Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 26 février 2013 à 14h30
Compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la cour pénale internationale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

La disposition est importante, parce qu’il existe des tyrans, des criminels qui disposent d'une justice aux ordres, qui peuvent compter sur une législation taillée sur mesure et qui n'ont pas commis l’« imprudence » de signer la convention de Rome.

Il faut donc que la justice passe, y compris pour les ressortissants de ces États qui seraient soupçonnés de crime contre l'humanité, de crime de génocide ou de crime de guerre.

La troisième restriction est relative à ce qui est présenté comme le principe de primauté de la Cour pénale internationale. En effet, pour que la juridiction française puisse exercer des poursuites, « le ministère public s’assure auprès de la Cour pénale internationale qu’elle décline expressément sa compétence et vérifie qu’aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n’a demandé sa remise et qu’aucun autre État n’a demandé son extradition ».

Encore une fois, cette condition est absurde, et, disons-le clairement, résulte d'une interprétation erronée de la convention de Rome, laquelle – et c'est d'ailleurs pourquoi c’est un texte essentiel – pose le principe de la complémentarité entre la Cour pénale internationale et les juridictions nationales ; elle n'instaure aucunement une primauté de la première sur les secondes.

D’ailleurs, et il faut voir là un indice probant de ce que j’avance, la CPI exerce sa compétence à l’égard d’une « situation », cependant que les juridictions nationales exercent la leur à l’égard d’une « personne ».

Comme l'a montré Robert Badinter, « c’est aux États en effet qu’il revient au premier chef de poursuivre et de condamner les auteurs de ces crimes […]. C’est seulement faute pour ces États d’agir […] que la Cour assurera la répression […] ».

Par conséquent, cette troisième restriction que pose notre droit est contraire à l'esprit même de la convention de Rome.

Mais il reste, mes chers collègues, une quatrième restriction.

Dans la proposition de loi, j’envisage de remettre en cause le monopole du parquet. La commission et son rapporteur, dont je partage les préoccupations, se sont attentivement penchés sur cette question. Vous le savez, mes chers collègues, elle a donné lieu à des débats riches, nourris, aussi bien avec les associations, en particulier avec la Coalition française pour la Cour pénale internationale – même si nous n'avons pas fait nôtres toutes ses positions –, qu’avec les représentants des magistrats et bien sûr, avec vous-même, madame le garde des sceaux, avec vos services, avec ceux du ministère des affaires étrangères et d'autres ministères encore.

Nous avons été amenés à prendre en considération ce qui s'est passé dans un certain nombre de pays, en particulier en Belgique et en Espagne, et à veiller à éviter tout recours dilatoire ou toute instrumentalisation de la justice. Au final, nous avons défini une solution possible dans le détail de laquelle entrera Alain Anziani dans un instant.

Ce faisant, nous avons la volonté d'être fidèles à nos principes, de mettre fin aux restrictions excessives contenues dans notre droit, à commencer par la condition de résidence habituelle, et de trouver une voie moyenne entre l'efficacité de la justice et le nécessaire réalisme auquel nous obligent un certain nombre de situations concrètes.

Nous ne prétendons pas que la solution qui sera retenue ici, que les dispositions que nous voterons cloront le débat. Nous en sommes au stade de la première lecture et, surtout s’agissant d’un sujet aussi important, nous croyons à la force du débat parlementaire. Madame le garde des sceaux, je ne demande qu’une chose : que l’on aille de l'avant. Cela étant, ce n’est pas à vous que j’adresse cette invite, tant vous avez su nous démontrer, ces derniers mois, ces dernières semaines, que vous saviez aller de l'avant, alors qu’il est toujours plus facile de se complaire dans les hésitations. Permettez-moi de vous le dire, madame le garde des sceaux, vous que nous avons l'honneur d’accueillir parmi nous cet après-midi.

Pour aller de l'avant, il faudra d’abord que ce texte soit examiné rapidement par l'Assemblée nationale et qu’il nous revienne dans des délais raisonnables. C'est indispensable.

Madame le garde des sceaux, j’ai entendu dire que plusieurs projets de loi constitutionnelle étaient en cours de préparation, en particulier un texte relatif au Conseil supérieur de la magistrature, qui consacrerait, par les conditions tant de nomination que de promotion de ses membres, l'indépendance du parquet français. Ce dernier texte serait tout aussi important que celui que nous examinons cet après-midi.

Mes chers collègues, si vous voulez bien la voter, cette proposition de loi marquera un indéniable progrès dans la défense de l’humanité contre ceux qui se sont rendus coupables de ces horreurs que sont les crimes contre l'humanité, les crimes de génocide et les crimes de guerre, car ceux-là doivent pouvoir être jugés. C’est sans doute l'un des sujets les plus importants que nous ayons eu à traiter ici et c'est une nécessité pour la conscience humaine.

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