Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 20 février 2013 à 14h30
Débat sur la situation à mayotte

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis, à la demande de la commission des lois, pour débattre de la situation à Mayotte, à la suite de la mission que Christian Cointat, Félix Desplan et moi-même y avons menée.

Je salue les sénateurs de Mayotte, qui sont bien sûr présents parmi nous aujourd'hui.

Monsieur le ministre, je tiens à dire que nous savons combien vous êtes attentifs à la situation de ce cent unième département français, qui est cher à notre cœur, qui fait partie de notre nation et que nous avons accueilli parce que ses habitants en ont ainsi décidé.

Mayotte est un département à part entière. C’est pourquoi il est légitime que puissent y être mises en œuvre des décisions qui s’appliquent partout ailleurs.

Comment dès lors comprendre la situation atypique de ce département dont le conseil général a si peu de dépenses sociales à mettre en œuvre alors que, d’évidence, il y a beaucoup à faire, comme notre collègue Thani Mohamed Soilihi, qui a fondé une association qui vient en aide à beaucoup les jeunes Mahorais, le dira mieux que moi ?

Comment ne pas comprendre qu’il est normal qu’à Mayotte la scolarité soit de la même qualité qu’ailleurs ? Beaucoup de nos concitoyens ignorent que, par manque de locaux, une moitié des enfants de Mayotte sont scolarisés le matin, l’autre l’après-midi !

Nous connaissons aussi les problèmes qui se posent en matière de justice. Ainsi, le fait que les instances judiciaires de Mayotte dépendent de celles de la Réunion n’est pas sans créer des difficultés, à la fois pour les magistrats, pour les personnels du ministère de la justice et pour les justiciables.

Enfin, nous savons que 3 000 mineurs vivent isolés et nous sommes conscients de la nécessité de prendre en considération ces jeunes privés de repères et de soutien.

Il y a donc beaucoup à faire, et je ne doute pas que mes collègues évoqueront tous ces sujets.

Quant à moi, je veux me concentrer sur une question : celle de l’immigration, que nous devons aborder avec vérité.

Je l’ai dit, avec Christian Cointat et Félix Desplan, nous nous sommes rendus sur place ; nous avons reçu M. Christnacht, qui a rédigé un rapport pour le ministère de l’outre-mer, le ministère de l’intérieur et le ministère des affaires étrangères.

Mes chers collègues, nous ne pouvons accepter que la situation actuelle perdure. Elle est insupportable pour les personnes qui en sont victimes. Elle est insupportable pour les Mahorais, qui en subissent les conséquences.

Cette situation, tout le monde la connaît.

D’après le rapport de M. Christnacht, 90 000 étrangers, souvent en situation irrégulière, sont présents à Mayotte et environ 25 000 reconduites à la frontière sont recensées chaque année. Certes, un tel chiffre peut faire bel effet dans les statistiques, mais ce n’est pas ce qui nous préoccupe !

La réalité, c’est que beaucoup d’habitants des Comores, tout particulièrement d’Anjouan, veulent, pour quantité de raisons, venir à Mayotte – pour devenir français, pour résider sur le territoire de l’Union européenne, pour pouvoir se soigner ou encore pour bénéficier d’une éducation… –, ce qui donne lieu à un trafic incessant, parfaitement irrégulier, mais connu de tous, sur les kwassa kwassa, ces petits bateaux, souvent dirigés par des mineurs, où s’entassent une cinquantaine de personnes, naturellement pour le plus grand profit des passeurs.

Les moyens douaniers et policiers ayant été renforcés, pour tenter de parvenir, si je puis dire, « à bon port », les kwassa kwassa doivent franchir des passes dangereuses, notamment des barrières de coraux. Souvent, dans la presse, un entrefilet nous apprend qu’il y a eu un naufrage, quelques morts, des morts que l’on est incapable de dénombrer précisément... On dit qu’il y en a eu plus de dix mille en une vingtaine d’années, mais sans doute y en a-t-il eu davantage, hélas !

Lorsque les passagers de ces bateaux parviennent à atteindre Mayotte, il peut arriver qu’ils ne soient pas interceptés ; ils restent alors, dans des conditions plus ou moins précaires, à Mayotte, où le logement, notamment, est un problème aigu – il y a, on le sait, des cités insalubres.

Souvent, ils sont arrêtés par les autorités françaises, puis placés dans un centre de rétention que nous avons visité. Ce centre comprend deux pièces, l’une destinée aux femmes et aux enfants, l’autre aux hommes. Lorsque nous sommes arrivés, tous se sont dirigés vers nous, nous faisant part de leur misère et demandant à être traités dignement. Mais tout a été dit sur ce sujet, notamment, avec beaucoup d’éloquence, par Jean-Marie Delarue et par Dominique Baudis…

Le centre de rétention va donc être reconstruit, ce qui est incontestablement positif, comme l’est d’ailleurs aussi le fait que des travaux vont être entrepris à la maison d’arrêt de Mamoudzou.

Cela ne change cependant rien à la réalité : après avoir passé un jour et une nuit en centre de rétention les personnes arrêtées sont ramenées aux Comores – je l’ai dit, il y a 25 000 reconduites à la frontière par an –, puis, après quelques jours, peut-être quelques semaines, beaucoup reviennent – s’il n’y a pas de naufrage… – pour retenter leur chance à Mayotte, mais plus souvent pour retrouver le centre de rétention et être à nouveau renvoyées !

Ces reconduites à la frontière coûtent chaque année entre 50 millions et 70 millions d’euros à la France.

Face à une telle situation, ne devrait-on pas, par simple humanité, songer à utiliser ces 50 millions d’euros autrement ? C’est pourquoi nous plaidons, comme le fait aussi M. Christnacht, en faveur d’une coopération avec les Comores.

Je sais bien que c’est difficile, car les Comores ne reconnaissent pas et ne veulent pas reconnaître Mayotte comme un département français. Mais, lorsqu’on regarde le vaste monde et sa longue histoire, on voit bien des exemples de contentieux qui, à force de bonne volonté, ont pu être aplanis. Alors mettons tout en œuvre pour parvenir à un accord avec les Comores !

Nous préconisons une coopération policière et douanière, solution peut-être plus intelligente que ces reconduites onéreuses pour mettre un terme à l’activité néfaste des passeurs et, surtout, pour éviter tant de morts.

Investissons dans le développement de Mayotte et celui des Comores, œuvrons, par exemple, pour les hôpitaux et pour les écoles avec cet argent finalement tout à fait improductif puisque les gens reviennent…

Enfin, piste sur laquelle nous a mis Christian Cointat, nous proposons de revoir le visa Balladur et d’adopter une approche plus rigoureuse. Magnifique dans sa lettre, le dispositif actuel est censé empêcher toute immigration irrégulière, mais c’est une véritable passoire puisque l’immigration clandestine se chiffre par milliers.

Le mieux serait donc de parvenir à un accord qui permette de maîtriser ces flux désastreux tout en étudiant la possibilité d’autoriser une certaine immigration, pour raisons de santé ou de famille, qui serait justifiée et maîtrisée.

Je crois que, pour le bien de ce cent unième département que nous aimons, il y a là quelque chose d’urgent, de nécessaire, d’indispensable.

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