Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la brièveté du temps qui m’est imparti m’obligera à être schématique ; j’espère toutefois ne pas être trop simpliste.
Mon intervention portera essentiellement sur un sujet rarement évoqué : l’intensité capitalistique croissante exigée par l’emploi industriel. Monsieur le ministre, ce phénomène couvre une période de dix à vingt années ; trois Présidents de la République, cinq Premiers ministres et quatre politiques différentes n’ont pas réussi à y faire face. Je n’ai donc contre vous aucun grief personnel. Je veux seulement attirer votre attention sur l’absolue nécessité de répondre aux besoins liés à l’augmentation de l’intensité capitalistique des activités industrielles.
Le diagnostic, très simple, a été rappelé avec beaucoup de brio par nos collègues Vincent Capo-Canellas et Alain Chatillon : l’industrie française est en recul. J’insiste sur le fait que ce recul s’observe, en termes de parts de marché, non seulement par rapport aux pays industriels, mais aussi par rapport aux seuls pays de la zone euro. Autrement dit, nous régressons alors que d’autres pays de la zone euro réussissent. Qu’on ne vienne donc pas nous dire que l’euro serait la seule explication des difficultés industrielles de notre pays !
Sur la période 1990-2012, on observe une quasi-stagnation de la productivité globale des facteurs, c'est-à-dire celle qui résulte de la combinaison du travail, du capital et de ce facteur résiduel qu’est la liberté d’initiative, la libre entreprise, avec la réglementation la plus adaptée.
On constate également un trop faible niveau des marges des entreprises industrielles françaises. Il faut le répéter inlassablement : dans la zone euro, il est de 10 points inférieur à la moyenne européenne. En effet, celle-ci est de 38 %, alors que nous sommes à 28 %, en légère régression depuis douze ans puisque nous étions à 31 %. Quand vous faites moins de marges, vous avez évidemment moins de facultés pour investir !
La part qui est consacrée en France à la recherche et développement, en pourcentage du PIB, est en apparence plus faible que, notamment, chez nos voisins allemands, auxquels nous nous comparons souvent. Cependant, en pourcentage des marges, nous sommes au même niveau que les Allemands. C’est donc bien le problème de la rentabilité des entreprises françaises qui est posé. Lorsqu’elles ont des marges suffisantes, elles peuvent investir dans la recherche. Malheureusement, leurs marges sont beaucoup plus faibles que celles des entreprises allemandes.
Enfin, toujours en ce qui concerne le diagnostic, nous avons une forte croissance de l’intensité capitalistique, c’est-à-dire le capital nécessaire pour créer de la richesse ou soutenir un emploi. Je pense profondément que cette intensité capitalistique est une chance pour notre pays, à condition, naturellement, d’y faire face et de répondre aux besoins en capitaux.
Au fond, trois lectures de cette augmentation de l’intensité capitalistique sont possibles.
Si vous me permettez de m’amuser un peu, je dirai qu’il y a d’abord la lecture marxiste classique, qui consiste à dire qu’il s’agit du rendement décroissant du capital : c’est la faillite du système capitaliste ! Je dirai simplement qu’une génération de mode de production connaît une productivité asymptotique. À un certain moment, il est nécessaire de changer de système de production, à condition, naturellement, d’avoir des partenaires politiques. Je pense, par exemple, à la production de l’énergie, qui accepte des changements de production sans s’arc-bouter sur des systèmes hors des réalités économiques.
On peut avoir une deuxième lecture, parfaitement libérale, celle qui est ancrée dans notre pays. Nous avons une intensité capitalistique plus forte en France en raison d’une réglementation de l’utilisation de l’outil de travail qui est beaucoup plus stricte et rigide, et qui demande plus de capitaux pour moins d’emplois, et cela pour une raison très simple : l’absence de flexibilité dans l’utilisation de l’outil de travail.
Quant à la troisième lecture que l’on peut faire de l’intensité capitalistique, elle relève d’une analyse à laquelle je crois profondément : le triangle vertueux dans lequel la production résulte à la fois du travail, du capital et de la libre initiative, c'est-à-dire la possibilité d’entreprendre, d’imaginer, de créer, sans être en permanence paralysé par le principe de précaution. Dans cette configuration-là, il faut accepter d’équilibrer nos atouts.
Après tout, tant pis si nous n’avons pas l’atout du coût salarial. Ce n’est pas grave ! Forçons l’atout du capital, c’est-à-dire de la très forte valeur ajoutée. Cela nécessite de lourds investissements à la fois en formation de notre main-d’œuvre – Alain Chatillon l’a évoqué – et en outils de travail. Naturellement, cela suppose que les entreprises aient un objectif de rentabilité et dégagent des marges ! En effet, monsieur le ministre, il n’y aura pas d’industrie sans capitaux, ni de réussite sans profits. §