Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 26 février 2013 à 14h30
Compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la cour pénale internationale — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, tous au sein de cette assemblée nous pouvons souscrire à l’ambition de cette proposition de loi. Je reviendrai cependant sur quelques points, car je crois l’échange nécessaire, comme les différences d’appréciations. Nous verrons quel sera le destin de nos amendements, mais je crois que nous partageons l’état d’esprit qui a présidé à la rédaction de ce texte.

Comme l’a justement souligné la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, « la France doit être exemplaire, en mettant pleinement en œuvre dans son droit interne le principe de complémentarité consacré dans le Statut de Rome ― qui rappelle la responsabilité première des États dans la lutte contre l’impunité des crimes internationaux ―, ainsi qu’en pratiquant une politique active d’engagement, de présence et de soutien à la CPI ».

Outre le besoin de moyens supplémentaires devant être alloués au pôle du tribunal de grande instance spécialisé dans les crimes internationaux, la CNCDH appelle donc à ce que les conditions très restrictives mises à l’exercice de la compétence extraterritoriale des tribunaux français soient revues, afin que la législation française soit conforme au Statut de Rome.

Tel était l’objectif de la proposition de loi de notre collègue, président de la commission des lois, Jean Pierre Sueur. Je me permets cet imparfait car, malheureusement, notre commission est revenue sur la suppression du monopole des poursuites du parquet, privant ainsi les victimes des crimes les plus atroces d’un accès direct aux juges.

Nous regrettons ce retour en arrière, pas seulement parce que ce fut une position portée par la gauche, et toujours chère à beaucoup en son sein, mais surtout parce qu’il s’agit d’une dérogation au droit commun injuste pour les victimes de ces atrocités.

En effet, l’obligation dans laquelle se trouvent les victimes de crimes internationaux et les associations de défense des victimes de composer avec le parquet pour obtenir la mise en mouvement de l’action publique déroge de manière, à notre avis, très critiquable au droit commun. Cela est d’autant plus vrai que, comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’homme, le procureur n’est pas, aujourd’hui, une autorité judiciaire indépendante.

Même si j’entends la perspective d’évolutions futures, que j’appelle bien évidemment de mes vœux, à l’heure où nous votons cette loi, il ne s’agit que d’annonces qui ne sont pas encore transcrites dans la Constitution. Il n’y a cependant rien de péjoratif dans cette remarque, et j’ai foi dans leur concrétisation future !

Pour l’heure, on se trouve donc dans cette situation ubuesque où la victime d’un crime de droit commun, voire d’un simple délit, peut déclencher l’action publique en se constituant partie civile, alors que la victime d’un crime contre l’humanité est privée de ce droit.

Outre cette rupture d’égalité, laisser au seul parquet le pouvoir d’engager des poursuites est une atteinte grave aux droits des victimes à un recours effectif. Là encore, je ne cherche pas à mettre en cause la politique diplomatique actuelle, mais je crois que, lorsque nous votons une loi, nous devons anticiper et envisager tous les cas de figure. Je tiens donc à souligner ici les difficultés que posera à l’avenir cette restriction.

Je note cependant que la proposition de la commission nous permet de revenir sur trois des verrous en place et d’avancer ainsi vers cette exemplarité demandée par la CNCDH, voire d’aller plus loin, comme le rapporteur l’a brillamment envisagé. Nous avons tous pris acte de ces évolutions et je tiens à m’en féliciter ici.

Je voudrais pourtant ajouter quelques mots sur le fonctionnement de la CPI, même si cela dépasse le cadre strict de cette proposition de loi.

Nous rappellerons simplement ici que la promotion d’une cour pénale internationale juste, efficace et indépendante passe par un engagement réaffirmé de notre pays pour la CPI.

La France, signataire du Statut de Rome et membre permanent du Conseil de sécurité, a un rôle moteur à jouer sur la scène internationale pour promouvoir et soutenir la Cour, tant dans sa législation interne que dans ses arbitrages budgétaires et sa politique diplomatique, dans le respect bien évidemment de l’indépendance judiciaire.

Or la CNCDH relève des lacunes dans le fonctionnement interne de la Cour et formule notamment des recommandations sur la procédure de sélection des juges et du procureur. Elle appelle enfin la France à soutenir le budget de la CPI, afin de garantir une application satisfaisante de son mandat.

En rappelant ces appréciations de la CNCDH, je vous demande, madame la garde des sceaux, de les entendre comme des critiques positives nous permettant d’aller plus loin encore dans l’exemplarité nécessaire à la reconnaissance et à la légitimité de la CPI. La Cour, nous le savons, peut faire l’objet de critiques ou de remises en question quant à son indépendance, son impartialité, la garantie qu’elle offre de juger librement les différentes personnes accusées.

Nous pensons que c’est en agissant ainsi que nous permettrons l’émergence d’une juridiction internationale garante des droits humains universels.

Malheureusement, les institutions créées ont souvent été contraintes d’adapter leurs actions aux budgets dont elles étaient dotées, ce qui a parfois renforcé les soupçons sur leur relative indépendance. La responsabilité, pour les magistrats de ces juridictions, est énorme, et leur rôle dans le renforcement de la crédibilité des juridictions qu’ils représentent est primordial.

Madame la garde des sceaux, c’est en ce sens que nous intervenons aujourd’hui, dans l’espoir que la France, avec d’autres, fasse de la CPI une cour de justice au service des femmes et des hommes qui ont vu leurs droits fondamentaux bafoués.

Comme le rappelait le Président de la République, M. François Hollande, en janvier dernier devant les magistrats de la Cour de cassation, la CPI est « l’arme du droit contre les dictatures ». Je pense qu’il est important de le rappeler. Cette intervention et l’amendement que nous avons déposé s’inscrivent dans cette perspective, mais le débat doit se poursuivre au-delà des différences d’appréciation que nous pouvons avoir actuellement.

Parce qu’elle est l’arme du droit, la CPI doit être au service direct du justiciable. En ce sens, le fait que trois verrous aient été supprimés est positif, mais il nous faut viser plus loin et ne pas attendre cinquante ans pour, grâce à de nouvelles évolutions, faire que la justice triomphe à l’échelle internationale.

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