Intervention de Yvon Collin

Réunion du 20 février 2013 à 14h30
Débat sur la situation à mayotte

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1976, nos compatriotes mahorais avaient affirmé avec force leur attachement à la France et à la République en rejetant à 99, 4 % l’idée de rejoindre la toute jeune Union des Comores. À cet égard, je prie nos collègues mahorais présents de saluer pour nous le sénateur Marcel Henry, qui a été, avec la présidente Zéna M’Déré, la figure de proue de ce combat, avec le slogan: « rester français pour être libres ».

Presque quarante ans plus tard, et malgré trois changements institutionnels majeurs, il est regrettable de constater que la situation de Mayotte demeure problématique et que les difficultés structurelles n’ont pas été réglées.

Comme l’ont relevé nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan dans leur rapport, la société mahoraise est confrontée à des défis majeurs pour son avenir et son développement, à commencer par une pression démographique qui menace à tout moment de provoquer une véritable explosion sociale, à l’image des tensions qui agitent la Guyane.

Située au milieu d’une partie du monde en proie au sous-développement, Mayotte fait figure d’Eldorado pour les populations voisines, attirées par la perspective d’une vie meilleure, ainsi que par une situation économique et sociale plus enviable.

La prise en charge sanitaire – et, incidemment, l’idée d’accoucher sur le sol français –, l’emploi et l’éducation constituent sans surprise les trois principaux motifs de migration. Toutefois, la désillusion est le plus souvent au bout du voyage, quand l’issue de la traversée n’est pas tragique.

Surtout, la politique de lutte contre l’immigration illégale ne semble pas avoir atteint ses objectifs. Mayotte est le premier département français en termes de reconduites à la frontière, avec 50 % du total, pour un coût de 50 millions à 70 millions d’euros.

Les conditions de rétention des clandestins sont particulièrement dégradées et à la limite de la dignité, notamment à Pamandzi, mais il est vrai que l’administration dispose de peu de moyens pour gérer les flux auxquels elle fait face et qui conduisent à une surpopulation chronique. La nécessité de construire un nouveau centre de rétention est devenue encore plus urgente dans ces conditions. Le Sénat, on s’en souvient, avait d’ailleurs déjà, et ce à plusieurs reprises, fort opportunément attiré l’attention du précédent gouvernement sur ce point, notamment lors des discussions budgétaires.

Face à cet état de fait particulièrement dramatique, plusieurs solutions sont avancées : il faudrait d’abord relever les moyens et les effectifs des administrations ; assurer ensuite une meilleure prise en charge des mineurs isolés ; mettre fin au visa Balladur au profit d’un dispositif plus réaliste ; enfin, mettre en place une coopération renforcée avec les Comores.

Pour notre part, tout en souhaitant le maintien du système de visa, nous souscrivons à l’ensemble de ces recommandations, même si nous avons conscience qu’elles ne pourront être mises en place à très court terme et qu’une volonté politique sans faille devra accompagner leur mise en œuvre.

Pour l’heure, il nous semble évident que la pression migratoire rend l’adaptation des services publics et des infrastructures très complexe au regard des besoins de la population. Tout État, quel qu’il soit, peinerait à absorber une augmentation d’un tiers de la population en seulement cinq ans, sachant, en outre, que la clandestinité d’une grande partie des migrants rend impossible un recensement exhaustif et l’adaptation des équipements en conséquence.

Mayotte est une société très jeune – 54 % de la population a moins de vingt ans –, mais les pouvoirs publics peinent à suivre cette démographie vigoureuse. Par exemple, il manque encore près de 450 classes pour pouvoir scolariser l’ensemble des enfants dans des conditions décentes, dont 150 dans le chef-lieu du département, Mamoudzou.

Des signes encourageants apparaissent cependant, comme la stabilisation des naissances depuis 2009, même si le taux de fécondité reste compris entre cinq et six enfants par foyer.

La société mahoraise s’était déjà engagée sur la voie du progrès avant l’aboutissement du processus de départementalisation. La loi du 21 juillet 2003 avait ainsi conduit à une profonde mutation du statut civil de droit local pour adapter l’île aux principes fondamentaux de la République.

Ce processus a été parachevé avec l’ordonnance du 3 juin 2010, qui a posé le principe selon lequel le statut local ne saurait limiter ou contrarier les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français. Je pense notamment à l’établissement de l’égalité entre les hommes et les femmes en matière de mariage et de divorce.

Dans le même registre, nous nous félicitons de l’achèvement de la révision de l’état civil ou de l’alignement progressif sur le droit commun de l’organisation judiciaire.

Le changement majeur pour Mayotte fut sa transformation en département d’outre-mer à compter de mars 2011. La départementalisation de Mayotte, approuvée à 95 % par les électeurs en 2009, permettra-t-elle toutefois d’ouvrir une nouvelle page de l’histoire de l’île et de son développement, comme le souhaitent ses laudateurs ? Nous sommes nombreux ici à le souhaiter, mais nous rappelons aussi que la question institutionnelle constitue un débat récurrent dans nos collectivités ultramarines et que, jusqu’à présent, les changements de statut n’ont pas eu d’effets décisifs en termes de décollage économique.

La question institutionnelle n’est pas marginale, mais elle ne saurait constituer la panacée universelle. Le statut n’est qu’une boîte à outils, à charge pour ceux qui s’en servent de l’utiliser avec audace, mais aussi avec rigueur ; à charge également pour l’État français d’apporter tout son concours et ses compétences pour aider nos compatriotes mahorais à s’engager dans la voie d’un véritable progrès endogène.

Or, sur cette question, le plus gros travail reste à faire, comme le relève l’Institut d’émission des départements d’outre-mer, l’IEDOM. La forte croissance du PIB ces dernières années s’explique à titre principal par le poids des administrations publiques, sa contribution à la valeur ajoutée représentant la moitié. Entreprises et ménages ne contribuent chacun qu’à environ un quart de la richesse produite, la consommation demeurant le principal moteur de l’économie.

Malgré cette croissance dynamique, le PIB par habitant reste quatre fois inférieur à celui de la France métropolitaine. Cela étant dit, le développement économique de l’île et l’élévation du niveau de vie ont en partie pour effet d’accroître la demande des biens, mais cette augmentation de la demande, associée à des coûts d’acheminement importants, a surtout engendré une situation inflationniste particulièrement préjudiciable au développement et source de tensions sociales. Ce phénomène n’est pas propre à Mayotte – on se souvient de la grève générale en Guadeloupe en 2009 –, mais il entraîne une hausse de la précarité que nous ne pouvons accepter.

Dans ce contexte, le département est en première ligne pour assurer la prise en charge sociale des populations. Or la transformation en cours d’une économie agricole vers une économie de service laisse trop de monde sur le carreau. Les administrations constituent le premier employeur de l’île, mais souffrent de façon concomitante d’une fragilité financière inquiétante, alimentée par une structure fiscale volatile.

Le conseil général a bien tenté de jouer un rôle d’amortisseur social en procédant à des embauches massives, mais une telle politique n’est pas soutenable, nous le comprenons tous, à long terme.

La transition vers la fiscalité de droit commun sera décisive, et l’État devra faire en sorte que la solidarité nationale s’exerce pleinement pour permettre à Mayotte de relever ces défis.

Monsieur le ministre, le groupe du RDSE et les Radicaux de gauche tiennent à saluer le choix de nos compatriotes mahorais d’approfondir leur enracinement dans la République. Qu’ils sachent qu’ils pourront compter sur notre solidarité, assurée par les valeurs qui fondent notre pays, pour progresser vers une société meilleure. §

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