Intervention de Jean-René Buisson

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 février 2013 : 1ère réunion
Traçabilité dans la chaîne de fabrication et de distribution des produits alimentaires — Audition de M. Jean-René Buisson président de l'association nationale des industries alimentaires ania

Jean-René Buisson, président de l'association nationale des industries alimentaires (ANIA) :

Exactement. Tout ceci crée un trouble dans la mesure où le pas en arrière que je viens d'évoquer peut conduire l'opinion à se demander si la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) n'a pas pris initialement une décision trop rapide et si l'entreprise Spanghero est véritablement fautive. Or on dispose, à mon sens, de suffisamment d'éléments objectifs qui établissent la responsabilité de cette dernière et il est souhaitable que des sanctions soient prononcées rapidement. Nous souhaitons donc que des décisions soient prises au plan judiciaire et nous envisageons, le cas échéant, de nous porter partie civile.

Par ailleurs, je précise qu'une fois sortie de l'usine Spanghero, la viande a été livrée dans l'entreprise de confection de lasagnes Comigel dont la responsabilité peut être également recherchée. En effet, Comigel a reçu un produit dont l'étiquetage n'était pas conforme à la réglementation puisque le nom du pays n'y figurait pas, comme nous avons pu le vérifier : cela semble donc établir une négligence de sa part. De plus, on peut se demander si cette entreprise, en traitant la viande, n'avait pas la possibilité d'identifier qu'il s'agissait de viande de cheval. Mais, dans l'hypothèse où elle ne décongèle pas la viande - et Comigel affirme que tel est bien le cas - il lui est effectivement difficile de déterminer s'il s'agit de cheval ou de boeuf.

Il faut donc très vite établir clairement les responsabilités pour sortir de cette phase d'incertitude. Redisons-le, nous ne sommes pas dans une situation de crise sanitaire, comme celle de la vache folle dont je garde un souvenir précis. Aujourd'hui le problème est celui de la confiance vis-à-vis de nos entreprises et il convient de la restaurer en sanctionnant la fraude.

Il est difficile de quantifier avec précision les volumes concernés par cette fraude, mais on estime que de 5 % à 15 % des produits à base de viande seraient impliqués.

D'autres sujets sont fréquemment évoqués, notamment par les journalistes, et c'est l'occasion pour moi d'apporter quelques précisions. Tout d'abord, l'opération en cause a fait l'objet d'une procédure de trading assez longue depuis l'usine roumaine jusqu'à l'entreprise Spanghero. Ce sont toutefois des circuits assez classiques d'achats de matière première au niveau européen. Il convient ici de rappeler que les industries alimentaires de notre pays traitent, dans leurs usines, 70 % de la production agricole française, ce qui représente - nous divulguons ce chiffre pour la première fois ce matin - 75 % des approvisionnements en matières premières de l'agroalimentaire. La grande majorité de nos productions bénéficie donc d'un circuit de traçabilité court. J'ajoute que 80 % des productions de nos usines sont consommées en France. Cette prédominance de l'approvisionnement en France explique l'implantation de nos usines sur l'ensemble du territoire et non pas en zone portuaire : tel serait le cas si nos matières premières provenaient de l'étranger. Les industries agroalimentaires sont, de ce fait très concernées par la situation de l'agriculture et par l'évolution de la politique agricole commune.

La raison pour laquelle des achats de viande à l'étranger perdurent est que nous n'avons pas assez de vaches de réforme en France - il en manque chaque année 800 à 900 tonnes qui ne peuvent pas être fournis par la production nationale - ce qui s'explique par des orientations de politique agricole et des choix d'investissements des agriculteurs.

J'indique également que nous sommes plutôt satisfaits de la rapidité de réaction des pouvoirs publics. Ces événements démontrent que le processus de traçabilité a bien fonctionné et il faut souligner que le nôtre est un des meilleurs au monde : en deux jours, la DGCCRF est ainsi parvenue à remonter l'ensemble de la chaine d'approvisionnement européenne. Ce n'est cependant pas suffisant pour traiter le problème inédit et spécifique de fraude sur la nature du produit que nous rencontrons aujourd'hui.

Je rappelle, de manière générale, que notre sécurité alimentaire est l'une des meilleures du monde : par exemple, on recense dans notre pays 200 fois moins d'incidents liés à la qualité des produits par million d'habitants qu'aux Etats-Unis. Ces bons résultats se rattachent à l'efficacité de notre dispositif de contrôle interne et également externe assuré par la DGCCRF. L'action de cette dernière ne doit pas être minimisée et elle se traduit, dans notre secteur agroalimentaire, par des résultats positifs à 99,7 %, ce qui témoigne du haut niveau de conformité de nos productions. Le manque de moyens de la DGCCRF est souvent déploré et nous sommes favorables à leur renforcement.

J'ajoute que nos contrôles internes à la profession portent sur la bactériologie, la propreté et l'hygiène des produits ainsi que sur les conditions de travail et le respect des normes dans l'industrie alimentaire. Cependant, nous ne nous étions pas encore posé la question de savoir si le produit que l'on nous présentait comme du boeuf avait bien cette nature. Cela peut paraitre surprenant de façon rétrospective, mais nos dispositifs de contrôle reposaient sur une certaine relation de confiance avec nos industriels et sur l'hypothèse que des fraudes de nature pénale n'entraient pas dans le cadre de leur comportement raisonnable et prévisible.

Notre objectif consiste désormais à remédier à cette faille. Afin de tenir compte de l'élément nouveau que constitue la fraude sur la nature du produit, nous allons réaménager notre référentiel de contrôle vis-à-vis de nos entreprises, d'une part, en rappelant le cadre existant et, d'autre part, en attirant l'attention sur une liste d'indices qui doivent constituer des signaux d'alerte, par exemple en s'interrogeant sur la provenance de certaines importations de viande ou sur la complexité du circuit d'approvisionnement. De tels indices doivent conduire à déclencher des contrôles en amont du fournisseur final : nous allons ainsi désormais étendre nos contrôles aux fournisseurs des fournisseurs et nous procéderons alors à des tests, non pas nécessairement d'ADN, mais plus vraisemblablement histologiques, l'essentiel étant d'adapter notre appareil à la recherche des fraudes sur la nature du produit. Nous allons également codifier l'ensemble de ces nouvelles procédures.

Le second enjeu, qui est beaucoup plus complexe, concerne la problématique de l'origine des produits alimentaires. L'état des lieux a été dressé et une directive européenne, qui sera applicable fin 2014, prévoit que tout produit élaboré majoritairement à base de viande doit être signalé en termes de pays d'origine. En ce qui concerne la viande de boeuf contenue dans des produits élaborés, la commission européenne est aujourd'hui saisie d'une étude qui doit déboucher à la fin de 2013 sur des conclusions. Nous souhaitons que cette démarche soit accélérée et puisse aboutir dès juin 2013.

Reste enfin à traiter le cas des produits comportant par exemple une douzaine d'ingrédients. Ces derniers soulèvent de complexes problèmes d'étiquetage et il convient, à notre sens, d'éviter de mettre en place une « usine à gaz » au niveau français. C'est, en effet, la législation européenne qui régit normalement ce domaine et nous souhaitons que la question soit examinée et résolue dans ce cadre. Je fais également observer que la question de l'étiquetage est importante mais qu'elle n'a pas de lien direct avec la fraude que nous constatons aujourd'hui puisqu'elle concerne non pas l'origine mais la nature du produit.

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