concernant les domaines qui seront à l’origine des grandes ruptures technologiques de demain, la recherche est plutôt menée dans les grands groupes.

Au surplus, nous devons lutter contre un travers typiquement français : la multiplication des contraintes et des réglementations, qui constitue souvent un handicap pour notre industrie. C’est un sujet rebattu : nous le savons tous, la multiplication des normes et l’instabilité juridique suscitée par des modifications successives compliquent l’action des entreprises et engendrent des coûts importants de mise en œuvre. Ce problème frappe plus particulièrement les PME, qui ne disposent pas toujours des moyens financiers et humains nécessaires pour assumer ces contraintes. Il faut clarifier et simplifier les procédures pour faciliter la vie des entreprises.

Parallèlement, les pouvoirs publics doivent développer une fiscalité favorable aux entreprises. On sait bien que le poids des prélèvements obligatoires, lié au niveau élevé de nos dépenses publiques, est trop lourd dans notre pays. Cette situation handicape nos entreprises.

Monsieur le ministre, ces quelques considérations montrent que, si le consensus se fait sur un certain nombre de points, à commencer par le constat de l’affaiblissement de notre industrie – et il faut saluer l’action menée dans certains domaines à la suite de ce constat –, des points de divergence et des interrogations demeurent.

À ce titre, je ne peux manquer d’évoquer un sujet central : le financement de l’industrie.

Le Gouvernement a souhaité mettre en place, à travers la création de la Banque publique d’investissement, la BPI, un nouveau système de financement des entreprises. Un certain nombre de dispositifs existaient déjà, notamment avec OSEO et le FSI. La question qui se pose est de savoir si la BPI prolongera réellement la politique de financement des entreprises ?

Vous placez beaucoup d’espoirs dans cette nouvelle structure pour financer l’industrie et dégager de nouveaux moyens pour financer notre tissu industriel. La BPI pourra-t-elle faire plus et mieux qu’OSEO ?

Améliorer le financement des entreprises, c’est également pallier l’une des faiblesses de notre secteur industriel : le nombre insuffisant des entreprises de taille intermédiaire, les ETI. On en compte deux fois moins en France qu’en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Le constat n’est pas nouveau : nous n’arrivons pas à faire grandir nos PME, de façon qu’elles puissent investir davantage dans la recherche et l’innovation, puis s’insérer sur le marché mondial et exporter.

Contrairement à une idée répandue, les créations d’entreprises sont nombreuses en France, mais il s’agit essentiellement de très petites entreprises, des TPE, dont beaucoup disparaissent après quelques années. Les causes en sont connues : elles se heurtent souvent à des obstacles juridiques et fiscaux, à des problèmes de seuils et à un manque de fonds propres. Tout cela doit être au centre de nos réflexions.

Enfin, il faut aider à la constitution de véritables filières industrielles ; je sais que vous vous souciez d’agir à cet égard.

Au sein de ces filières s’élaborent des stratégies entre les entreprises et des coopérations entre sous-traitants et donneurs d’ordres. Il s’agit d’un sujet majeur car, souvent, les entreprises sont trop isolées, le tissu industriel est trop peu solidaire et les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants ont besoin d’être améliorées.

Dans le secteur de l’aéronautique, le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, le GIFAS, est fréquemment cité en exemple. Cette structure, qui regroupe au sein d’un même organisme l’ensemble des professionnels de la filière, pourrait servir de modèle. Du reste, le secteur de l’automobile s’en inspire puisqu’il met en place un organisme similaire, la Plate-forme de la filière automobile, pour que les constructeurs et équipementiers travaillent en synergie.

Les grands groupes doivent comprendre l’avantage qu’ils ont à disposer d’un tissu de fournisseurs et de sous-traitants dynamiques et compétitifs : c’est leur intérêt même !

Nous approuvons les travaux des comités stratégiques de filières qui, au sein du Conseil national de l’industrie, doivent permettre de définir les orientations et les stratégies au sein des différentes branches d’activité. À côté de ces filières industrielles, des synergies territoriales doivent être développées à partir des pôles de compétitivité.

Je viens de décrire globalement la situation de notre industrie, ainsi que les pistes sur lesquelles nous pourrions éventuellement rapprocher nos points de vue.

C’est à présent les points de désaccord que je souhaite évoquer.

L’adaptation des entreprises et des salariés constitue l’un des sujets décisifs pour la compétitivité de l’industrie française. Le mauvais fonctionnement du marché du travail, généralement trop rigide, et un dialogue social souvent défaillant rendent difficile le traitement en amont des problèmes liés aux mutations économiques.

Le marché du travail ne permet pas aux entreprises de s’adapter à la conjoncture et le système de formation ne prépare pas suffisamment la reconversion des salariés. Le climat de méfiance qui existe trop souvent entre salariés et dirigeants empêche ces derniers de rechercher ensemble des solutions pour sauver les entreprises et les emplois.

Il faut favoriser le dialogue social ; nous devons le revivifier pour permettre à nos entreprises de s’adapter aux mutations économiques et aux évolutions conjoncturelles. Il faut anticiper les difficultés, négocier des accords de compétitivité et faciliter le recours au chômage partiel afin d’éviter les licenciements et les pertes de compétences pour les entreprises.

C’est ce qui s’est passé à Sevelnord, notamment, où les salariés ont conclu un accord de compétitivité qui a permis de sauvegarder le site et les emplois, en obtenant la production d’un nouveau véhicule. Je tiens à saluer ce succès. Certes, la négociation sociale a été difficile, mais l’ensemble des partenaires sociaux et le groupe industriel se sont réunis autour de la table et ont trouvé des solutions pour assurer la pérennité du site de production. Il faut parler de ce qui marche !

En effet, trop souvent, le conflit prime sur le dialogue social, ce qui empêche la conclusion d’accords, voire aboutit à des fermetures de sites et à des licenciements. C’est donc un enjeu capital. Notre culture, notre organisation, notre législation et notre mode de pensée font que nous n’offrons qu’une caricature de dialogue social. Trop souvent, la transparence sur la situation de l’entreprise n’est pas au rendez-vous, les informations ne sont pas partagées ; d’où des désillusions et des déconvenues brutales.

Des contre-exemples heureux existent certes, mais ils sont rares. Or, dans un monde qui évolue très vite, pouvons-nous conserver les rigidités de notre système ? Ne finissent-elles pas par se retourner contre les salariés eux-mêmes ? Nous devons réinventer un modèle qui préserve les droits des salariés et permette d’accomplir les mutations en les anticipant.

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