Nous y tenons beaucoup. En outre, l’élection présidentielle est programmée pour le mois de juillet. Le Premier ministre Sissoko m’a assuré qu’il ferait le maximum pour que les choses se passent comme prévu. Je lui ai indiqué que cela était essentiel à nos yeux. En effet, à cause de la saison des pluies, les électeurs risquent de ne pas pouvoir accéder aux bureaux de vote si l’élection est organisée avec retard. De plus, si le gouvernement et le président actuellement en place sont bien sûr légitimes, ils sont de transition et ne peuvent se représenter. Une nouvelle équipe, avec laquelle nous devrons travailler, arrivera donc au pouvoir.
Par ailleurs, nous avons beaucoup insisté sur le fait qu’il fallait veiller à empêcher les exactions. Sur ce point, le Premier ministre Sissoko m’a assuré que des enquêtes seront diligentées – des représentants des Nations unies sont d’ailleurs arrivés hier à Bamako – et que les soldats maliens mis en cause ne bénéficieraient pas de l’impunité.
Les difficultés, notamment avec certaines populations du Nord, doivent être traitées par le dialogue, fondé sur deux principes intangibles : le respect de l’intégrité du Mali et l’exclusion des groupes terroristes. Tel est le cahier des charges.
En ce qui concerne le développement, des actions ont déjà été engagées et d’autres vont l’être, notamment par l’Europe. Au mois de mai sera organisée à Bruxelles une conférence internationale des donateurs, coprésidée par les autorités européennes et la France, afin d’assurer au Mali, et au-delà à l’ensemble du Sahel, les moyens du développement, en tirant là aussi les leçons de l’expérience.
Le développement doit porter sur les besoins de base de la population : l’électricité, l’eau, les transports… Le représentant que j’ai dernièrement envoyé à Kidal pour discuter avec les autorités locales a été frappé par l’absolu dénuement de la population. Il faut donc que les services publics soient rétablis, tout comme le drapeau malien ! C’est ainsi que pourra réussir l’intervention au Mali.
J’évoquerai enfin la situation dramatique en Syrie, reflétée par une espèce de comptabilité macabre : selon John Kerry, on dénombrerait près de 100 000 morts. Les réfugiés se comptent en centaines de milliers, sinon en millions : la seule Jordanie, qui n’est pas un grand pays, en accueille environ 600 000. Au mois d’août dernier, j’ai visité le camp de Zaatari, situé en plein désert ; il hébergeait alors 15 000 personnes, contre plus de 100 000 aujourd’hui. Imaginez leurs conditions de vie, avec le froid qui sévit en cette période !
La situation est terrible pour la Syrie, mais aussi pour la Jordanie, le Liban, qui risque d’être déstabilisé, la Turquie et l’Irak. Il faut que cela cesse !
La bonne solution, c’est le départ de Bachar El-Assad, on le sait bien. La France a été la première à miser sur la coalition nationale syrienne, dont le président, M. Al-Khatib, est un homme remarquable. Ses dirigeants soutiennent des principes qui nous agréent, en particulier le respect des droits de toutes les communautés, à commencer par celle des Alaouites. Si les droits de ces derniers étaient niés, l’ensemble de l’armée s’insurgerait. On aurait alors un schéma à l’irakienne : après le départ du raïs, le chaos règnerait pendant une décennie. Toute la difficulté est d’obtenir le départ de Bachar El-Assad sans que s’installe un vide institutionnel.
Nous soutenons donc M. Al-Khatib, mais la situation est compliquée, en raison de l’existence d’une certaine diversité au sein de sa coalition, d’une part, et de la question des armements, d’autre part. De l’autre côté, des armes arrivent d’Iran ou de Russie : le rapport de force est inégal, même si certains pays que je ne nommerai pas fournissent des armements à la coalition. Imaginez la situation de ces combattants presque dépourvus de moyens, soumis à des bombardements ! Pour autant, si on lève l’embargo sur les armes, il faut être sûr de leurs destinataires, afin qu’elles ne se retournent pas ensuite contre nous, comme ce fut le cas en Libye…
Dernièrement, M. Al-Khatib a fait preuve d’un esprit d’ouverture que je tiens à saluer : s’il refuse de discuter avec Bachar El-Assad, il accepterait de dialoguer avec un certain nombre de représentants du régime qui n’ont pas de sang sur les mains. Cette proposition responsable et très courageuse constitue déjà une évolution considérable.
Nous discutons avec les Russes et les Américains. Allons-nous réussir à nouer le fil d’un tel dialogue ? Le médiateur de l’ONU, M. Brahimi, partage la même position. Nous espérons que les choses vont pouvoir avancer en ce sens. À défaut, on risque d’assister à une escalade du nombre des victimes et à une victoire des extrémistes absolus, d’Aqmi ou d’autres mouvances. Contrairement à ce que disent les Russes, il s’agit d’une affaire non pas locale, mais internationale. Elle nous concerne tous.
Mesdames, messieurs les sénateurs, veuillez m’excuser d’avoir été beaucoup plus long que je ne le souhaitais. Exerçant depuis maintenant neuf mois mes fonctions, après huit tours du monde, j’ai la conviction que la France est une puissance d’influence, qu’elle est entendue, attendue, écoutée lorsqu’elle s’exprime. Son influence se fonde sur toute une série d’éléments disparates : son siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, son armement conventionnel et nucléaire, sa puissance économique, son rayonnement culturel, les principes de la Révolution française, son histoire, son action internationale pour les autres, au service de la régulation internationale, de la paix, de la démocratie.
Je suis heureux de constater que vous êtes nombreux à vous rassembler autour de la politique étrangère de la France. J’ai toujours plaisir à venir au Sénat, où prévalent l’élévation de pensée et l’esprit de rassemblement. §