Intervention de Gilbert Roger

Réunion du 19 février 2013 à 14h30
Débat sur la politique étrangère

Photo de Gilbert RogerGilbert Roger :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à peine le Président de la République avait-il pris ses fonctions, en mai 2012, qu’il a été plongé dans le grand bain international. Nicolas Sarkozy et certains de ses partisans dressaient de lui un portrait peu amène pendant la campagne électorale, expliquant qu’il ne possédait peut-être pas la carrure nécessaire pour incarner la fonction présidentielle. François Hollande a su prouver le contraire, tant lors des sommets du G8 et de l’OTAN, en mai dernier, que, plus récemment, à l’occasion de l’intervention des armées françaises au Mali.

La France demeure un pays qui compte sur la scène internationale. Le Président de la République l’a montré en parvenant à modifier les dynamiques européennes et à imposer une stratégie de sortie de crise différente, qui ne saurait se limiter à la seule consolidation budgétaire. Alors qu’Angela Merkel souhaitait voir appliquer une politique d’austérité, François Hollande a réussi à faire émerger des programmes de relance, en amenant la Chancelière à céder, lors du sommet européen du 29 juin 2012, face à un axe italo-espagnol soutenu par la France.

Le Président de la République a également illustré la place occupée par la France sur la scène internationale lorsqu’il a pris la décision, le 11 janvier dernier, de lancer une intervention militaire au nord du Mali, afin d’empêcher que ce pays ne bascule tout entier dans le camp des extrémistes. Son action a été saluée par l’ensemble de la communauté internationale, alors que l’intervention en Libye décidée par son prédécesseur n’avait pas recueilli un consensus, l’Allemagne, la Russie et la Chine s’étant abstenues lors du vote de la résolution 1973 par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Ces bons résultats ne doivent pas nous dissuader de débattre du déclassement stratégique de la France. Cependant, le problème ne peut être abordé par le seul biais du poids des dépenses militaires par rapport au PIB, même si celui-ci ne doit sous aucun prétexte descendre en dessous de 1, 5 point de PIB – je suis d’accord sur ce point avec Gérard Larcher –, car cela risquerait de faire perdre à la France sa capacité d’innovation et d’intervention.

L’industrie de défense est un atout essentiel pour l’indépendance de notre pays : il ne faut pas négliger son rôle économique et stratégique ; il ne faut pas non plus oublier que nos exportations de technologie militaire se heurtent à la concurrence acharnée des Américains, ainsi qu’en témoignent les difficultés rencontrées par l’avion de combat Rafale, pourtant l’un de nos plus beaux fleurons technologiques.

L’industrie de défense doit néanmoins être considérée comme un moyen, et non comme une fin. Une analyse du rôle de la France dans le monde ne peut être développée à partir du seul critère des dépenses militaires. En effet, bien plus que de la baisse des budgets, c’est d’une appréciation erronée de nos intérêts et de notre situation ou d’une absence de réflexion stratégique globale que pourrait résulter un déclassement.

À propos de déclassement stratégique, ne serait-il pas utile de réfléchir aux conséquences de notre intégration dans le commandement militaire intégré de l’OTAN ? Sur le fond, cette réintégration n’a pas changé grand-chose par rapport à la situation précédente. Cependant, contrairement à ce qui avait été avancé par le président Sarkozy, elle n’a pas permis le développement d’une européanisation de la défense, à l’heure actuelle toujours au point mort.

En effet, divisés entre démarches multilatérales, prônées par l’Agence européenne de défense et soutenues officiellement par tous les États membres, et démarches bilatérales – je pense au traité de défense franco-britannique et aux accords italo-allemands –, les États européens n’arrivent pas à relancer la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, ni la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD. Or le risque de voir l’OTAN devenir une « sainte alliance », déjà dénoncé dans les années quatre-vingt-dix par François Mitterrand, est toujours d’actualité.

Par ailleurs, la crise de la dette continuant d’affecter les budgets de défense des pays occidentaux, les dépenses militaires de l’Asie seraient désormais supérieures à celles de l’Europe. L’évolution tendancielle devrait donc entraîner un basculement rapide des équilibres militaires : avant 2020, les pays non membres de l’OTAN pourraient représenter plus de la moitié des dépenses militaires, contre seulement 34 % aujourd’hui.

Quelle a été la valeur ajoutée apportée par la France ? Quelle part spécifique notre pays a-t-il prise dans les décisions qui ont été arrêtées, qu’il s’agisse de la conduite de la campagne en Afghanistan ou du choix visant à doter l’Alliance d’une capacité anti-missiles ? Il faut aussi se demander quelle voix particulière la France souhaite faire entendre aujourd’hui.

Il me semble nécessaire de mener cette réflexion globale sur les évolutions stratégiques mondiales et sur le rôle de la France dans un contexte en mutation. Ancrer la France dans le camp occidental a constitué une erreur, diminuant de fait le rôle stratégique de notre pays. Fidèle à son histoire, la France a toujours été le porte-voix des sans-voix : on peut citer, pour la période récente, son opposition à la guerre en Irak ou le soutien qu’elle apporte à la Palestine au sein de l’ONU. C’est cette singularité qu’il nous faut promouvoir.

La France est forte quand elle représente un intérêt général plus important qu’elle-même. De la Révolution française à de Gaulle et à Mitterrand, chaque fois qu’elle a porté les aspirations de ceux qui peinent à peser sur le cours des choses, la France a toujours eu une influence supérieure à son poids réel. Si nous perdons de vue cette spécificité, la France cessera d’être influente sur la scène internationale. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion