Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 26 février 2013 à 14h30
Compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la cour pénale internationale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre d’un sujet majeur pour la France, pour tous les pays du monde et pour l’espèce humaine. En effet, l’histoire ancienne, l’histoire contemporaine et même l’histoire récente nous ont appris que les horreurs font partie, hélas, de l’expérience humaine, que nombreux sont les auteurs de crimes contre l’humanité, de crimes de génocide et de crimes de guerre, et que leurs victimes, des êtres humains, se comptent par milliers, par dizaines de milliers, par centaines de milliers et même par millions.

Que peut-on opposer, face à cela ? Eh bien, mes chers collègues, la civilisation – les civilisations -, l’humanisme, mais aussi la détermination de toutes celles et de tous ceux qui, comme vous, j’en suis sûr, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégiez, œuvrent pour que la formule « Plus jamais ça » ne reste pas un vœu bien vite, trop vite, contredit par les faits.

Mes chers collègues, chacune et chacun d’entre nous a présentement à l’esprit les horreurs dont je parle. Mais la même humanité, notre humanité, qui a connu de telles horreurs, a connu aussi des trésors d’intelligence, de sensibilité, d’amour, d’altruisme, bref, de civilisation. Ainsi, après les procès de Nuremberg et de Tokyo, les consciences se sont progressivement éveillées et, prolongeant cet éveil, les démocrates ont alors permis, par leurs efforts, à la Cour pénale internationale de voir le jour.

Ce matin même, notre collègue Alain Anziani, rapporteur de ce texte, faisait remarquer qu’il avait fallu cinquante ans pour qu’une cour pénale internationale soit créée. On aurait pu penser qu’après les procès de Nuremberg et de Tokyo une telle juridiction se serait très vite imposée : il a fallu du temps.

La signature, le 18 juillet 1998, de la convention de Rome, qui a donné naissance à la Cour pénale internationale, est un événement important.

C’est que, mes chers collègues, il s’agissait non seulement de créer une institution nouvelle, mais aussi, en instaurant une complémentarité entre les tribunaux des différents pays signataires et entre ceux-ci et la CPI, d’unir les justices du monde entier, pour que le droit règne en tous lieux et qu’un nécessaire châtiment attende les auteurs de crimes contre l’humanité, de crimes de génocide et de crimes de guerre.

Notre pays a tiré les conséquences de la convention de Rome et de la création de la Cour pénale internationale, d’abord dans sa Constitution, puis par le vote de la loi du 9 août 2010, qui permet au juge français de connaître de ces crimes.

Cependant, dès le vote de cette loi - et même avant -, il est apparu que celle-ci était infiniment restrictive. Qu’il me soit permis à cette tribune de rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui se sont mobilisés et qui se sont battus pour la modifier. C’est ce qui m’a conduit à présenter, le 6 septembre dernier, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, avec nombre de mes collègues socialistes, tout en sachant que des sénateurs appartenant à tous les groupes politiques partagent notre sentiment.

Si je suis le premier signataire de la présente proposition de loi, j’ai, ou plutôt nous avons une dette immense, mes chers collègues, si vous me permettez d’anticiper votre soutien et de parler en votre nom à tous, à l’égard de Robert Badinter, de Mireille Delmas-Marty et de Simon Foreman, président de la Coalition française pour la Cour pénale internationale, sans oublier les parlementaires les plus impliqués – je veux à cette tribune citer Patrice Gélard -, qui ont permis de faire avancer les idées et le droit sur cette question tellement importante.

La loi du 9 août 2010 a réformé l’article 689-11 du code de procédure pénale, ce qui s’est traduit par un certain nombre de restrictions, que l’on a d’ailleurs nommées « verrous ».

Première restriction, pour que les juridictions françaises puissent être compétentes, c'est-à-dire puissent poursuivre et condamner, il fallait que l’auteur ou l’auteur présumé des crimes « réside habituellement » sur le territoire français. À cet égard, comment ne pas citer Robert Badinter, qui s’est toujours élevé contre une telle formulation : « Conserver la condition de résidence habituelle […] signifie que nous ne nous reconnaissons compétents pour arrêter, poursuivre et juger les criminels contre l’humanité, c'est-à-dire les pires qui soient, que s’ils ont eu l’imprudence de résider de manière quasi permanente dans notre pays. »

Ainsi donc ces personnes viendraient chez nous, pour habiter dans un petit pavillon entouré d’une haie de thuyas et aller régulièrement au café du coin faire leur tiercé le dimanche ?

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