M. Larcher s’est livré à une analyse extrêmement pertinente, en tant que co-président, au côté de Jean-Pierre Chevènement, du groupe de travail sur le Sahel. Les questions qu’il a soulevées rejoignent d’ailleurs ce que j’ai pu dire à propos des conclusions à tirer d’autres interventions pour éviter la répétition de toute une série d’erreurs ayant pu être commises sur d’autres théâtres.
Mme Durrieu a parlé des printemps arabes et posé des questions redoutables : l’Islam et la démocratie sont-ils compatibles ? La loi s’imposera-t-elle à la religion ? Ne voulant pas vous retenir toute la nuit, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne me risquerai pas à essayer d’y répondre. En tout cas, vous avez raison de souligner, madame Durrieu, que nous devons être attentifs à la terminologie que nous employons. En effet, notre ambassadeur dans un pays du Golfe m’a alerté sur la traduction souvent très surprenante donnée par la chaîne Al-Arabiya de certains de nos propos. Ainsi, lorsque nous parlons des « islamistes », cette chaîne traduit ce mot par « musulmans » et en vient à faire dire au Président de la République ou à tel ministre français que notre pays intervient au Mali pour lutter contre les groupes musulmans… Ce n’est évidemment pas du tout ce que nous avons à l’esprit, mais nous devons donc faire très attention à notre vocabulaire. Il en va de même pour le terme « djihad » : quand nous parlons de « djihadistes », il ne s’agit généralement pas de formuler un compliment, mais, pour un musulman, le djihad ne désigne pas nécessairement une position extrémiste ; c’est avant tout une recherche pour aller au bout de soi-même. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Président de la République, le Premier ministre, mon collègue Jean-Yves Le Drian et moi-même parlons désormais de groupes terroristes ou narco-terroristes lorsque nous évoquons les groupes auxquels nous faisons face.
Beaucoup d’entre nous peuvent, me semble-t-il, se retrouver dans les propos qu’a tenus M. Boutant sur l’Algérie. Il est vrai que, pour des raisons historiques, nos relations avec ce pays ont longtemps été délicates, mais je constate une évolution très positive ces derniers temps, tant avec les autorités qu’avec la population. Je m’en réjouis, eu égard à la proximité de nos deux peuples. Cela peut s’expliquer par l’effet du temps, mais aussi par des événements dramatiques, comme celui d’In Amenas. En l’occurrence, les autorités françaises ont pris, me semble-t-il, la position qui convenait. Les Algériens ont souffert peut-être plus qu’aucun autre peuple du terrorisme, puisque celui-ci a fait, dans les années quatre-vingt-dix, environ 150 000 victimes parmi eux. Ils voient bien, surtout après l’épisode d’Ansar Eddine, à qui ils avaient cru pouvoir faire confiance mais qui a finalement voulu marcher sur Bamako, que les groupes terroristes ne peuvent pas être différenciés.
Nous avons donc pu établir une coopération pleine et entière avec les autorités algériennes, ce qui est évidemment très important, au-delà des conflits actuels, pour envisager l’avenir du Maghreb et de l’Afrique.
M. Guerriau a posé une série de questions sur le Mali et la Libye. Comme il le sait sans doute, à la demande des autorités libyennes, en particulier du président de l’assemblée nationale et du Premier ministre, qui sont des personnalités tout à fait remarquables, nous avons tenu, la semaine dernière, une réunion de deux jours sur la sécurité dans leur pays. De nombreux ministres libyens y ont participé, malgré la difficulté des temps, et nous avons saisi cette occasion pour les mettre en contact avec des ministres français et de nombreux responsables d’affaires.
Une ambassadrice, Mme Malika Berak, a été nommée pour suivre les questions libyennes au quotidien, car j’ai senti que cela répondait à un besoin. Elle m’a transmis son compte rendu des entretiens bilatéraux et des rencontres qui ont eu lieu avec les responsables d’entreprises. Mon cabinet pourra vous le communiquer si vous le souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs. Les choses progressent, mais un suivi au jour le jour est nécessaire. La Libye est un pays ami, qui dispose de ressources potentielles considérables et s’apparente à certains égards, sur le plan économique, aux pays du Golfe. La volonté de travailler ensemble est partagée.
M. Couderc, changeant de continent, a consacré son propos à la Corée du Nord et à la sécurité nucléaire. Il est vrai que ce qui vient de se passer en Corée du Nord est d’une importance considérable. Ce pays, dont la population est affamée, a été capable de mettre sur orbite un missile balistique avec une très grande précision, au dire des techniciens. Surtout, il a fait exploser l’autre jour un élément miniaturisé dont la puissance, selon les experts, se situe tout de même entre 25 % et 100 % de celle de la bombe d’Hiroshima. On ne sait pas exactement quel matériau a été utilisé, car il est impossible de l’identifier quelques heures après l’explosion. Toutefois, s’il s’agit effectivement du matériau que nous redoutons, cela place alors la menace coréenne à un très haut niveau. J’ai reçu plusieurs appels téléphoniques à ce sujet, dont l’un, très alarmiste, de mon homologue japonais. Les Chinois, qui peuvent avoir une influence décisive dans cette affaire, ont condamné cet essai et convoqué l’ambassadeur de Corée du Nord à Pékin. Nous sommes en train de travailler, au Conseil de sécurité des Nations unies, sur les termes d’une résolution. Ce n’est pas une affaire que l’on peut prendre à la légère. Les spécialistes nous expliquent que ce lancement est intervenu à un moment très particulier, alors que le président Obama prêtait serment et que les nouvelles autorités chinoises s’installaient. La réalité, c’est que nous sommes en présence d’un régime qui possède désormais à la fois des lanceurs et la technique nucléaire. C’est à l’évidence une situation extrêmement dangereuse.
M. Roger s’est exprimé, en des termes que chacun peut faire siens, sur les industries de défense et le rôle de la France. Toutefois, je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui sur l’OTAN. Pour ma part, je me sens très proche de la position d’Hubert Védrine quant aux conséquences de la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN. Vous savez que, à l’instar de la formation politique à laquelle j’appartiens, je n’y étais pas favorable. Mais, après en avoir tiré le bilan, nous estimons aujourd’hui que la question d’une sortie de l’OTAN n’est pas du tout d’actualité. Le président Sarkozy avait invoqué deux arguments en faveur de cette réintégration : elle devait nous permettre, d’une part, d’occuper une position beaucoup plus forte au sein de l’OTAN, et, d’autre part, de développer une défense européenne. Sur ce second point, nous attendons encore, mais nous sommes partisans de la construction d’une défense européenne, qui n’est pas contradictoire avec l’existence de l’OTAN.
Sur ce sujet, les mentalités sont peut-être – j’insiste sur ce « peut-être » – en train d’évoluer. En effet, de nombreux pays européens, notamment ceux dits « de l’Est », s’en sont longtemps remis au parapluie américain, sans doute en partie par un antisoviétisme devenu un « anti-russisme ». Cependant, ils constatent que les États-Unis, qui s’intéressent de plus en plus à l’Asie et au Pacifique et connaissent eux aussi des problèmes budgétaires, ne sont pas nécessairement prêts à consacrer des sommes considérables pour assurer la défense des pays d’Europe. Il peut être tentant, pour les Américains, de dire à la première puissance économique et commerciale du monde qu’est l’Europe qu’il lui revient de faire les investissements nécessaires à cette fin. En outre, les événements en cours au Mali montrent aux Européens quelles sont à la fois les nécessités et les apories.
Même si le processus peut être lent, je sens donc se dessiner une certaine évolution. On a parlé, de manière un peu négligente, de « Weimar » ou de « Weimar plus », mais on s’aperçoit qu’il y a place pour la mutualisation de certaines démarches. Les Français, les Allemands, les Italiens, les Espagnols, les Polonais – je laisse de côté le cas spécifique des Britanniques – ne vont pas décider, le cas échéant, de construire des avions ravitailleurs, des avions transporteurs ou des drones chacun de leur côté !