Où sont les résultats des programmes de formation qui ont commencé il y a déjà plusieurs années déjà, des programmes tant américains – AFRICOM – qu’européens – RECAMP ? Quels sont les dividendes de nos efforts d’entraînement et d’équipement des armées africaines ? Tout le monde le sait, si nous n’étions pas intervenus le 11 janvier, Bamako passait sous la coupe des djihadistes.
Deuxième question : saurons-nous capitaliser sur le succès militaire pour le transformer en stabilisation puis en stabilité politique ? Nous l’espérons tous. C’est à mon sens la question la plus brûlante aujourd’hui, comme nous le dirons, Jean-Pierre Chevènement et moi-même, aux autorités maliennes lorsque nous les rencontrerons à Bamako à la fin de la semaine prochaine.
Une fois dissipé – nous l’espérons – le « nuage » du terrorisme islamique, la question malienne restera entière. Dans le théâtre d’ombres de la politique bamakoise, qui peut dire exactement aujourd’hui quelle sera la suite du processus politique ? Après l’attaque des bérets verts, après la nomination récente de putschistes à la tête d’un comité de réforme militaire, qui pourrait jurer que toute tentation prétorienne est absente ?
La perspective d’un retour au désordre ancien, sur fond de revanche, est à proscrire. Le jour d’après ne saurait être que celui d’une refondation de l’État malien. Mais quelles sont les têtes qui émergent dans le paysage politique et civil pour reconstruire un pacte social en lambeaux ? Pourquoi la commission de réconciliation nationale n’est-elle pas déjà à l’œuvre ?
Quelle application a reçu la feuille de route politique adoptée par l’Assemblée nationale malienne le 29 janvier ? Le calendrier électoral, qui prévoit – notre président le rappelait à l’instant – que les élections présidentielle et législatives auront lieu les 7 et 21 juillet, est-il tenable ? Qui proposera de vraies solutions pour la renaissance de l’État et la restauration des institutions ? Sans parler de la gouvernance du Nord, où les haines sont aussi séculaires qu’au Sud.
Peut-on s’inspirer de la gestion par le Niger de sa question touareg ? Doit-on s’appuyer sur la légitimité des élus locaux, que nous connaissons puisque nombre de nos collectivités territoriales, y compris dans les Yvelines, entretiennent des relations avec eux dans le cadre de la coopération décentralisée, qui permet souvent un réel dialogue ?
Ces défis politiques et institutionnels sont redoutables. Le coup d’État l’a montré : la classe dirigeante malienne est décomposée, alors même que c’est à elle d’imaginer un nouveau modèle de nation, ou de république, qui accorde sans doute au Nord un large transfert de compétences et parvienne à trouver un point d’équilibre entre un État laïc – est-ce le mot qui convient ? – et l’islamisation croissante de la société, portée par des wahhabites qui savent s’imposer dans cette société majoritairement dominée par un islam quiétiste et malékite, ce qui est tout de même un paradoxe ?
État, justice : voilà les piliers qu’il faut refonder ! Ce débat devrait d’ores et déjà faire l’objet d’échanges, mais l’accaparement actuel du pouvoir par des militaires et des politiques dont – il faut bien le dire – le crédit n’est pas très élevé parmi les Maliens ne rend-il pas très difficile l’organisation d’un débat national sous leur égide ? Et à partir du 6 avril, le Président de la République et le Premier ministre du Mali seront confrontés à un problème de légitimité...
Personne ne me semble aujourd'hui en mesure de répondre vraiment à ces interrogations. Ce sont pourtant celles qui comptent.
Troisième question : saurons-nous mobiliser la communauté internationale autour d’un plan de développement pour l’ensemble de la région sahélienne ? Comme une bourrasque de vent du désert en saison sèche, le Mali sortira bientôt de l’agenda international et médiatique ; n’en doutons pas.
Comment aurons-nous su mettre à profit ce moment pour mobiliser la communauté internationale afin de lutter contre le trafic de drogue, la famine, la sécheresse, l’appauvrissement des sols, la déstructuration pastorale et agricole ou encore l’essor de la piraterie dans le golfe de Guinée ? En un mot, parviendrons-nous à éloigner le spectre d’un « scénario somalien » en Afrique de l’Ouest ? Quelle approche globale, quelle dynamique régionale pourrons-nous impulser, en nous appuyant sur l’incontournable Algérie, dont le positionnement est aujourd’hui constructif, et en renforçant nos alliés, dont certains – le Niger, la Mauritanie, le Tchad ou le Burkina Faso, par exemple – sont des États fragiles ?
L’Union européenne est le premier bailleur de fonds dans la région du Sahel, mais nous concentrons tout notre effort aujourd’hui sur le traitement des conséquences au lieu de nous occuper des causes, ce qui pourrait être un paradoxe, dans la mesure où cela demande beaucoup plus d’investissement et de temps.
Quatrième et dernière question : quelles leçons saurons-nous tirer de notre engagement au Mali ?
Le premier enseignement concerne naturellement le format de nos forces et bases prépositionnées, qui ont permis la spectaculaire montée en puissance de notre dispositif militaire. Allons-nous conserver cette capacité à entrer en premier et ce large spectre capacitaire, qui font la différence ? Un outil de défense se construit dans la durée. Nous engrangeons aujourd’hui les bénéfices des choix d’hier.