Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, dans un monde en bouleversement, où les grands équilibres, que l’on pensait pourtant immuables, sont ébranlés, débattre de la politique étrangère de notre pays en moins de deux heures relève de la gageure. Et c’est d’autant plus vrai dans le temps limité qui m’est imparti. Je le mettrai donc à profit pour insister sur deux grandes zones où les enjeux me semblent cruciaux : l’Afrique du nord et de l’ouest, d’une part, le Moyen-Orient, entre la Syrie et l’Iran, d’autre part.
En effet, comment parler de notre politique étrangère sans aborder l’engagement de nos forces armées au Mali ? Le 16 janvier dernier, nous avons eu l’occasion d’en débattre ici même, monsieur le ministre. L’intervention fut largement, presque unanimement approuvée sur les travées de notre Haute Assemblée, tout comme elle est soutenue, nous le savons, par une très grande majorité de nos concitoyens.
Ne pas répondre à l’appel du président Traoré aurait entraîné, rien de moins, que l’écroulement de cet État, nous en sommes certains. Le risque de déstabilisation de l’ensemble de la région sahélienne était également réel : au Niger, au Tchad, en Mauritanie, jusqu’au Nigeria, voire aux pays du Maghreb, Algérie et Libye en tête.
En associant les pays frontaliers, les institutions régionale – la CEDEAO –, continentale – l’Union africaine – et internationale – l’ONU –, le Président de la République a esquissé les grandes orientations de sa politique africaine. La France a choisi d’assumer les responsabilités qui lui incombent du fait de ses anciennes et profondes relations avec ces pays, mais sans pour autant perpétuer des politiques d’ingérence contre les peuples africains.
Cette action résolue permit d’entraîner les États voisins du Mali, au sein de la MISMA, la mission internationale de soutien au Mali, puis un certain nombre d’États européens, même si cet épisode pose, une fois de plus, la question de l’Europe de la défense.
Trois objectifs furent assignés à notre engagement : tout d’abord, libérer le Nord-Mali et délivrer les populations du joug de la terreur et de l’obscurantisme ; ensuite, rétablir un État malien solide et stabiliser la région ; enfin, œuvrer en faveur du développement sur l’ensemble du territoire.
Le premier objectif, qui constitue le volet militaire de l’opération, est en passe d’être atteint, et l’action de nos forces engagées dans l’opération Serval doit être louée.
Les principales villes du Nord-Mali ont été libérées et les groupes terroristes, considérablement affaiblis, se sont repliés dans l’immensité saharo-sahélienne, dont les frontières, on le sait, sont poreuses. Ils menacent la paix, ainsi que la sécurité des militaires et des civils, à travers des opérations de guérilla dont ils se sont fait la spécialité.
La reconstruction du Mali ne pourra s’opérer sans s’attaquer aux antagonismes régionaux, entre le Nord, touareg et arabe, historiquement délaissé par le pouvoir central et affecté par la désertification du Sahel, et la partie subsaharienne, où l’on trouve des populations bambaras, sénoufos, songhaï, peuls, dogons.
Rétablir l’État malien passera également par la remise du pouvoir aux civils et par le rétablissement de l’ordre constitutionnel, que l’on n’évoque pas assez souvent.
Des élections présidentielle et législatives devraient se tenir en juillet 2013. Nous ne pourrions que nous en réjouir si nous ne devions malheureusement pas aussi en douter…
Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunira dans les prochaines semaines et abordera la question du déploiement de Casques bleus, auquel est favorable la Communauté des États sahélo-sahariens. Malheureusement, les autorités maliennes semblent, elles, réticentes à cette intervention, craignant – nous pouvons les comprendre, mais il faut bien trouver une solution ! – un scénario à la soudanaise.
L’Europe, quant à elle, absente du volet militaire de l’intervention pourrait, ce qui serait souhaitable, participer à la reconstruction d’un État malien grâce à sa politique d’aide au développement. Une conférence des donateurs pour le Mali, co-organisée par l’Union européenne et la France, aura d’ailleurs lieu dans les prochaines semaines à Bruxelles.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous informer sur la méthode et la feuille de route que le Gouvernement souhaite mettre en œuvre afin d’atteindre les trois objectifs que j’ai cités ?
Bien sûr, je n’oublie surtout pas en ce jour la question des otages français retenus au Sahel. Nous avons en effet appris en début d’après-midi le rapt de sept de nos concitoyens – toute une famille – à l’extrême nord du Cameroun. Nous pensons à eux en cet instant.
Cet événement nous pousse à nous interroger une nouvelle fois sur le nécessaire renforcement des liens de coopération avec les États de l’Afrique centrale et occidentale pour lutter avec détermination contre ce qui semble être devenu un « business de l’enlèvement », et qui s’étend à partir du Nigeria, comme c’est encore le cas aujourd’hui.
J’ai la conviction en tout cas que la sécurisation de la zone saharo-sahélienne dépend grandement de la stabilisation des pays d’Afrique du Nord. De ce point de vue, les inquiétudes sont vives dans les pays du « printemps arabe ». En Tunisie et en Égypte – grand pays à la culture et à l’histoire magnifiques –, alors que deux années se sont écoulées depuis le départ des anciens dictateurs, les effluves des révolutions de jasmin se sont évaporés.
Ces deux pays sont menacés par un effondrement économique et sont traversés par de vives tensions politiques et sociales, sous forme de terrorisme religieux.
Quelles actions pouvons-nous mettre en œuvre pour favoriser une réelle transition démocratique en Tunisie, alors que des militants du parti au pouvoir attisent le sentiment anti-Français ?
J’en viens à la situation en Syrie. L’an dernier, le 7 février pour être précis, alors que nous débattions déjà de notre politique étrangère, nous regrettions l’escalade de la violence de Homs à Alep, l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations à l’ONU ou les luttes internes au sein de l’opposition. Qu’en est-il aujourd’hui, monsieur le ministre ?
Sur le plan diplomatique, le blocage au sein du Conseil de sécurité de l’ONU persiste. Lors de son allocution à l’Assemblée générale des Nations unies, le Président de la République s’était prononcé en faveur d’une réforme du Conseil de sécurité, pour qu’il « reflète mieux les équilibres du monde d’aujourd’hui ». Il avait raison !
Sur le plan militaire, aucun des deux camps ne semble en mesure de l’emporter à court terme, et le risque d’enlisement et de partition de facto du pays existe, alors que le conflit a déjà près de deux ans.
La militarisation croissante de ce que l’on peut appeler une « guerre civile » a opéré un raidissement des alliances dans la région. La solidarité chiite regroupe, derrière le régime alaouite, l’Iran et le Hezbollah, lesquels comptent sur le soutien des puissances que sont la Chine et surtout la Russie, sans lesquelles, nous le savons, aucune solution négociée n’est possible.
Face à eux, la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution a pu fédérer, non sans mal, les différentes mouvances se réclamant de l’alternance et a, notamment, été reconnue par la France. Mais sa légitimité a déjà été rejetée par plusieurs groupes islamistes. Il n’est pas inopportun que nous nous interrogions, forts des exemples des précédentes révolutions arabes, sur les rapports de force au sein d’une éventuelle Syrie post-Assad.
La politique en direction de l’Iran, et plus précisément autour de son programme nucléaire, est un autre motif d’instabilité. La question de l’efficacité des sanctions économiques décidées par l’Union européenne et les Nations unies mérite d’être posée. Ces sanctions, nous le savons, affectent en premier lieu la population et jettent le pays dans une fuite en avant qui devrait s’exacerber au cours de la campagne pour la prochaine élection présidentielle de juin 2013.
Par ailleurs, tant au Sahel qu’au Moyen-Orient, monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement sur le rôle parfois, pour ne pas dire souvent, voire toujours, ambigu des monarchies du Golfe ? Je pense, notamment, au Qatar et à l’Arabie Saoudite ?