Intervention de Leila Aïchi

Réunion du 19 février 2013 à 14h30
Débat sur la politique étrangère

Photo de Leila AïchiLeila Aïchi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, sans institutions solides, la tyrannie de la force l’emporte sur le règne du droit. Sans lois, la légitimité de toute autorité est insignifiante. Sans légitimité, la concorde civile est impossible.

En ces temps de fortes turbulences que traverse le monde, il est bon de rappeler certains principes, qui restent essentiels dans tout processus durable de sortie de crise et qui doivent, par conséquent, être au cœur de la politique étrangère de la France.

La crise malienne en est la parfaite illustration. Nos forces sont engagées depuis janvier 2013 pour rétablir l’intégrité territoriale de ce pays.

Pourtant, le seul usage de la force n’est pas viable à long terme pour reconstruire un pouvoir légitime répondant aux aspirations de la société civile.

Depuis près d’un an, les autorités du Mali sont toujours en transition. Le président par intérim, Dioncounda Traoré, a déclaré qu’il espérait pouvoir organiser des élections « transparentes et crédibles » avant le 31 juillet 2013...

Le gouvernement malien a annoncé le jeudi 14 février dernier que le premier tour de l’élection présidentielle aurait lieu le 7 juillet prochain et le second tour le 21 juillet, en même temps que les législatives.

Par ailleurs, le Président de la République, François Hollande, a appelé au dialogue politique lors de son déplacement du 2 février dernier au Mali.

Bâtir des institutions solides et démocratiques est une condition impérative pour la construction d’un État de droit au Mali.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations unies est d’une grande clarté en la matière, notamment en son article 1er. L’opacité dans la conduite du pays ne saurait donc durer. Ces élections cruciales auront valeur de test.

Le respect des droits de l’homme est une valeur fondamentale et essentielle sans laquelle il est illusoire d’envisager un processus de pacification quel qu’il soit.

La résolution 2085 est de nouveau très claire à ce sujet, puisqu’elle prévoit, en son article 17, que « la protection des civils au Mali incombe au premier chef aux autorités maliennes ».

Pourtant, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, la FIDH, affirme que des soldats maliens auraient perpétré, dès le 24 janvier 2013, « une série d’exécutions sommaires » ; au moins onze personnes auraient été tuées à Sévaré.

Dans le même sens, Amnesty International et Human Rights Watch accusent l’armée malienne, dans deux rapports publiés le 1er février 2013, d’avoir procédé à des exécutions sommaires lors de la poussée des forces djihadistes vers le sud du Mali et de la contre-offensive engagée par la France.

Plus grave, la Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Navi Pillay, a lancé le mardi 12 février 2013 un appel solennel à tous les protagonistes du conflit pour qu’ils « empêchent les représailles », renforçant ainsi la crédibilité de ces informations et laissant planer le risque d’une épuration ethnique.

Le meilleur rempart contre ces dérives reste la construction d’un État de droit au Mali. Cela s’applique aussi à l’Afghanistan. À l’heure où nos effectifs ont entamé le processus de retrait du pays, voici le bilan après dix ans de guerre contre le terrorisme, alors que la coalition internationale aura quitté le territoire en 2014 : une espérance de vie moyenne se situant à 48, 7 ans, un taux de mortalité infantile de 121, 6 pour 1 000 pour l’année 2012, et la situation des femmes afghanes reste alarmante.

L’édification d’un État de droit suppose une légitimité de tout pouvoir, certes, mais aussi une meilleure compréhension des enjeux territoriaux et de l’histoire mouvementée entre l’Afghanistan et le Pakistan, trop souvent ignorée de la communauté internationale.

Dans le sillage de l’onde de choc créée par le printemps arabe de 2011, le régime d’Hosni Moubarak, en place depuis 1981, n’a pas échappé à cette volonté de changement et est tombé le 11 février 2011.

Depuis, force est de constater que la recherche d’un consensus national est chaotique et que le pays semble toujours profondément divisé, et ce près de deux ans après la révolution, dans un climat de guerre civile larvée.

Mes chers collègues, avons-nous une juste appréciation de la réalité politique en Égypte ? Sommes-nous réellement capables de mesurer les forces politiques en présence ? Une erreur d’analyse de notre part pourrait être lourde de conséquences.

L’inquiétude est aussi de mise en Tunisie, où un chef de l’opposition tunisienne, Chokri Belaïd, a été tué par balle le 6 février dernier à Tunis, ce qui a suscité de vives tensions dans le pays et a mis en péril la fragile union nationale. Là encore, nous devons nous interroger sur notre capacité à appréhender une situation politique complexe. Mes chers collègues, toutes les voix de la société civile doivent être entendues.

Autre exemple, la Syrie où aucune solution de sortie de crise durable ne semble se dessiner. Une révolte qui avait démarré comme une contestation pacifique et démocratique a dégénéré en un affrontement de milices.

Le résultat est tragique : depuis mars 2011, les combats ont fait plus de 60 000 morts et plusieurs dizaines de milliers de disparus. Quatre millions de personnes ont besoin d’une aide d’urgence, 2 millions sont déplacées et plus de 650 000 sont réfugiées dans les pays voisins.

Dans ce contexte, la Russie a affrété aujourd’hui deux avions vers la Syrie, qui pourraient rapatrier des Russes dans la journée, et a annoncé l’envoi de quatre navires de guerre supplémentaires en mer Méditerranée, pour une éventuelle évacuation de plus grande ampleur de ses ressortissants. La Russie sera d’ailleurs une des clefs de tout processus de sortie de crise.

Pendant ce temps, la guerre continue et les civils meurent.

Cette recherche de consensus touche aussi l’Amérique latine. C’est ainsi que les étudiants vénézuéliens, enchaînés devant l’ambassade de Cuba à Caracas, poursuivent leur action jusqu’à ce que le président Hugo Chavez - tout récemment encore hospitalisé dans ce pays - soit déclaré capable ou non de gouverner.

La conclusion s’impose d’elle-même, et nous renvoie à mon propos d’introduction : oui, sans institutions solides, la tyrannie de la force l’emporte sur le règne du droit ; sans lois, la légitimité des autorités est inexistante ; sans légitimité, la concorde civile est impossible. Dans un monde instable, notre diplomatie doit donc être éclairée, audacieuse, inventive et visionnaire.

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