Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis bientôt deux mois, les observateurs internationaux concentrent leur attention sur les événements du nord de l’Afrique, qu’il s’agisse des opérations au Mali ou des très délicates situations politiques prévalant en Tunisie et en Égypte, qui se sont envenimées. À ces printemps arabes qui n’en finissent plus s’ajoute, depuis mars 2011, la dramatique et inextricable situation syrienne, dont le bilan humain dépasserait les 60 000 morts, selon certaines organisations non gouvernementales.
Par ailleurs, le 12 février dernier, la Corée du Nord a rappelé au monde que la menace terroriste n’était pas le seul péril pour la paix mondiale. Ce nouvel essai nucléaire réussi démontre que le désarmement doit être, plus que jamais, une priorité dans les agendas diplomatiques.
Beaucoup d’analystes qualifieront ce troisième essai nucléaire de nouvelle provocation du régime de Pyongyang. Pourtant, il est différent de ceux de 2006 et de 2009, année durant laquelle six tirs de missiles balistiques ont été le préalable au second essai nucléaire.
Il ne s’agit plus de l’éternel chiffon rouge agité par une Corée du Nord qui troquerait l’abandon de son programme nucléaire contre des aides alimentaires et économiques pour sa population. Selon les sources officielles nord-coréennes, qui, évidemment, sont ce qu’elles sont, ce pays est désormais capable d’équiper ses missiles balistiques d’ogives nucléaires. Ce qu’il importe de retenir de ce nouvel essai, c’est la taille de l’engin et la nature du matériau fissile utilisé. S’agit-il de plutonium issu d’un stock produit ou d’uranium, comme le craignent des observateurs de l’ONU qui s’étaient rendus sur place ? De même, le début de la miniaturisation de la charge témoigne bien de la ferme volonté de mettre en place un arsenal.
Depuis bientôt quinze ans, la République populaire démocratique de Corée ne cesse d’exercer un chantage sur la communauté internationale. Aujourd’hui, la Corée du Nord, largement isolée diplomatiquement, présente une situation économique plus que catastrophique et sa population est exsangue.
Souvenons-nous de la ratification des accords de la KEDO, en 1994 : la Corée du Nord acceptait de mettre fin à son programme de développement de missiles balistiques ainsi qu’à ses activités nucléaires militaires en échange d’une importante aide alimentaire, financée par l’Europe et le Japon, et d’un programme électronucléaire destiné uniquement à la production d’électricité, placé sous le contrôle d’Euratom. À la suite de sa déclaration de retrait du traité de non-prolifération nucléaire, en janvier 2003, de la confirmation officielle de son programme nucléaire militaire, en avril de la même année, et de plusieurs campagnes de tirs de missiles balistiques, en juillet 1998 et en juillet 2006, ces accords sont devenus caducs.
Le 9 octobre 2006, la Corée du Nord a procédé à son premier essai nucléaire souterrain, condamné à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU. Sept ans après, nous sommes confrontés au troisième essai et à la violation des résolutions 1718, 1874 et 2087du Conseil de sécurité.
Si l’on pouvait encore nourrir quelque espoir quant à une inflexion politique du régime à la suite du décès de Kim Jong-il, la suite des événements a montré que cela était vain. Pour la France, cette succession fut l’occasion de rappeler son attachement à la paix et à la stabilité dans la péninsule. En réalité, elle fut une chance manquée pour toute évolution positive du régime, qu’il s’agisse des libertés publiques, de la stabilité de la péninsule ou du respect, par la Corée du Nord, de ses obligations internationales en matière de non-prolifération nucléaire.
Bien sûr, il convient de se féliciter que la Chine, voisine et alliée de la Corée du Nord, ne cautionne pas ces gesticulations nucléaires et qu’elle ait, à son tour, condamné ce nouvel essai, tout comme elle avait condamné les deux précédents. Il paraît cependant difficile d’envisager que la Chine puisse prendre des sanctions contre ce pays qui considère Pékin comme un modèle de développement. Les relations économiques et commerciales entre les deux pays sont excellentes : il est à croire que ce nouvel essai est une marque d’indépendance affichée de la Corée du Nord à l’égard de la Chine.
Évidemment, cette politique ne cesse d’engendrer de profondes inquiétudes et de très vives réactions en Corée du Sud, bien que la nouvelle présidente, Park Geun-hye, semble plus « ouverte au dialogue » que son prédécesseur Lee Myung-bak. Ce nouvel essai de la Corée du Nord serait-il un message à l’adresse du nouveau gouvernement sud-coréen ?
Monsieur le ministre, vous avez condamné cette provocation et annoncé que « la France travaille d’ores et déjà avec ses partenaires du Conseil de sécurité, de l’Union européenne et de la région […] en particulier sur un nouveau renforcement des sanctions à l’égard de la Corée du Nord ». Mais peut-on aller encore au-delà des sanctions actuelles ?
Parallèlement, on peut se réjouir de l’annonce par le président Obama, lors de son adresse au Congrès, le 21 janvier dernier, d’une future réduction de l’arsenal nucléaire américain, même si l’on sait qu’il ne sera toujours pas en mesure de faire adopter par le Sénat américain le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, lequel, de fait, perd de sa crédibilité. Si l’on veut être optimiste, cette déclaration devant le Congrès doit être mise en perspective avec la signature du traité New Start entre les États-Unis et la Russie, et surtout avec le dernier sommet sur la sécurité nucléaire, qui s’est tenu à Séoul du 26 au 28 mars 2012.
Ce sommet a accueilli plus de participants que lors de sa première édition à Washington, en 2010, et les annonces y ont été relativement substantielles. La situation nord-coréenne, qui n’était pas à l’ordre du jour, fut néanmoins l’objet d’entretiens bilatéraux entre Barack Obama et les présidents russe, chinois et sud-coréen. Un an plus tard, que reste-t-il de ces entretiens entre des dirigeants qui, pour certains, ne sont plus au pouvoir ? Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quelles seront l’approche de la France et celle de nos alliés lors du prochain sommet sur la sécurité nucléaire qui se tiendra en 2014 aux Pays-Bas ?
Aujourd’hui, les agissements de la Corée du Nord ne font qu’encourager les autres prétendants à l’arme atomique, tels que l’Iran. Ainsi, soit dit sans chercher à faire un mauvais jeu de mots, nous sommes face à une réaction en chaîne : Israël, s’appuyant sur son droit inaliénable à la sécurité, n’aura bientôt plus à faire d’efforts pour cacher sa bombe ; l’Inde et le Pakistan se posent de plus en plus en membres « off » du groupe P5, réunissant les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, détenteurs de l’arme nucléaire.
La Corée du Nord et l’Iran, totalement isolés diplomatiquement, poursuivent le même objectif de développement d’arsenaux nucléaires. Tous deux font l’objet d’embargos et sont soumis à de lourdes sanctions financières et économiques. Le réalisme nous impose d’observer que ces deux pays ont en commun de bénéficier de la diplomatie financière chinoise et de grands investissements, notamment dans les champs gaziers pour l’Iran.
Monsieur le ministre, ne craignez-vous pas que ce qui apparaissait comme une politique de provocation, qu’il s’agisse de la Corée du Nord ou de l’Iran, ne s’avère être en réalité une émulation, alimentée par la faiblesse et les hésitations des pays occidentaux et de l’ONU ?