Intervention de Félix Desplan

Réunion du 20 février 2013 à 14h30
Débat sur la situation à mayotte

Photo de Félix DesplanFélix Desplan :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les défis majeurs auxquels le département de Mayotte est confronté, il en est un qui est particulièrement lourd, mais aussi porteur d'espoir : celui de sa jeunesse.

Dans cette île très peuplée – la plus densément peuplée du sud-ouest de l'océan Indien –, plus d'un habitant sur deux est âgé de moins de vingt ans. En moyenne, une femme a cinq enfants. À cette explosion démographique mahoraise s'ajoute une forte présence clandestine de mineurs étrangers.

Comme nous l'avions souligné dans le rapport, cette situation atypique renforce considérablement les besoins en matière de scolarisation et de formation. Ainsi, il faudrait ouvrir une classe par semaine.

Les locaux existants sont souvent vétustes, insalubres, voire dangereux. La moitié des élèves en primaire sont accueillis par rotation, ce qui diminue le temps nécessaire à l'acquisition des connaissances. Les livres, les cahiers manquent. À la rentrée 2012, il aurait fallu plusieurs centaines d’enseignants supplémentaires.

Les besoins sont d’autant plus grands que l’enfant de Mayotte vit dans une culture orale où l’écrit a peu de place et qu’il maîtrise mal le français, la plupart des familles étant non francophones.

Les enfants étrangers, qui formeraient jusqu’à 70 % du public scolaire de Mamoudzou, ont un niveau scolaire très faible. Nombre d’entre eux vivent dans des conditions d’hygiène déplorables et sont souvent sévèrement malnutris. Certains n’ont d’ailleurs même pas accès à l’école, les mairies les refusant en l’absence de représentant légal, d’extrait de naissance ou de vaccinations à jour.

Dans le secondaire, les personnels enseignants et de direction sont presque tous métropolitains, avec une rotation très rapide. Aucun établissement n’est classé en ZEP. Le tissu économique reste un obstacle au développement des CAP et des bacs professionnels, qui seraient pourtant très utiles pour le développement de l’île, parce que les stages ne peuvent se trouver qu’en métropole ou dans les îles voisines.

En raison du faible niveau scolaire, mais aussi de la non-préparation à un environnement culturel différent, les bacheliers peinent souvent par la suite à continuer leurs études quand ils doivent les faire hors du territoire.

Des progrès importants ont été réalisés, il faut le souligner. À présent, l’ensemble d’une classe d’âge mahoraise est scolarisée dans le premier degré, et de plus en plus d’élèves ont accès au second degré.

D’excellentes initiatives ont été prises récemment.

Le Centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte, créé à la fin de l’année 2011 et dont le directeur a été nommé en décembre dernier, assure désormais des formations jusqu’au niveau bac plus deux. Dès son adoption par le Parlement, 60 des 180 étudiants en L2 ont demandé et obtenu d’intégrer le dispositif des emplois d’avenir professeur et 325 postes d’emplois d’avenir ont été accordés.

Il y a aussi une montée en puissance du Groupement du service militaire adapté, qui offre à une partie de la jeunesse en difficulté, sous statut de volontaire dans les armées, la possibilité d’un nouveau départ dans la vie avec un comportement citoyen et une vraie employabilité ; 400 jeunes devraient être concernés en 2013, et plus de 500 en 2015. Cependant, l’insertion de ces jeunes s’avère d’ores et déjà difficile. D’une part, l’offre d’emplois est limitée sur l’île : elle est d’environ 600 par an, alors que, chaque année, 4 500 jeunes arrivent sur le marché de l’emploi. D’autre part, se pose un problème de qualité de suivi de ces jeunes, qui quittent parfois l’entreprise peu de temps après y être entrés.

Monsieur le ministre, la tâche reste immense.

Dans notre rapport d’information, Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et moi-même avions suggéré un programme de construction de 600 classes supplémentaires d’ici à 2017, un programme qui ne peut être réalisé sans la participation de l’État, la situation des communes et du Syndicat mixte d’investissement pour l’aménagement de Mayotte, le SMIAM, ne permettant pas de l’assumer. Les mairies n’ont même pas les ressources suffisantes pour entretenir les locaux existants ou mettre en place une restauration scolaire. Pourriez-vous nous préciser, monsieur le ministre, si de nouvelles classes ont été ouvertes et si la dotation spéciale de construction et d’équipement des établissements scolaires allouée aux communes mahoraises pourra être prorogée au-delà de 2013 ? Selon les syndicats, au moment où nous avions rédigé notre rapport, seul le quart de cette dotation avait été utilisé.

Construire des classes est nécessaire, mais ce ne sera pas suffisant. Ne faudrait-il pas que notre système éducatif s’adapte à la situation de Mayotte, et ce dès la petite enfance ? Ne conviendrait-il pas de préscolariser les enfants pour qu’ils appréhendent mieux la langue française, de créer des garderies publiques, car la plupart des garderies sont privées et n’accueillent que des enfants d’un niveau social moyen ou élevé ? Pour les élèves plus âgés, pourquoi ne pas instaurer des cours de soutien en français et en mathématiques pendant les vacances scolaires comme à la Réunion, ou développer, compte tenu des problèmes de transport, un système d’internat, mais aussi créer des classes de transition entre le secondaire et le supérieur, ou encore assurer une formation continue aux enseignants du primaire, qui, pour certains, ne sont pas francophones ?

Des propositions semblables avaient été évoquées pendant les États généraux de 2009. Il avait été noté, à cette occasion, que la maîtrise du français renvoyait à une question plus vaste, celle de la coexistence des langues, officielle et maternelle, dans la société mahoraise. La langue et la culture françaises peuvent paraître aux jeunes Mahorais très éloignées de leur quotidien, tout en étant désormais indispensables pour poursuivre des études et trouver leur place dans la société. Il faudrait éviter, toutefois, le sentiment d’une occultation d’une partie de leur identité – comme ce qui a pu se passer autrefois aux Antilles –, alors même que les Mahorais ont consenti à des changements culturels considérables pour devenir citoyens à part entière de la République française.

La société mahoraise est de plus en plus confrontée à une immigration illégale considérable, comme viennent de le souligner mes collègues, immigration qui provoque des effets de déstructuration et de fragilisation, peu favorables au développement économique et au rattrapage social de l’île.

Cette immigration repose en partie sur le souhait des familles comoriennes de faire bénéficier leurs enfants d’un accès aux soins et à l’éducation. Mais, comme je vous l’ai dit, la situation de ces enfants est en réalité catastrophique. Il n’existe pas à Mayotte de foyer de l’enfance, et les familles d’accueil et les personnels spécialisés locaux sont en petit nombre et mal formés. Ces jeunes, livrés à eux-mêmes, développent une délinquance de survie, mendient, volent, parfois en bandes organisées.

D’autres adolescents, mahorais mais sans formation ni travail, dérivent aussi vers la violence. Ils sont considérés par la population comme trop souvent impunis. La justice, avec peu de ressources, fait de son mieux. Des médiations-réparations, des travaux d’intérêt général sont mis en place ; mais sans outils statistiques, on ne peut pas évaluer leur efficacité.

On en revient toujours, monsieur le ministre, à une question de moyens, il est vrai peu commodes à mobiliser en ces temps difficiles où la maîtrise des dépenses publiques doit être privilégiée.

La question est d’autant plus préoccupante qu’au 1er janvier 2014, c’est-à-dire demain, Mayotte entrera dans la fiscalité de droit commun. Dans notre rapport, nous nous inquiétions du niveau des futures recettes fiscales dont disposeront le département et les communes. Le cadastre n’est toujours pas fiabilisé et les Mahorais propriétaires ne disposent pas tous de revenus pour s’acquitter des taxes inhérentes à ces biens.

Or ces collectivités sont d’ores et déjà dans une situation financière très dégradée. Il est à craindre qu’elles ne pourront assumer toutes leurs charges. En métropole, l’aide sociale et l’aide sociale à l’enfance représentent entre 40 % et 70 % du budget des départements ; à Mayotte, les dépenses sociales ne représentent que 3 % du budget du conseil général, qui est consacré à 80 % aux dépenses de fonctionnement.

Nous avons formulé trois propositions dans notre rapport : engager une réflexion sur la répartition du produit fiscal issu de l’application du droit commun ; aménager une transition réaliste pour l’application de ce droit commun ; prévoir une subvention d’équilibre de l’État aux collectivités territoriales pour financer un plan de redressement qui apparaît indispensable afin de faire face à des difficultés ciblées et circonscrites.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer où en est la préparation de ce basculement fiscal et nous assurer qu’il permettra aux collectivités mahoraises d’assumer toutes leurs obligations ?

Les attentes des Mahorais sont fortes ; ils ont placé leurs espoirs de vie meilleure dans la départementalisation et dans leur attachement à la France. L’État doit être à leurs côtés. §

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