Intervention de Abdourahamane Soilihi

Réunion du 20 février 2013 à 14h30
Débat sur la situation à mayotte

Photo de Abdourahamane SoilihiAbdourahamane Soilihi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la nouvelle législature a commencé avec la décision du Président de la République de convoquer le Parlement en session extraordinaire pour examiner dans l’urgence certains textes de grande importance, dont le projet de loi sur la vie chère en outre-mer. Vous avez qualifié ce texte de « boîte à outils », monsieur le ministre ; c’est un dispositif qu’il faut utiliser à bon escient.

Malgré la récente promulgation de la loi, Mayotte reste profondément touchée par le phénomène de la vie chère, qui frappe de plein fouet ses habitants, dont le pouvoir d’achat demeure très faible. Pour éradiquer le fléau, le combat sur le terrain doit se poursuivre.

À ce dispositif de lutte contre la cherté de la vie outre-mer viennent s’ajouter d’autres textes. Je pense, d’une part, à celui sur les emplois d’avenir, qui a été adopté et promulgué récemment pour stimuler l’emploi des jeunes sans qualification ou peu qualifiés, et, d’autre part, à celui sur les contrats de génération, qui n’a pas été promulgué à ce jour. Mais qu’en serait-il de leur application dans le territoire mahorais, où le tissu économique demeure très fragile ?

Cela dit, un certain nombre de remarques doivent guider notre réflexion sur la situation globale de ce département.

Premièrement, vous avez pris la décision d’y ajouter une mesure supplémentaire en faveur de l’égalité sociale, en chargeant une mission d’inspection d’étudier les différentes éventualités s’agissant de la mise en œuvre de l’indexation à Mayotte. Je salue avec sincérité l’avènement de cette mesure. Mais que ressort-il réellement des travaux de la délégation interministérielle sur l’évaluation et les conditions de mise en place de ladite indexation ?

Le dispositif des emplois d’avenir oriente les jeunes vers un travail qualifié au bout de quelques années de formation dans le secteur public. C’est une mesure que j’encourage. Toutefois, monsieur le ministre, vous n’êtes pas sans savoir que les collectivités locales mahoraises sont dans une conjoncture budgétaire et financière de plus en plus difficile et inquiétante. Compte tenu de l’absence de développement du secteur privé, leurs effectifs sont déjà trop importants et peu qualifiés.

Comment tous ces efforts doivent-ils s’articuler dans un tel contexte budgétaire contraint ?

Parallèlement à cela, j’approuve pour ma part la proposition issue du rapport de MM. Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan. Nos collègues insistent sur la nécessité de mettre en place un programme de formation destiné aux fonctionnaires locaux et aux élus pour affronter au mieux les grands bouleversements sociétaux qui attendent Mayotte au tournant de son histoire.

Deuxièmement, à travers le processus d’évolution institutionnelle de l’île que nous examinons, je note que ces collectivités restent aujourd'hui encore mal dotées au plan budgétaire et mal accompagnées sur le plan administratif.

J’espère que l’acte III de la décentralisation n’occultera point les problématiques criantes actuelles et que ces considérations seront prises en compte.

Et, a fortiori, à l’heure où la crise mondiale et européenne fait rage, le département doit poursuivre sa modernisation institutionnelle, socio-économique, voire identitaire.

En somme, nous pouvons remarquer que le calendrier de la départementalisation fixé par le pacte a été approuvé collectivement par les responsables politiques locaux et la population.

À l’appui de ce document, nous ne pouvons dévier le cadre évolutif qui a été fixé avec des orientations précises. Mais il n’en demeure pas moins que tout peut faire l’objet de discussion.

L’esprit de débat, c’est ce qui nous anime ici, dans cette Haute Assemblée, qui a toujours eu des rapports singuliers avec Mayotte.

La départementalisation a été voulue par des femmes et des hommes de conviction. Ils souhaitaient qu’elle soit un facteur de liberté, de stabilité, de justice, d’égalité et d’équité entre tous les citoyens, ainsi qu’un moyen de développement économique et social profitable à tout le monde, jeunes et moins jeunes.

Mais, pour qu’un tel désir devienne réalité, il importe que nous ouvrions aujourd’hui une nouvelle page de l’histoire de l’île, une page dans laquelle nos jeunes compatriotes mahorais pourront occuper en toute légitimité républicaine leur place en devenant des porteurs d’un nouveau projet de société pour les trente années à venir, des citoyens responsables et résolument engagés dans le développement de leur île, des porteurs de projets économiques viables et innovants et des partenaires sérieux pour les pays voisins, à travers une coopération régionale décentralisée, mieux cadrée, dans un esprit gagnant-gagnant, capable de leur permettre de faire face aux défis actuels de la mondialisation.

Monsieur le ministre, par cette énumération, vous avez sans aucun doute saisi le sens profond de ma pensée : la départementalisation reste à construire, pour qu’elle soit synonyme de vie meilleure et d’égalité de chances pour nous tous.

Les gouvernements successifs ont à maintes reprises promis d’accompagner les collectivités mahoraises dans cette phase importante de notre évolution institutionnelle, qui sera marquée, nous le savons bien, par des moments douloureux et difficiles, mais incontournables dans la voie de la responsabilité que nous avons collectivement tracée.

Le président de la commission des lois, également rapporteur, avait d’ailleurs souligné au mois de juillet 2012 que la départementalisation se réalisait dans des conditions difficiles. Il déclarait ne pas imaginer que l’on puisse atteindre le droit commun à court terme.

À cet effet, j’affirme avec force que la solidarité nationale est plus que jamais nécessaire pour permettre à cette population, la plus exposée de toute la nation française, de faire face aux difficultés de la vie quotidienne.

Car si la départementalisation statutaire n’est plus ce projet en devenir ou ce combat d’un demi-siècle, il reste une autre conquête, d’une aussi grande importance, à accentuer – elle est déjà engagée – et à mener à terme dans les toutes prochaines années : c’est la grande affaire de l’éducation et de l’encadrement de la jeunesse. Beaucoup des orateurs qui m’ont précédé y ont fait référence. C’est avec elle que doit se bâtir la nouvelle société mahoraise que j’appelle de mes propres vœux ; l’essentiel de l’action publique doit se structurer autour de cet enjeu majeur.

À ce titre, sachez qu’il existe à travers toute l’île une insuffisance manifeste de salles de classes pour accueillir une part très importante de jeunes à scolariser. Et l’éducation nationale est confrontée aujourd'hui encore à cette lourde difficulté ; de nombreuses écoles actuelles se trouvent dans un état de délabrement pitoyable. Cela expose nos jeunes et les personnels à des risques majeurs d’insécurité.

Monsieur le ministre, j’attire votre attention sur cette situation, qui exige des solutions immédiates. En effet, l’éducation est une mission régalienne de l’État. Or un peuple qui ne se soucie pas de sa jeunesse est un peuple qui se suicide.

Pour rappel, l’INSEE a recensé 212 600 habitants en 2012 à Mayotte, en soulignant que la population augmentait toujours fortement. Selon cet organe, avec 570 habitants au kilomètre carré, Mayotte est le département français le plus dense après ceux d’Île-de-France, et la périphérie de Mamoudzou, le chef-lieu, se développe au détriment de la ville même.

Troisièmement, je voudrais évoquer brièvement la loi du 7 décembre 2010 relative au département de Mayotte, qui prévoit sans ambiguïté l’entrée en vigueur à partir du 1er janvier 2014 d’un nouveau régime fiscal fondé essentiellement sur la fiscalité locale directe.

Je conçois qu’une telle initiative soit de nature à donner une impulsion nouvelle et une dynamique à réinventer à l’échelle locale, afin de gagner la bataille économique, sociale et culturelle du nouveau département.

Mais, force est de le constater, la dynamique transcrite dans le pacte pour la départementalisation mérite d’être accentuée, afin de dissiper les inquiétudes qui se sont manifestées et qui se manifestent toujours dans le territoire.

En outre, en l’absence de lisibilité claire et de transparence quant à la mise en application des mesures prises par le Gouvernement, je ne suis pas convaincu que la mise en œuvre de la fiscalité locale et l’octroi des différents fonds structurels européens s’effectueront en 2014 dans les conditions appropriées.

Il faut accentuer la formation des autorités locales et des cadres qui auront à gérer ces nouveaux fonds européens.

Une véritable synergie doit être engagée pour mettre à contribution toutes les administrations de l’État, des collectivités locales, groupements, chambres consulaires et divers syndicats, pour affronter de concert les défis de la mise en œuvre des mesures à prendre.

Pour mémoire, monsieur le ministre, lors de votre audition, le 11 juillet dernier, devant la délégation sénatoriale à l’outre-mer, vous avez pris le soin de détailler les programmes d’action, les priorités et les méthodes que vous souhaitiez impulser.

Vous avez tout d’abord indiqué qu’une nouvelle méthode d’action serait mise en place, en favorisant la participation des élus à l’action gouvernementale. De plus, vous avez précisé que le ministère des outre-mer bénéficierait d’une émancipation vis-à-vis du ministère de l’intérieur, afin de gagner en autorité pour mener une action ministérielle plus efficace.

Vous avez aussi annoncé l’affectation dans chaque ministère des référents outre-mer, afin de tenir compte de la spécificité de ces territoires en amont du travail normatif. C’est une bonne chose, mais je constate une nouvelle fois que le jeune département est à la marge de toutes ces mesures et ne bénéficie pas du même traitement que les autres.

Aujourd’hui, on demande à celui-ci d’exercer l’ensemble de ses compétences sans aucun accompagnement. Le conseil général de Mayotte assurant les attributions d’un département doit également assumer celles d’un conseil régional.

Certes, cela pourrait se faire, mais au préalable la mise en œuvre de ces responsabilités suppose, d’une part, un accompagnement accru de l’État face au déficit chronique qui asphyxie lourdement la collectivité et, d’autre part, le transfert de certaines compétences aux autres collectivités locales afin de désengorger celui-ci.

Dans la perspective de parvenir à un équilibre institutionnel, j’estime que le projet de l’acte III de la décentralisation doit prendre en compte cette exigence avec les moyens financiers adéquats.

Pour clore ce chapitre et dans la lignée de vos observations, j’ajoute qu’il faudrait que nous repensions, en étroite synergie, de nouvelles méthodes de travail pour une véritable décentralisation des compétences en direction des collectivités mahoraises, dans leurs sphères respectives.

Par ailleurs, en ce qui concerne la lutte contre l’immigration clandestine, certes, des efforts ont été engagés, mais force est de constater que le combat est loin d’être gagné. Combien d’enfants et d’adultes périssent dans ce bras de mer, monsieur le ministre, à l’heure où la France réaffirme sa place prépondérante en matière de politique étrangère, comme en témoigne l’épisode malien ?

Il est vrai que nous nous sommes rencontrés pour évoquer des mesures de lutte contre l’immigration illégale afin de tenter d’apporter des éléments nouveaux. Néanmoins, je réaffirme mon souhait de voir s’amorcer un dialogue sérieux entre les différentes autorités françaises et comoriennes pour que les passages des barques de fortune s’arrêtent, et que la coopération régionale s’effectue dans un climat apaisé et de codéveloppement.

Afin de préparer l’intégration de Mayotte dans son environnement proche, je réitère avec vigueur mon vœu : entreprendre des partenariats sérieux avec les pays voisins, à travers une coopération régionale décentralisée, mieux cadrée, dans un esprit « gagnant-gagnant », pour faire face aux nouvelles donnes de la mondialisation.

La place de Mayotte dans la République et celle de la France dans l’Europe constituent une valeur ajoutée certaine pour Mayotte, ce qui devrait favoriser l’émergence d’une politique de coopération et les actions extérieures des collectivités territoriales mahoraises.

Pour en finir, je souhaite souligner que, à l’occasion du recensement 2012, l’INSEE a indiqué que le logement augmente moins vite que la population du département. Sachez que cette question reste un sujet crucial dans les outre-mer. Elle est d’autant plus importante à Mayotte, où l’habitat insalubre connaît une proportion, somme toute, non négligeable.

J’ai eu l’occasion de préciser lors de la discussion du projet de loi « vie chère outre-mer » que la politique de logement à Mayotte est inexistante, alors qu’elle devrait constituer une préoccupation pour les gouvernements successifs.

Je saisis l’opportunité qui m’est offerte aujourd’hui, à l’occasion de ce débat très animé, pour revendiquer au nom des collectivités territoriales dont je suis le porte-voix, dans cette assemblée, que l’application du droit commun, dans le département, passe aussi par un alignement équilibré de toutes les institutions de la République. §

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