Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 20 février 2013 à 14h30
Débat sur l'avenir de l'industrie en france et en europe

Arnaud Montebourg :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier la Haute Assemblée pour ce débat sur le sens de notre politique industrielle. Où allons-nous ? Que voulons-nous ? Comment allons-nous nous y prendre ?

Il est fondamental de s’intéresser à la production. D’ailleurs, dans toutes les allégories, déjà sous l’Ancien Régime, bien avant la première révolution industrielle, était célébrée, en grande place, la capacité à créer la richesse.

Depuis plusieurs années, une certaine classe dirigeante – je ne vise personne en particulier mais beaucoup de monde en général – a théorisé la fin des usines en France. Comme si le fait d’avoir des bases productives solides était en quelque sorte une forme de luxe dont nous aurions pu nous priver !

Or un pays qui ne produit pas est dans la main des pays qui produisent et, s’il ne produit plus, il s’affaiblit. Comment allons-nous financer notre modèle social, nos services publics, nos dépenses militaires, notre rayonnement culturel, notre réseau diplomatique ? Ces questions sont posées chaque jour.

Ces dernières années, et surtout depuis la crise qui l’a frappée, la France a encaissé une désindustrialisation qui est statistiquement visible, politiquement sensible, socialement douloureuse. Ses effets, tels que nous les mesurons sur le terrain, sont confirmés par les chiffres et les agrégats dont nous disposons.

En dix ans, ce sont 750 000 emplois industriels de qualité qui ont été détruits. Derrière ces emplois, ce sont des laboratoires de recherche et de développement, des ingénieurs, des cadres, des ouvriers, des familles entières et des territoires – que vous représentez ici mieux que quiconque, mesdames, messieurs les sénateurs – qui ont subi ces dégâts, généralement considérés comme irrémédiables.

La désindustrialisation, c’est un peu comme la tempête : lorsque les arbres sont tombés, il faut un certain temps avant qu’ils repoussent. Les propriétaires fonciers doivent consentir beaucoup d’efforts avant que les arbres reprennent de la vigueur et de l’envergure. Cette image de la tempête, dont nous ne sommes pas sortis, que nous sommes en train de vivre, est assez juste.

À cet égard, les interventions des uns et des autres me paraissent contenir des diagnostics partagés mais aussi des remèdes partageables. Je n’affirmerai pas qu’ils le sont, mais j’ai le sentiment que, face à l’urgence, mon ministère revêt un caractère d’unité nationale où nous pouvons admettre les diagnostics portés par chacun, considérer que les solutions apportées sont d’utilité collective et, plutôt que de nous affronter, conjuguer nos efforts. C’est avec ce sens de l’unité nationale que mon ministère a décidé de prendre le taureau par les cornes.

Je souhaiterais brièvement expliciter notre démarche afin de donner du sens à l’ensemble des questions que vous vous posez et des dossiers que vous avez à traiter dans l’exercice de vos fonctions, auxquelles s’attache d'ailleurs la noblesse de la responsabilité publique, pour vous permettre aussi de comprendre notre action et permettre que nous agissions ensemble.

D’abord, qu’avons-nous fait dans la tempête ? Nous avons fait face ! On a dit de ce pauvre ministère du redressement productif qu’il était le brancardier, le pompier. Et alors ? Il n’y a pas de sot métier. Nous faisons face à l’urgence, nous avons organisé la riposte, comme nous le faisons à la tête du Comité interministériel de restructuration industrielle, le CIRI, sur le plan national, pour les entreprises de plus de 400 salariés. Nous avons également mis en place des mini-CIRI dans chacune des régions afin de pouvoir traiter tous les dossiers.

Il n’y a pas de dossier qui ne nous intéresse pas, car un emploi qui est préservé, un outil industriel qui est conservé, c’est quand même une victoire contre la fatalité et la résignation. C’est toujours cela de gagné ou de pris.

C’est une énergie qui est déployée, et je tiens à profiter de l’occasion qui m’est ici donnée pour rendre hommage à toute l’équipe ministérielle, les ingénieurs des mines qui travaillent dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRRECT, les commissaires au redressement productif. Je décernerai d'ailleurs à plusieurs d’entre eux des titres de reconnaissance de la nation pour avoir travaillé dans des conditions difficiles et obtenu des résultats étonnants. Cela prouve une fois encore que les combats perdus d’avance sont ceux que l’on n’a jamais engagés.

Le travail a consisté à organiser le maintien de l’outil industriel. C’est une stratégie à l’allemande, qui va à l’inverse de celle qui consiste à considérer qu’une entreprise qui connaît des difficultés est condamnable, condamnée, que c’est perdre son temps et son argent que de s’en préoccuper. Cette vision, inspirée de la doctrine libérale et malthusienne, presque darwiniste, consiste à penser qu’un malade n’a aucune chance de survivre dans le monde impitoyable de la compétition actuelle. C’est aussi stupide que de prétendre qu’un malade se présentant devant un hôpital doit être abattu sans sommation afin de permettre aux vivants de continuer à prospérer. Cette idée est absurde, et nous en faisons tous les jours la démonstration.

Le tableau de bord de mon ministère recense 1 900 entreprises en difficulté. Nous arrivons parfois – je le dis en toute modestie – à sauver 100 % des emplois, 100 % de l’outil industriel. Nous sommes parfois obligés, pour sauver l’essentiel, d’accepter quelques sacrifices. Tout le monde consent des sacrifices avec le ministère du redressement productif ! Les actionnaires recapitalisent, les banquiers abandonnent des créances, les dirigeants sont parfois obligés de prendre la porte ou leur retraite, les salariés, d’abord les intérimaires puis les autres, perdent parfois leur emploi.

Je donnerai quelques exemples qui sont significatifs à la fois des succès et des échecs de cette lutte dans laquelle la représentation nationale au sens large, les parlementaires comme les élus territoriaux, est particulièrement impliquée, et je tiens à l’en remercier.

À l’usine General Motors de Strasbourg, les 989 emplois vont être conservés. En revanche, toujours dans le secteur automobile, qui subit des pertes extrêmement sévères actuellement, sur les 313 emplois de l’entreprise TRW à Ramonchamp, située dans la vallée de la Moselle, dans le beau département des Vosges, seuls 83 ont pu être sauvés. Trois cadres de l’entreprise ont organisé la reprise, avec une réduction de la voilure, mais nous avons maintenu l’emploi, l’outil industriel.

Notre stratégie est celle qui a été suivie par nos amis et partenaires allemands pendant la première partie de la crise, où ils utilisaient le chômage partiel pour éviter le démantèlement. Avec Michel Sapin, le ministre du travail, nous cherchons toutes les solutions possibles et imaginables pour lutter contre la tendance française à préférer le licenciement, le déclassement ou le démantèlement. Nous pensons qu’il y a d’autres solutions. Ce sont celles-là que nous cherchons avec vous.

Ce travail d’urgence n’est pas suffisant, c’est la jambe défensive. Nous devons aussi reconstruire : bâtir, c’est le sens de ce ministère. Nous défendons d’une jambe, nous avançons de l’autre.

Vous avez évoqué, les uns et les autres, divers instruments. Ils ne sont pas des objectifs en eux-mêmes, mais ils servent notre projet. Quel est-il dans cette période difficile ?

En premier lieu, nous devons poursuivre – c’est une politique qui avait été engagée avant nous – la politique des filières.

Une filière est un ensemble d’entreprises qui sont unies par des liens contractuels, qui travaillent dans un même secteur, qui connaissent des hauts et des bas en même temps. Nous avons engagé le travail de solidarité de filières : les grandes entreprises travaillent avec les petites ; les collectivités locales, les pôles de compétitivité travaillent avec le secteur privé ; les laboratoires de recherche publics, tels l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, le Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, le Commissariat à l’énergie atomique, le CEA, travaillent avec les laboratoires de recherche privés ; les médiateurs, c’est-à-dire ceux qui interviennent dans les relations contractuelles entre les sous-traitants et les donneurs d’ordre, unissent les entreprises là où elles se divisaient beaucoup trop.

Grâce à ce nouvel outil qu’est la Banque publique d’investissement, la BPI, et aux quelques fonds qui ont été créés, nous finançons la solidarité.

Aux entreprises qui ont fait le choix de cette solidarité de filière et qui mutualisent leurs moyens, l’État apporte son soutien, au travers de la BPI, dotée des fonds issus du grand emprunt et du fonds stratégique d’investissement. Elles peuvent ainsi aider les autres entreprises de la filière à se consolider, à être puissantes et exportatrices.

Cette solidarité financière se traduit, par exemple, par la multiplication des fonds filières qui seront gérés par la BPI. Surtout, l’État joue son rôle de leader, et notamment de leader technologique, en exposant à l’ensemble d’une filière où il veut aller.

Beaucoup d’entre vous, notamment Mme Bataille et M. Bourquin, ont parlé du secteur de l’automobile, qui perd beaucoup de ses capacités industrielles. Nous sommes en effet dans un moment difficile, même si d’autres secteurs connaissent une croissance très positive. C’est le cas de l’aéronautique et du nucléaire, qui est une filière d’avenir. Le nucléaire sera ainsi en mesure d’embaucher 110 000 personnes d’ici à 2020 et, l’année dernière, l’aéronautique a embauché 13 000 personnes. C’est dire à quel point les situations que nous vivons sont contrastées ! C’est d'ailleurs à nous d’organiser la solidarité entre filières ou le passage d’une filière à une autre pour les salariés qui connaissent des difficultés ou la perte de leur travail.

Mais, pour en revenir à la filière automobile, nous avons réuni pour la première fois autour d’une même table les « patrons » de la recherche et développement des deux grands constructeurs et des quatre équipementiers. Nous leur avons demandé s’ils étaient en mesure de progresser et de nous donner des horizons technologiques. Moteur deux litres, pour ceux qui travaillent sur l’hybridation, véhicule électrique zéro émission, hydrogène, air comprimé… Qu’ils se prononcent ! Nous ferons les choix ensemble, et nous les financerons avec eux.

Cette stratégie est une stratégie de leadership technologique et politique et, dans ce cadre, nous avons décidé de systématiser les grands programmes de renouveau industriel.

C’est ce que nous faisons dans la filière ferroviaire. Nous avons dit aux constructeurs que nous mettrions sur la table de 4 milliards à 5 milliards d’euros de commandes publiques pendant la durée du quinquennat. Nous allons trouver une structure de financement pour aider les régions qui n’arrivent plus à financer leurs TER, nous allons financer les trains Intercités et commander quarante rames de TGV de la génération précédente. En contrepartie, il est hors de question qu’il n’y ait pas, d’ici à 2018, un TGV du futur sur les rails, c'est-à-dire un train qui consommera moins d’énergie, qui pourra transporter plus de passagers, avec des moteurs dans les roues plutôt que dans les motrices, qui deviendront des wagons de transport.

Cette orientation technologique, qui a d’ailleurs été approuvée par les industriels du secteur, permet d’offrir cinq années de visibilité : voilà le sens que nous voulons donner à la commande publique dans le cadre de la réindustrialisation.

Mme Archimbaud a évoqué l’importante question des éco-industries. À l’issue du débat sur la transition énergétique, qui bat aujourd'hui son plein, nous aurons à « choisir entre des différents impossibles », pour reprendre l’expression de Nicolas Hulot. Les choix seront en effet difficiles à effectuer ; nous ne pourrons pas tout faire, le souhaitable et le possible ayant du mal à se rejoindre. Il n’en demeure pas moins que nous cherchons, de façon systématique et sur la base de choix technologiques, à fixer des orientations partagées avec l’ensemble des industriels concernés, qu’il s’agisse des PME, des ETI ou des leaders de filière, c'est-à-dire des grands groupes qui mènent le jeu dans les secteurs à l’exportation.

Dans les secteurs du photovoltaïque, de l’éolien et du stockage de l’énergie, nous faisons des choix, et nous les défendons !

Le choix des outils est un point sur lequel se sont concentrés beaucoup de vos commentaires.

L’avenir du grand emprunt dépendra du travail que nous menons sur les filières, dont j’ai évoqué deux exemples, le ferroviaire et l’automobile. Nous avons déjà traité six ou sept filières ; nous devrions avoir terminé d’ici au mois de juin. En juillet prochain, nous serons en mesure de « dessiner le visage » de ces grands programmes de renouveau industriel, qui rappellent la belle époque post-gaullienne, pompidolienne, où l’on voyait l’État comme le leader de la politique industrielle.

Les pôles de compétitivité, les territoires et les filières seront donc ordonnés en fonction des choix financiers et technologiques qui seront faits. On peut se demander comment articuler autour de cette politique l’ensemble des outils sur lesquels vous m’avez obligeamment interrogé.

S’agissant du programme d’investissements d’avenir, 28 milliards d’euros ont d’ores et déjà été engagés et dépensés. Suivant les recommandations de Louis Gallois, le Premier ministre vient d’arbitrer le redéploiement du petit solde restant vers les secteurs industriels, notamment pour financer l’innovation.

J’en viens maintenant au crédit d’impôt recherche.

Vous le savez, ce dispositif a été étoffé dans la loi de finances. Il s’agit, à mes yeux, d’une mesure d’utilité nationale, inventée par Jean-Pierre Chevènement, amplifiée par Nicolas Sarkozy et sanctuarisée par François Hollande. §Je rappelle que 200 millions d’euros supplémentaires ont été affectés aux PME dans la loi de finances pour 2013, que vous n’avez malheureusement pas votée ici.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion