Intervention de Robert del Picchia

Réunion du 19 février 2013 à 14h30
Débat sur la politique étrangère

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia :

La politique étrangère est l’expression normale de la nation sur la scène internationale.

Certains principes qui ont commandé et commandent toujours notre politique étrangère sont intangibles : l’indépendance de la nation, la souveraineté des États, l’importance du rôle de la France sur la scène internationale. Dans cet esprit, l’envoi de troupes françaises sur des théâtres de conflit extérieurs est un outil de la politique diplomatique de la France.

La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, cela a été dit, mais elle marque aussi un certain échec du politique qui a recours à cet instrument ultime qu’est la coercition et prend alors le risque, dans le brouillard de la guerre, de lui en voir échapper la direction.

Monsieur le ministre, vous serez d’accord avec moi pour dire que l’envoi de nos troupes sur des théâtres extérieurs est une décision grave, qui implique une réflexion et une analyse des risques et des conséquences, pas seulement militaires, mais aussi politiques. Sans stratégie et sans objectif préalable clairement affiché, l’emploi de la force armée est voué à l’échec. Avec l’opération Serval, il me semble toutefois que nous avons tiré les leçons des erreurs lourdes de conséquences commises par l’administration Bush en Irak et en Afghanistan.

Bien entendu, l’analyse doit intégrer les critères et les conditions de la réussite de ces interventions, et pourquoi pas de leur succès. Ces conditions, monsieur le ministre, vous les avez évoquées récemment devant notre commission.

Si j’ai bien compris, l’intervention doit tout d’abord être limitée dans le temps. Ensuite, les objectifs doivent être définis clairement : reconstituer l’armée malienne, obtenir l’assentiment des populations locales, favoriser l’ouverture d’un processus de réconciliation – réconciliation ne signifiant pas pardon –, empêcher la constitution de sanctuaires transfrontaliers, et donc l’élargissement des conflits aux pays voisins, agir contre la corruption et les trafics de toutes sortes, mener une action en faveur du développement structurel et, évidemment, soutenir un processus politique. Enfin, et cela est capital, mes chers collègues, il convient de s’appuyer sur les organisations régionales et de préparer la prise en charge par celles-ci de la résolution du conflit une fois la phase aiguë de la crise passée.

Les axes pour le traitement des crises dans l’urgence sont donc bien définis, mais qu’en est-il du reste, monsieur le ministre ? Je suis tenté de vous poser une question plus large : quelle politique étrangère pour la France ? Quelle vision à moyen terme de nos actions ?

Vous le savez, l’Allemagne a publié récemment sa « stratégie diplomatique pour l’Afrique », qui définit des orientations claires. Disposez-vous d’un document du même ordre ? Je pourrais poser la même question pour d’autres zones géographiques. L’anticipation stratégique doublée de prospective est un élément essentiel pour préparer et éclairer les décisions à prendre.

La commission des affaires étrangères du Sénat m’avait confié la rédaction d’un rapport sur l’anticipation stratégique et la prospective. Que l’on me permette, à cet instant, de rappeler quelques définitions.

L’anticipation est, au sens strict, un mouvement de la pensée qui imagine ou vit d’avance un événement. L’anticipation stratégique peut donc se décrire comme un idéal à atteindre, un objectif de réduction de l’incertitude quant aux grandes évolutions à venir de l’environnement international.

L’analyse stratégique, ou la recherche stratégique, recouvre plutôt l’analyse du réel, c’est-à-dire l’état des lieux.

Enfin, la prospective est, quant à elle, une méthodologie visant à élaborer des scénarios d’évolution possibles sur la base des données disponibles, en prenant en compte des tendances lourdes sous-jacentes ou des phénomènes émergents. Il s’agit d’utiliser la connaissance dont on dispose pour imaginer, au-delà du présent, les futurs possibles. Faire de la prospective à vingt ou trente ans permet donc d’anticiper à un horizon d’un à deux ans.

Pourtant, la « révolution du jasmin », puis le « printemps arabe », ont pris tout le monde de court. On peut faire le même diagnostic pour la prédiction de toutes les crises majeures survenues depuis 2008 : la crise financière à la suite de la faillite de Lehman Brothers, en 2008, les conséquences, notamment nucléaires, du tsunami au Japon.

Faut-il rappeler que, jusqu’à une date encore récente, nous considérions le régime d’ATT, au Mali, comme un exemple de démocratie en Afrique, faisant fi d’une corruption généralisée et de l’absence volontaire de traitement de la question du Nord par le gouvernement malien, sur fond de conflit ancestral ? Nous avons aussi longtemps fait preuve de complaisance à l’égard du régime du président Gbagbo.

Cela étant, prévoir est un exercice tout aussi nécessaire qu’extrêmement difficile. Ne dit-on pas que gouverner, c’est prévoir ? Il est vrai que gouverner est un art difficile, ce dont on ne peut se rendre compte que lorsque l’on est en position de décider.

Il est indispensable, pourtant, d’anticiper l’incertitude pour la réduire et définir les scénarios possibles, même si les moments de rupture sont souvent imprévisibles. Ainsi, comment prévoir que l’immolation par le feu d’un jeune chômeur tunisien conduira à la chute du régime ? À l’inverse, la mort accidentelle du fils aîné et successeur désigné d’Hafez el-Assad, en juin 2000, événement oublié de tous, n’a pas conduit à l’écroulement du régime syrien, qu’avaient pourtant anticipé tous les spécialistes. Qui sait si un micro-événement ne sera pas, un jour, le catalyseur de la fin du régime nord-coréen ?

Monsieur le ministre, les quatre grandes crises du moment – Mali, Syrie, Iran, Israël-Palestine – vous occupent quotidiennement, ainsi que le Conseil de sécurité de l’ONU, où votre équipe de diplomates, sous la conduite de l’ambassadeur Gérard Araud, fait un excellent travail.

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