Intervention de Nicole Belloubet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 février 2013 : 1ère réunion
Audition de Mme Nicole Belloubet candidate proposée par M. Le Président du sénat à la nomination au conseil constitutionnel

Nicole Belloubet :

Je dois au Président du Sénat l'honneur d'être parmi vous. Péguy pensait que « tout est joué avant que nous ayons 12 ans ». Je suis originaire d'une famille d'agriculteurs de l'Aveyron. Mes grands-parents sont montés à Paris pour devenir bougnats puis cafetiers. Je suis née à Paris, mais j'ai souvent séjourné chez mes cousins agriculteurs. Ma famille m'a appris la valeur du travail, valeur cardinale pour moi, y compris avec les défauts qui l'accompagnent. Toutefois, je pense plutôt comme Erasme, qu' « un homme ne naît pas homme mais le devient », phrase détournée par Simone de Beauvoir. Ma personnalité s'est construite progressivement et j'ai connu des expériences diverses. Je suis professeure de droit, et ma nomination au Conseil constitutionnel, institution centrale de notre République, revêt à cet égard un sens particulier. J'ai également été rectrice d'Académie, fonction qui m'a donné l'expérience de la gestion d'un service public. Elue territoriale, je connais la réalité de la relation quotidienne avec les citoyens. Enfin, en tant que femme, j'ai porté le combat pour la parité et ai présidé un comité de suivi pour l'égalité des chances entre les filles et les garçons dans les systèmes éducatifs.

Je suis d'abord universitaire et professeure de droit administratif. Ma thèse, intitulée « Pouvoirs et relations hiérarchiques dans l'administration française », est la quatrième sur ce sujet loin d'être épuisé. Il m'a fallu huit ans pour l'écrire, sans bourse, tout en élevant mes enfants. Je suis devenue ensuite maître de conférences, ai obtenu l'agrégation puis suis devenue professeure à l'université d'Evry-Val d'Essonne. Pendant ce temps j'ai poursuivi mes travaux de recherche, participé à des colloques, écrit des articles et des ouvrages en droit administratif et parfois en droit constitutionnel. Pendant trois ans j'ai été directrice de la recherche à l'Institut international d'administration publique, ancienne Ecole coloniale puis Ecole nationale de la France d'outre-mer, dans les locaux qui accueillent aujourd'hui, à Paris, l'Ena. A ce titre j'ai accompli de nombreuses missions de formation dans les pays francophones d'Afrique et d'Asie. J'ai également dirigé la Revue française d'administration publique et été membre du comité de rédaction de la Revue Pouvoirs, coordonnant plusieurs numéros, où certains enseignants, devenus sénateurs, ont écrit. Même si j'ai été élue depuis, j'ai toujours considéré que les fonctions électives ne sont que temporaires et souhaité continuer à exercer ce métier.

J'ai également été nommée rectrice d'académie en vertu des hasards de la vie et de la volonté du Premier ministre de l'époque de féminiser la haute fonction publique, d'abord à Limoges puis à Toulouse, pendant huit ans. J'ai appris l'art de diriger et de gérer un grand service public, l'académie de Toulouse comptant 50 000 fonctionnaires. Il s'agit d'un service public essentiel pour la République, destiné à former des citoyens non seulement éclairés mais aussi « incommodes » selon le mot de Condorcet. L'école a accompagné la croissance de notre pays pendant les Trente Glorieuses. Aujourd'hui elle est désacralisée et les études révèlent ses contreperformances. Il faut réfléchir à ses missions et les travaux en cours vont dans ce sens. Comme élue locale j'ai aussi constaté que le développement des territoires dépend de l'innovation et donc de la formation. L'éducation n'est pas un coût, mais un investissement d'avenir. Dans un rapport remis à M. Jack Lang en 2001, intitulé 30 propositions pour l'avenir du lycée, j'avais développé ces idées. Enfin, l'éducation suppose une construction partagée des politiques entre l'État et les collectivités territoriales. Cette expérience a fondé mon engagement aux côtés de M. Vincent Peillon, dans le cadre de la refondation de l'école, qui m'a confié la présidence d'un des quatre groupes de travail, celui consacré à la réussite scolaire.

Enfin, je suis élue territoriale. Dès ma rencontre, en première année d'université, avec une professeure d'histoire du droit, j'ai su que je voulais devenir professeure d'université. Surtout ma vocation pour la chose publique était née. Simple militante, j'ai longtemps été élue d'opposition dans un petit village de la banlieue parisienne,. Quand j'ai cessé d'être rectrice, j'ai été élue première adjointe au maire de Toulouse, chargée de la culture, et première vice-présidente de la région Midi-Pyrénées, chargée de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la recherche. J'ai aussi été élue à la Communauté urbaine.

Ces cinq dernières années m'ont permis de porter un autre regard sur les politiques publiques menées par l'Etat. Il faut d'abord conduire des politiques orientées en fonction du choix des électeurs : j'ai le souvenir de notre action pour donner accès à tous les jeunes Toulousains à une pratique culturelle soutenue, conformément à nos choix, anticipant sur la réforme des rythmes scolaires. En outre les politiques doivent s'adapter à la diversité des territoires. Dans une région grande comme la Belgique, il y a une grande métropole de 1,5 millions d'habitants, Toulouse, et de vastes zones rurales.

Il convient aussi d'aborder les problématiques sociales et économiques de façon innovante : j'ai élaboré un schéma régional de l'enseignement supérieur et pour l'action économique. Ce passage du service de l'État à celui des collectivités territoriales a correspondu avec la découverte d'un dialogue concret avec les citoyens.

Ces expériences multiples, comme toutes les personnes que j'ai rencontrées qui ont exercé une influence sur ma personnalité, et que je n'ai pas évoquées, expliquent sans doute le choix du Président du Sénat.

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