Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 26 février 2013 à 14h30
Compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la cour pénale internationale — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les consciences modernes, en direct chaque soir devant leur poste de télévision avec les malheurs du monde, acceptent difficilement que les bourreaux des peuples ne soient pas neutralisés, jugés et châtiés. Elles rencontrent en cela la longue tradition juridique du droit des gens et des droits de l’homme qui, après diverses tentatives, les temps forts étant les procès de Nuremberg et Tokyo, ainsi que la création de tribunaux pénaux internationaux spécifiquement créés à l’occasion de conflits particuliers, aboutit à l’institution de la Cour pénale internationale par la convention de Rome, signée en 1998, la juridiction étant installée en 2002.

Si la France a ratifié la convention de Rome en 2002, il a fallu attendre la loi du 9 août 2010 – c'est-à-dire huit ans ! – pour qu’elle adapte son droit au statut de la Cour. C’est un retard fâcheux dans la mesure où la CPI ne saurait faire face à elle seule à la tâche qui lui incombe et parce qu’elle a été conçue pour n’intervenir qu’en l’absence de volonté, de compétence ou de moyens des juridictions des États membres, lesquels conservent l’initiative en matière d’enquête et de jugement des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide.

D’une certaine façon, la loi de 2010 est une adaptation a minima de notre droit, dans la mesure où un juge français ne peut aujourd’hui poursuivre une personne soupçonnée de crime contre l’humanité, de crime de génocide ou de crime de guerre que si elle réside habituellement sur notre territoire, qu’il existe une double incrimination de l’infraction poursuivie, que la CPI a décliné sa propre compétence, la poursuite étant par ailleurs engagée sur la seule initiative du ministère public.

Il s’agit d’une adaptation a minima, certes, maisqu’explique le fait que la convention de Rome n’impose pas l’adoption par tous les États parties du principe de compétence universelle et que l’article 689-1 du code de procédure pénale prévoit déjà la compétence universelle des juridictions françaises pour réprimer les violations d’une dizaine de conventions internationales, dont la convention contre la torture de 1984.

Vous le savez, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de loi était donc de faire sauter ces quatre verrous, afin d’instaurer une compétence universelle des juridictions françaises à partir du moment où un suspect serait présent sur notre territoire, qu’il soit ressortissant ou non d’un pays signataire de la convention de Rome.

La commission des lois a validé ce choix, sauf pour le dernier verrou - le monopole du parquet en matière d’exercice des poursuites -, qu’elle a maintenu, et avec raison.

Oui, la commission des lois a eu raison, car la compétence universelle sans le monopole des poursuites réservé au parquet, autrement dit la possibilité pour qui voudra de saisir la justice française de l’ensemble des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis en ce bas monde, nous aurait exposés à des difficultés inextricables. Les pays qui s’y sont risqués en ont fait l’expérience.

Ainsi, comme l’a souligné M. le rapporteur, la Belgique avait adopté en 1993 le principe d’une compétence universelle de ses tribunaux, y compris pour juger les chefs d’État étrangers, en violation d’ailleurs de la coutume internationale. Les tribunaux belges se sont ainsi retrouvés à juger un grand nombre de plaintes du chef de crimes commis en divers points du monde, au Rwanda, au Tchad, au Chili ou encore en Irak, avant d’être, à son tour, condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir poursuivi un ministre congolais couvert par son immunité politique ! Le champ de la loi a donc été restreint en 2003, après qu’eurent été déposées des plaintes contre Ariel Sharon ou George Bush. Vous n’aurez pas la faiblesse de penser, mes chers collègues, qu’il s’agissait d’une pure coïncidence…

On touche là à l’une des limites majeures de l’action de la CPI et de sa couronne de tribunaux nationaux : ils ne jugent que les vaincus, seulement ceux qui n’exercent plus le pouvoir. Sauf volonté expresse des pays, ils ne jugent pas les ressortissants des pays qui, comme les États-Unis, la Chine, Israël ou l’Inde, n’ont pas ratifié la convention de Rome et dont on sait par ailleurs le profond attachement aux droits de l’homme, surtout chez les autres !

Est-ce un hasard si, dix ans après sa mise en place, la CPI n’a rendu que deux jugements se rapportant tous deux à l’Afrique ? Est-ce un hasard si toutes les affaires traitées ne concernent que l’Afrique ?

La loi espagnole sur la compétence universelle, dont le champ était le plus étendu - jusqu’à ce que la gauche le modifie, en 2009 - dans la mesure où elle ne subordonnait pas les poursuites à une condition de résidence, a amené les juges à connaître de multiples affaires mettant en cause d’anciens officiers argentins tortionnaires sous la dictature, des généraux guatémaltèques accusés de tortures, des militaires rwandais impliqués dans le génocide, des militants islamistes d’Al-Qaïda et même des responsables chinois accusés de génocide contre le peuple tibétain.

Quant à la loi fédérale canadienne du 23 octobre 2000, elle a permis la condamnation, en 2009 et en 2012, de deux ressortissants rwandais pour crimes de génocide.

Le risque d’instrumentalisation des poursuites à des fins médiatico-politiques est bien réel, qu’il procède d’oppositions ou des États eux-mêmes : la poursuite du crime de génocide, les demandes de réparations et de repentance, l’investissement dans l’humanitaire au travers des organisations dont certaines n’ont de « non gouvernementales » que le nom, sont devenus, comme la guerre, une manière de poursuivre la politique par d’autres moyens. La conscience y tient certes une place, mais variable selon que celui qui doit être jugé est puissant ou misérable.

Comme disait Blaise Pascal, « ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste ». Blaise Pascal n’a pas beaucoup vieilli…

La commission des lois a donc adopté une position de sagesse. C’est pourquoi le groupe du RDSE lui apportera son soutien.

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