Madame Benbassa, j’ai entendu votre préoccupation sur la dignité humaine. J’y suis évidemment très attentif même si, je ne vous le cache pas, la situation est difficile. Elle n’est nullement satisfaisante en matière de conditions de rétention ou d’exercice effectif des droits. Nous n’ignorons pas la décision de la Cour européenne des droits de l’homme et, avant la fin de l’année, un certain nombre de textes devront avoir été révisés.
Le Gouvernement a d’ores et déjà beaucoup investi. Mais, plus fondamentalement, nous réfléchissons à une voie pour appliquer le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en lieu et place de l’ordonnance actuelle. Sans vouloir entrer dans des détails techniques et juridiques, il existe deux voies : l’une est formulée dans le rapport Christnacht, l’autre voie consisterait à s’insérer dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
L’effort du Gouvernement pour améliorer les conditions sanitaires à Mayotte sera maintenu et renforcé ; à cet égard, l’enjeu démographique nous oblige.
Madame Benbassa, vous avez soulevé la question des recours contre les décisions d’éloignement. Ces recours ne sont pas suspensifs à Mayotte, du fait de la singularité et du caractère massif des flux migratoires. Au demeurant, ce fait n’est pas exceptionnel, puisqu’il existe aussi en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique. Reste que, dans ce domaine également, nous aurons à agir pour rendre le droit conforme aux acquis communautaires.
La Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt rendu le 13 décembre 2012 relativement à l’affaire Souza Ribeiro, n’estime pas que le recours doive être systématiquement suspensif ; en revanche, elle considère qu’en cas de référé-liberté, il ne doit pas être procédé à l’éloignement des étrangers avant que le juge ait statué. Des instructions ont été données pour que cette décision soit appliquée à Mayotte, comme du reste en Guyane.
Madame Assassi, je ne crois pas que les tragédies qui se produisent – hélas ! – au large de Mayotte soient liées au visa Balladur. Le Gouvernement est favorable au maintien d’un visa et il n’est pas envisageable, dans le contexte actuel, de supprimer celui qui existe. Je comprends la détresse comorienne, mais il appartient au Gouvernement et à moi-même d’assurer l’équilibre social et économique de Mayotte, ainsi que sa cohésion. Vous avez eu raison de souligner que la coopération est une voie ; j’ai déjà eu l’occasion de dire combien j’y suis favorable.
Pour ce qui concerne le nourrisson malheureusement décédé en août dernier, une enquête judiciaire est en cours et il n’est pas établi à ce jour qu’il soit décédé dans l’enceinte du centre de rétention administrative.
Monsieur Abdourahamane Soilihi, je tiens à vous remercier de votre intervention très complète et marquée par le sens de l’humour qui vous caractérise. Il n’est nullement question de dévier du cap fixé par le pacte de départementalisation. Vous avez rappelé que les Mahorais sont attachés à cet objectif et je n’en doute aucunement. Il me semble que ce gouvernement a déjà démontré sa mobilisation pour ce territoire.
La solidarité nationale joue et continuera de jouer. Il est vrai, monsieur le sénateur, que la situation reste difficile. Vous avez cité certains cas d’écoles en mauvais état. Vous savez que les écoles du premier degré relèvent de la compétence du syndicat mixte d’investissement et d’aménagement de Mayotte, le SMIAM, qui rassemble les différentes collectivités territoriales de l’île, dont ses dix-sept communes. L’État est évidemment favorable à un meilleur fonctionnement de cet établissement public.
À propos de la transition fiscale, je répète que le calendrier est fixé et je pense que les dates butoirs seront respectées. Le cadre méthodologique est également arrêté, de même que l’objectif : le maintien de ressources suffisantes pour permettre aux collectivités territoriales d’exercer leurs compétences.
Monsieur le sénateur, je partage votre avis sur la nécessité de former davantage les agents publics ; c’est le cas pour les agents d’état civil et les agents pénitentiaires, mais aussi, de manière générale, pour tous les agents des trois fonctions publiques. Ce travail est en cours.
Vous avez signalé que le conseil général était en difficulté. Nous travaillons étroitement avec lui pour définir une trajectoire de redressement. Quelques lueurs d’espoir sont apparues récemment.
Vous avez également rappelé certains des propos que j’ai tenus en juillet dernier. J’ai le plaisir de vous faire observer que, s’agissant de la participation des élus, il me semble avoir tenu parole. Le ministère des outre-mer est votre ministère §et ses portes restent ouvertes. Vous continuerez d’être associé en amont à la préparation des lois et des décrets.
J’ai reçu les élus mahorais à plusieurs reprises et sur différentes questions, comme l’immigration ou l’octroi de mer. S’agissant de ce dernier problème, les réunions de travail ont commencé et un travail approfondi est mené sur les trois listes de produits A, B et C. Un différentiel maximal de 30 % devrait pouvoir être tenu, même si je conçois que ce différentiel puisse faire l’objet de discussions et d’appréciations différentes. Monsieur Abdourahamane Soilihi, j’ai bien noté que vous vous êtes plusieurs fois fait excuser, ne pouvant vous déplacer. Ma maison reste ouverte et je reçois chaque semaine.
Comme vous l’avez signalé, mon ministère est aujourd’hui un ministère de plein exercice. J’ai obtenu de mes différents collègues qu’ils nomment des référents outre-mer dans leur cabinet. C’est aujourd’hui chose faite. C’est ce qui explique le coût d’accélérateur donné en faveur de Mayotte ces derniers mois.
Monsieur Thani Mohamed Soilihi, l’aspiration des Mahorais à voir leurs conditions de vie s’améliorer est légitime. Le Gouvernement a déjà démontré qu’il partageait cet objectif. J’ai rappelé au début de mon intervention quelques-unes des décisions qui ont été prises au cours des derniers mois en faveur de Mayotte. J’aurais pu en citer beaucoup d’autres.
J’entends la demande d’accélération de la convergence de Mayotte vers les autres départements et je la comprends. Vous n’attendrez pas aussi longtemps, parce que si, vous avez raison, la problématique est peut-être différente, le processus est le même. La convergence aura lieu de façon accélérée. Je rappelle que l’alignement du RSA se fera non pas en vingt-cinq ans, mais en moins de cinq ans.
Reste que cette accélération est porteuse de risques pour les équilibres d’un territoire fragile – peut-être certains d’entre vous ne partageront-ils pas cette opinion. D’ailleurs, monsieur Thani Mohamed Soilihi, vous avez rappelé plusieurs des fragilités de Mayotte. Il nous appartient donc de ne pas brusquer les étapes afin que l’alignement puisse avoir lieu dans les meilleures conditions. Ce travail est difficile : il requiert l’implication et la responsabilisation de tous, notamment des collectivités territoriales. Je m’emploie d’ores et déjà à susciter cette implication en veillant à entretenir un dialogue constructif avec les collectivités territoriales et avec les élus, en particulier avec le conseil général ; mais des efforts supplémentaires sont indispensables.
Monsieur Thani Mohamed Soilihi, permettez-moi de répondre plus précisément aux questions que vous avez soulevées.
S’agissant de la transition fiscale, je partage votre souci d’anticipation. Les éléments dont nous disposons pour le moment permettent de prévoir que le passage au droit commun de la fiscalité donnera aux communes des marges de manœuvre – je l’ai déjà indiqué, mais il est bon de le marteler – et donc davantage d’autonomie.
Ces marges de manœuvre sont précieuses : elles ne doivent pas être dilapidées, mais permettre aux communes d’assumer dans de bonnes conditions les nouvelles compétences qui s’imposeront à elles, notamment la gestion des déchets et les services d’incendie et de secours.
Pour le conseil général, le principe est la compensation intégrale fondée sur une année de référence, l’année 2012, et indexée dynamiquement. Toutefois, il est encore trop tôt pour avancer des chiffres précis.
En ce qui concerne la mise en œuvre des recommandations du rapport Christnacht, le Gouvernement s’est mobilisé comme il l’avait annoncé et, d’ores et déjà, des réunions interministérielles ont permis de fixer à chaque ministère concerné sa feuille de route. Certaines préconisations sont déjà appliquées, comme la diminution du nombre de personnes retenues au centre de rétention administrative, qui a été abaissé à cent ; d’autres sont en cours de mise en œuvre ; d’autres encore nécessitent des expertises plus poussées.
Concernant la prise en charge des mineurs isolés, les chiffres actuels sont tirés des études commandées par l’État et le conseil général au sein de l’Observatoire des mineurs isolés : on dénombrait 3 500 mineurs en situation de fragilité et un peu moins de 450 jeunes sans référent adulte en 2012.
Monsieur Mohamed Soilihi, je ne dispose pas, à ce jour, des conclusions du rapport de la préfète Yvette Mathieu, qui s’est rendue sur place à la fin du mois de janvier au nom du Défenseur des droits. Néanmoins, j’ai déjà discuté avec le Défenseur des droits et, à titre personnel, je souhaite que l’État reprenne quelque autonomie pour assurer la protection effective des enfants en général. Certes, l’aide sociale à l’enfance a un coût important ; mais il est évidemment inacceptable que le conseil général consacre moins de 5 % de ses dépenses à cette politique.
Enfin, je partage vos espoirs au sujet des leviers d’un développement prochain pour Mayotte : le tourisme, les énergies renouvelables, l’aquaculture. Mayotte compte l’une des meilleures exploitations aquacoles. Vous savez que l’État a mobilisé des fonds importants pour soutenir l’activité de ce territoire ; il poursuivra son effort. Nous attendons avec quelque impatience la « rupéisation » pour l’utilisation des fonds structurels européens.
Monsieur Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, vous avez résumé en quelques mots les défis auxquels nous sommes tous collectivement confrontés pour ancrer solidement Mayotte au sein de la République. C’est un vrai défi pour la République.
On peut comprendre, et même d’une certaine façon approuver, les impatiences qui s’expriment. Reste qu’on peut agir vite et bien, en prenant le temps de la réflexion ; une action bien pensée et bien construite a de meilleures chances de succès. Comme je l’ai dit aux élus mahorais, nous devons éviter de reproduire à Mayotte l’erreur qui a été commise pour d’autres territoires : en voulant aller vite, on a ignoré à certains égards la culture locale.
Monsieur le sénateur, j’ai pris connaissance, comme vous, des chiffres sur les retards de développement que connaissent tous nos territoires d’outre-mer en termes d’indice de développement humain. Il est urgent d’agir sur les leviers évidents que sont la jeunesse et le renforcement de l’assise de Mayotte dans son environnement régional.
Je suis d’accord avec vous sur la nécessité de renforcer une politique active de codéveloppement. Je vous rappelle que le président de l’Union des Comores accomplira une visite d’État en France au mois de mai prochain. J’espère que nous pourrons aboutir pour cette échéance à des avancées concrètes en matière de coopération.
J’attends aussi avec quelque impatience le rapport du député Serge Letchimy, parlementaire en mission, pour identifier les bonnes déclinaisons de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et les meilleures modalités de coopération avec nos environnements immédiats.
Enfin, à partir de 2014, les fonds européens constitueront également un levier important pour soutenir le développement économique de Mayotte.
Monsieur Vergoz, j’ai bien entendu ce que vous avez dit sur les valeurs de la République. Des propos inacceptables ont été tenus par un fonctionnaire d’autorité. Il a été muté. Des propos de ce type ne doivent pas être tolérés. Le Gouvernement a pris des mesures.
Je suis heureux que les parlementaires de La Réunion s’intéressent sincèrement et activement à la situation de Mayotte et à son développement. Je me réjouis que nous soyons tous favorables au renforcement de la coopération ; je sais que, dans l’opinion de Mayotte, ce n’est pas si évident que cela. M. Thani Mohamed Soilihi a évoqué un cas pénible : lorsqu’on va chercher des enfants pour les bouter hors de l’école, c’est difficile à accepter, même si l’on peut comprendre ce que vivent des compatriotes.
En tout cas, monsieur Vergoz, je vous remercie pour le soutien que vous apportez à la politique du Gouvernement. Je trouve important que tous les parlementaires de la Nation, singulièrement les sénateurs, s’intéressent comme vous à la bonne intégration de Mayotte au sein de la République.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour la qualité de ce débat, qui fait honneur à la République. Oui, nous devons être attentifs à Mayotte, notre cent unième département. La République est une promesse que nous devons tenir vis-à-vis de ceux qui ont fait le choix de la rejoindre – à Mayotte, ce choix a été exprimé lors de trois votes – et qui veulent se sentir des citoyens à part entière. La feuille de route de ce gouvernement pour les outre-mer, c’est le retour de l’État dans les outre-mer et le retour des outre-mer au cœur de la République. Nous y travaillons ! §