Intervention de Serge Larcher

Réunion du 20 février 2013 à 14h30
Débat sur la situation à mayotte

Photo de Serge LarcherSerge Larcher :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dirai un mot, tout d’abord, pour me réjouir de l’organisation du présent débat et féliciter le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, et ses deux corapporteurs, nos collègues Christian Cointat et Félix Desplan, de l’excellent et très complet rapport d’information établi sur la situation de Mayotte à la suite de leur déplacement au mois de mars 2012, voilà déjà presque un an. Ce rapport constitue un précieux outil pour mesurer le chemin parcouru et évaluer les défis à relever… qui se font de plus en plus pressants !

Le chemin parcouru est considérable et témoigne d’une belle constance de nos compatriotes mahorais dans l’affirmation de leur appartenance à la France et leur aspiration à un ancrage solide au sein de la République par l’accession au statut départemental.

Après avoir exprimé à une très large majorité son hostilité à l’indépendance lors du référendum du 22 décembre 1974, la population mahoraise a en effet massivement confirmé sa volonté de rester Française lors d’un vote-plébiscite le 8 février 1976 et, deux mois plus tard seulement, elle s’est prononcée lors d’une nouvelle consultation en faveur de la départementalisation. Mais le contexte régional et les tensions avec les Comores ont conduit les autorités politiques françaises à temporiser sur ce dernier point ; et cette situation provisoire a duré en définitive plus d’un quart de siècle : du statut sui generis de « collectivité territoriale de la République » de 1976, qui était un hybride entre DOM et TOM, on a abouti au statut de département à part entière le 7 décembre 2010, après un passage par une curiosité institutionnelle, la collectivité départementale avec le statut de 2001 ! Ce « Canada dry » des institutions avait l’apparence du département, mais sans les attributions.

L’avènement du Département de Mayotte, avec un grand « D », le 31 mars 2011, marque ainsi l’aboutissement d’un processus qui peut paraître long mais qui a connu en réalité une nette accélération à compter de l’accord sur l’avenir de Mayotte de janvier 2000 et du pacte pour la départementalisation de Mayotte de janvier 2009. Ainsi peut-on affirmer que le processus de départementalisation n’est véritablement en marche que depuis une dizaine d’années, avec une période de maturation qui paraît dès lors relativement brève à l’aune des spécificités extrêmement fortes caractérisant la société mahoraise.

Les modifications nécessaires pour rendre compatibles ces spécificités avec les principes fondateurs de la République, en particulier les évolutions concernant le droit de la famille, le rôle des cadis et le poids de la tradition ou encore la réorganisation de l’état civil, ont un impact direct sur l’évolution de la société qui, en parallèle et dans le même laps de temps, tente d’absorber le choc du passage d’une économie traditionnelle vivrière au modèle consumériste dit « moderne ».

À l’instar des autres collectivités ayant longtemps vécu sous le joug colonial et qui ont connu de profonds bouleversements dont elles éprouvent encore le traumatisme, source de séismes sociaux périodiques, Mayotte, tout en présentant une puissante singularité, est à son tour confrontée, avec le renforcement du modèle occidental, aux réalités de la « vie chère » et des mouvements sociaux qui en découlent. Le long conflit de la fin de l’année 2011 et l’explosion sociale qui l’a accompagné ont marqué un tournant : aucun conflit social n’avait jusque-là conduit à un tel déferlement de violence.

Sans doute ces événements trouvent-ils en partie leur origine dans une incompréhension de la population et le sentiment que les évolutions positives concrètes liées à la départementalisation se font attendre ! Il faut dire que l’attente avait déjà été longue pour accéder au statut de département et que, à défaut de démarche pédagogique adaptée, cet aboutissement portait en lui la croyance dans l’avènement d’une égalité sociale immédiate !

Cette égalité sociale, notamment en termes d’éligibilité aux mêmes prestations que dans l’Hexagone, a suivi un long et laborieux cheminement pour les « quatre vieilles » : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion. Il n’est que d’entendre Aimé Césaire dans son intervention de soutien à la question préalable, à l’Assemblée nationale en 1986, sur le projet de loi de programme relative au développement des départements d’outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte, dont l’article 1er dispose que « l’effort de la nation en faveur des départements d’outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte tend […] à la réalisation en cinq ans […] de la parité sociale globale avec la métropole » !

Récusant l’interchangeabilité des mots « égalité » et « parité », Césaire déclare : « Il y a des mots ombrageux et qui ne supportent pas d’être amoindris par le voisinage d’une quelconque épithète. Le mot « égalité » est de ceux-là. Il n’y a pas d’égalité « adaptée », il n’y a pas d’égalité « globale », l’égalité est ou n’est pas… »

Force est de constater que l’objectif reste loin d’être atteint en dépit d’un mouvement de rattrapage auquel la crise actuelle a d’ailleurs mis un frein. Je vous invite à vous référer aux actes du colloque organisé par la délégation sénatoriale à l’outre-mer sur le développement humain et la cohésion sociale dans les outre-mer, actes publiés aujourd’hui même et que voici !

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