Intervention de Josette Durrieu

Réunion du 19 février 2013 à 14h30
Débat sur la politique étrangère

Photo de Josette DurrieuJosette Durrieu :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, mon propos portera davantage sur le Maghreb, puisque j’anime, aux côtés de Christian Cambon, un groupe de travail consacré à la rive sud de la Méditerranée.

Je voudrais revenir sur les printemps arabes de l’année 2011, une année folle.

La première surprise fut l’éruption en elle-même, avec ces révolutions et chutes en série de régimes autoritaires et corrompus dont nous nous étions fort bien accommodés pendant des années : Ben Ali en janvier, Moubarak en février, Kadhafi en octobre. Et au Maroc, on voit un roi adroitement réviser la Constitution en juillet, avant d’organiser des élections en novembre ; aujourd'hui la monarchie résiste bien, même si les islamistes ont gagné les élections.

Partout, nous constatons que l’opposition est faible et qu’elle perd les élections. De fait, la deuxième surprise fut la victoire des islamistes à toutes les élections.

Peut-être n’avons-nous pas mesuré, en arrière-plan, l’implantation des islamistes, leur force sociale et politique, leur ancrage, leurs réseaux. Face à eux, l’opposition semble désorganisée, dépourvue d’idéologie et de programme autant que de leader. Et elle perd toutes les élections…

Sans doute n’est-ce qu’un début : tout bouge. Cependant, à ce stade, nous devons déjà nous poser un certain nombre de questions. Quelles alternatives s’offrent à ces pays ? Radicalisme ou modernité ? Islamisme ou démocratie ?

Les forces islamistes sont diverses, assurément, mais elles sont majoritaires en cet instant.

Les ultra-islamistes, on les nomme, on les identifie : ils sont salafistes, ils sont djihadistes. Ils ne sont pas tous constitués en groupes terroristes et mafieux, mais, il n’empêche, tous les groupes terroristes et mafieux sont, eux, djihadistes : Al-Qaïda, Ansar Eddine, et tous les autres. Ils sont minoritaires, ils sont dangereux, ils sont dangereux et minoritaires, mais ils ont un programme, eux : la charia.

Quant aux autres, tous les autres, les conservateurs, ils sont nombreux et majoritaires ; ce sont eux qui gagnent les élections. En Tunisie, par exemple, ils ont obtenu plus de 80 % des sièges. Ces conservateurs peuvent être de droite, comme le mouvement Ennahdha, issu des Frères musulmans ; le Premier ministre, Hamadi Jebali, est des leurs. Les conservateurs peuvent également être de gauche ; réunis dans une coalition autour du Congrès pour la République, le CPR, et du Président de la République, Moncef Marzouki, ils ont la même importance que les conservateurs de droite.

Posons-nous deux questions.

Première question : islam et démocratie sont-ils compatibles ? Le président Marzouki non répond par l’affirmative : vous aviez des démocrates-chrétiens, nous avons des démocrates-islamistes, nous dit-il.

Seconde question, essentielle : la loi civile s’imposera-t-elle à la loi religieuse ?

Les forces d’opposition existent, mais elles sont minoritaires. Les modernistes, les progressistes laïcs, sont faibles encore, mais ils arrivent ; en Tunisie, en Libye et ailleurs, on les appelle les « libéraux ».

Ils sont majoritairement anti-islamistes. Ils sont aujourd’hui inorganisés - on compte plus de 110 partis politiques en Tunisie. Ils n’ont pas encore d’ancrage dans la société, ils ont peu d’élus et n’ont pas de soutien financier extérieur. Bref, en l’état actuel des choses, nous constatons l’absence d’une alternative idéologique.

L’avenir est incertain. Quelle stabilité politique peut-on envisager pour aujourd'hui et pour demain ?

Une question est importante : quelles sont les évolutions possibles de l’expérience de la démocratie musulmane ? Une réalité s’impose, et doit s’imposer à nous : c’est autour de l’identité musulmane que se bâtira le système démocratique. Il reste cependant beaucoup d’inconnues. Nous verrons ce qui se passera lors des prochaines élections.

J’en viens au Mali.

Monsieur le ministre, je salue l’action de la France au Mali, dans sa globalité. Mais, s'agissant des États du Maghreb, la proximité de ce grand conflit du Sahara occidental, à la frontière, n’est-elle pas un élément nouveau ?

La stratégie des islamistes évoluera-t-elle ? Ils savent segmenter l’espace : ils l’ont prouvé en attaquant le site gazier d’In Amenas. Surtout, ils savent parasiter les conflits locaux, les radicaliser, les islamiser, comme ils l’ont fait avec les Touaregs. Que feront-ils au Sahara occidental, cette zone grise, cet espace litigieux depuis 1976, sans statut juridique défini ?

Les protagonistes sont connus : depuis 1975, le Maroc revendique le Sahara occidental ; dès 1976, le Front Polisario a créé la République arabe sahraouie démocratique ; l’Algérie, qui joue un rôle essentiel, soutient le Front Polisario et a immédiatement reconnu la République sahraouie, à l’instar de la majorité des États de l’Organisation de l’unité africaine, l’OUA, ce qui a d’ailleurs amené le Maroc à se retirer de celle-ci.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où en est la mission de l’ONU pour le Sahara occidental ? La crise malienne renforce-t-elle l’urgence de trouver une solution à la question du Sahara occidental ou va-t-on considérer que le moment n’est pas opportun ? Y a-t-il des enjeux pour le Maghreb en termes de sécurité ? Le Maroc est-il exposé ? L’Algérie est un acteur clé : pouvons-nous discerner les intérêts prioritaires de cet État ?

Pour conclure, je dirai que le statu quo est un obstacle majeur à la construction d’un Maghreb intégré et prospère. C’est une menace pour la stabilité de toute la région. §

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