Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 20 février 2013 à 14h30
Débat sur l'avenir de l'industrie en france et en europe

Arnaud Montebourg, ministre :

Ce conseil prendra des positions et s’exprimera, par exemple, sur l’euro trop fort. Je lui ai demandé de le faire en toute indépendance par rapport au Gouvernement. Ses prises de position seront, nous l’espérons, plus ou moins consensuelles – en son sein, en tout cas, ce serait préférable ! – et permettront d’enrichir le débat que nous aurons avec le Sénat et l'Assemblée nationale sur les questions industrielles.

Nous avons ainsi en quelque sorte un mini-Parlement de l’industrie auquel participeront l’ensemble des forces productives autour du Gouvernement. En sont d’ailleurs membres un sénateur, Martial Bourquin, et un député, Jean Grellier. Cela permettra de placer en permanence la question industrielle au cœur de tous les enjeux.

En ce qui concerne la politique européenne, évoquée par de nombreux intervenants, il faut bien reconnaître que l’Union européenne n’est pas au même niveau de protectionnisme et de déloyauté qu’un certain nombre d’États, de puissances et de continents…

Il est d’ailleurs utile d’observer que les États ayant résisté à la crise sont ceux qui ont été les plus unis et qui ont su rassembler l’ensemble de la société autour de l’acte productif. Pour nous, c’est une belle leçon ! Voilà l’une des raisons pour lesquelles je m’emploie à mobiliser les Français autour du made in France. Quelle que soit la place de chacun dans la société, que l’on soit consommateur ou producteur, nous avons un devoir à l’égard de notre pays.

Je remarque que le made in France progresse d’ailleurs dans la tête des consommateurs. Les dernières enquêtes montrent que 77 % des Français considèrent que le critère de la fabrication en France est suffisamment important pour payer un produit plus cher.

En ce qui concerne les producteurs, nous voyons bien que le mouvement de relocalisation est lancé et s’amplifie. Certaines entreprises font un calcul différent après avoir pris la mesure de la progression des salaires dans les pays émergents et de l’envolée du prix de l’énergie, y compris dans ces mêmes pays, et après s’être rendu compte que l’éloignement entre lieu de production et lieu de consommation alourdissait les coûts logistiques.

Ces entreprises sont devenues « démondialisatrices » dans leurs actes du quotidien, tout comme l’est le ministre du redressement productif ! Je pense à l’entreprise de jouets Smoby, dans le Haut-Jura ; au lunettier Atoll, qui a transféré une partie de son activité de la Chine vers le Haut-Bugey ; à l’entreprise de skis Rossignol, dont la décision de relocalisation, très saluée, date d’avant notre arrivée au gouvernement. De nombreuses autres entreprises réfléchissent à suivre cette voie.

Chaque pays fédère aujourd'hui la cohésion de l’ensemble de sa société autour de son label : made in France, made in USA, made in England, made in Italy... Cet engouement est un phénomène de société sur lequel nous devons prendre appui pour reconstruire, réindustrialiser et relocaliser.

Cette mobilisation passe évidemment par le financement de l’innovation. À ce propos, j’ai déjà dit que nous souhaitions ouvrir un programme d’innovation radicale avec le redéploiement du grand emprunt.

Il faut aussi que la société française reconnaisse et rende hommage à ceux qui innovent, font preuve d’audace et prennent des risques. Il faut qu’une attention soit portée au design, auquel de nouveaux investissements doivent être consacrés, notamment dans les PME. Il faut que le mentorat soit généralisé, comme mon ministère s’attache à le faire avec l’aide des chambres de commerce. Il faut aussi une politique à destination des PME…

Mais, vous l’avez mesuré, rien de tout cela ne pourra se faire si les données macro-économiques ne sont pas plus favorables et s’il n’y a pas une réorientation de la politique européenne.

Sur ce dernier point, je l’ai indiqué, la bataille a commencé dès le mois de juin dernier pour orienter l’Union européenne vers plus de croissance.

Au sein du Conseil compétitivité, qui réunit les ministres de l’industrie, nous cherchons depuis plusieurs mois à donner davantage de poids aux thématiques de la réciprocité, évoquées par certains d’entre vous. Nous ne pouvons accepter de nous priver des pratiques employées par d’autres pays ou de ne pas nous prémunir contre certaines méthodes, comme l’arme monétaire et le dumping social ou environnemental.

C'est l’une des raisons pour lesquelles les questions énergétiques, abordées par M. Vial, doivent être traitées au niveau européen. Nous avons déjà en Europe REACH et une très bonne politique de réduction des émissions de CO2, que nous approuvons, car elle est conforme à nos valeurs et à notre modèle. Il faudrait cependant équilibrer les règles du jeu mondial. Si nos entreprises quittent les zones de haute pression, à prix énergétiques élevés et à normes réglementaires strictes, c’est tout simplement pour quitter l’Europe. L’arbitrage se fait non pas entre la France et l’Allemagne, mais entre l’Europe et le reste du monde.

La France, en particulier par l’intermédiaire de mon ministère, n’a cessé de répéter, de façon quasi obsessionnelle, que l’Union européenne devait agir pour rééquilibrer les règles du jeu mondial. J’ai d’ailleurs demandé encore la semaine dernière devant le groupe de haut niveau sur l’acier à Mme la commissaire chargée de l’environnement ce qu’elle attendait pour imposer la taxe carbone aux frontières. Cette mesure sera le pendant des accords internationaux qui ont été signés par l’Europe et que nous appliquons ; elle permettra que la compétition se déroule dans des conditions équilibrées et loyales.

D'ailleurs, nous demandons exactement la même mise à niveau en matière sociale. Les normes de l’Organisation internationale du travail devraient-elles être distinctes des normes de l’Organisation mondiale du commerce ? La réponse est non ! Nous devons donc nous défendre.

Malheureusement, avec la Commission européenne, les sujets de polémique ne manquent pas. Monsieur Fouché, sachez toutefois que la Commission, exerçant son pouvoir propre, a d'ores et déjà pris des mesures dans le domaine de la porcelaine et de la céramique, contre les importations abusives en provenance de Chine. Des mesures ont également été prises concernant les aciers très spéciaux, comme une hausse des droits de douane de 58 %. Enfin, madame Archimbaud, des mesures ont été prises dans le domaine photovoltaïque : une enquête et un monitoring ont été lancés sur les importations de panneaux photovoltaïques venant de Chine.

Bref, l’Union européenne commence, doucement, à se réveiller. Est-ce suffisant ? Nullement !

Cela étant, je suis heureux que, lors des réunions des Conseils des ministres, nous arrivions de plus en plus souvent à réunir nos partenaires et à constituer une majorité pour réclamer l’évolution des règles du jeu mondial, à travers une transformation de l’attitude de l’Union européenne.

Nous attendons la réforme des aides d’État. Hier, à Bruxelles, lors d’une discussion avec le commissaire européen Joaquín Almunia, la France et l’Allemagne ont fait bloc pour demander un assouplissement des règles de contrôle tatillonnes sur ces aides aux entreprises. M. Almunia a entendu la revendication des grandes nations industrielles et technologiques, ce qui constitue un progrès.

Le monde entier connaît une déferlante technologique considérable. Nos concurrents, les grandes nations émergentes, investissent des milliards dans les nouvelles technologies. Les Européens, eux, s’interdisent et contrôlent tout investissement étatique, et on tire dans les jambes de ceux qui essaient d’avancer !

Notre choix est de nous défendre, d’organiser notre mise à niveau, de construire les industries de demain, de favoriser la recherche, le développement, l’innovation. Bref, le rôle des États est fondamental et l’unité du secteur privé avec la puissance publique est essentielle pour réussir cette mise à niveau. C’est une des raisons pour lesquelles la politique européenne en matière industrielle est en train d’évoluer.

Certains d’entre vous ont salué l’action du commissaire Antonio Tajani. Au nom de la France, je l’ai remercié plusieurs fois d’avoir fixé pour but que la politique industrielle représente 20 % du PIB global européen d’ici à 2020. C’est une ambition considérable, qui suppose que les autres politiques européennes soient révisées à l’aune de cet objectif prioritaire. C’est le cas pour la politique de la concurrence – nous y venons – et de la politique commerciale – il faut y venir davantage.

Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons besoin de vous, de votre soutien. Il est toujours difficile, dans la vie d’une nation, de passer d’une période à une autre. Nous sommes dans une de ces périodes difficiles.

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