Intervention de Éric Lasne

Commission des affaires économiques — Réunion du 26 février 2013 : 1ère réunion
Avenir de la production d'électricité par géothermie en france — Table ronde

Éric Lasne :

En géothermie, nous avons affaire à une ressource naturelle. Elle doit être respectée et gérée en tant que telle. L'opération de géothermie réalisée en 2010 à l'aéroport d'Orly, avec un dispositif « en doublé » comportant un forage de production et un forage de réinjection, permet à l'eau extraite d'être restituée dans son milieu naturel. L'intégration environnementale d'une centrale de géothermie est une question importante. La géothermie est une pratique vertueuse, qui doit l'être dans tous ses aspects, y compris celui de l'intégration visuelle.

La carte des ressources géothermales de notre pays montre les grands bassins sédimentaires parisien et aquitain, dans lesquels on trouve des aquifères continus. Ces derniers sont assez facilement caractérisables et sont déjà exploités. Les aquifères sont des formations rocheuses suffisamment poreuses pour contenir de l'eau. Dans le massif central, il y a des zones volcaniques dans lesquelles il pourrait y avoir des ressources géothermales que, dans le cadre de l'AMI, plusieurs projets visent à caractériser. On peut mentionner enfin les grands bassins fracturés, en Alsace mais aussi dans le couloir rhodanien. Dans les îles, en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion, il y a des ressources dont une partie sont avérées.

La région parisienne est une belle vitrine des opérations de géothermie en France. Le bassin parisien possède une couche géologique dont les ressources géothermiques sont très riches : le dogger. Son exploitation est la première au monde en termes de chaleur. Elle se répartit entre 37 installations, sur une couronne partant du nord de Paris, vers la Courneuve, passant par l'Est parisien, et se refermant sur Fresne, pour une production de chaleur d'un million de mégawatt-heure par an. L'impact environnemental de cette production doit être souligné, puisqu'il permet d'éviter la production de 280 000 tonnes de CO2, ce qui est particulièrement important en milieu urbain.

Ce savoir-faire a déjà été décliné à l'international, en Roumanie, en Belgique, en Suisse, en Andorre et en Chine.

L'exploitation de la chaleur en France pourrait aller plus loin. La France n'atteint que le quinzième rang européen en termes de liaison des habitations à des réseaux de chaleur. Seuls 6 % des habitations et des bureaux sont raccordés à un réseau de chaleur. Sur ceux-ci, on trouve 30 % d'énergies renouvelables : la géothermie est donc vertueuse en matière de mix énergétique. Elle constitue un effet de levier important.

Un autre avantage de la géothermie réside dans son prix. Une étude du réseau Amorce a montré qu'elle était très compétitive par rapport aux autres énergies. Elle a des coûts à peu près équivalents à l'énergie de récupération sur les usines d'incinération d'ordures ménagères, ou issue de la cogénération de gaz ; elle est 5 % à 10 % moins chère que la biomasse. La géothermie est donc vertueuse tant du point de vue environnemental que de la compétitivité. Les collectivités, qui ont commencé à investir dans ce domaine dans les années 1980, choisissent aujourd'hui de maintenir et de renouveler leurs installations.

Dans les îles, il y a deux types de système volcanique : un arc insulaire de volcans, comme en Martinique, en Guadeloupe et à la Dominique, et un volcanisme de points chauds, à La Réunion par exemple.

Dans les îles, la plus belle réalisation en matière de géothermie, et la seule dans le domaine de la production d'électricité, se trouve à Bouillante en Guadeloupe. Elle est composée de deux unités qui produisent 6% de l'électricité de la Guadeloupe. L'unité Bouillante 1 fournit 4,7 mégawatts électriques , l'unité Bouillante 2 11 mégawatts. Le champ géothermal de Bouillante n'est absolument pas lié à l'activité actuelle du volcan de la Soufrière, nous sommes sur des édifices volcaniques anciens, déconnectés du volcanisme actuel. Dans le périmètre d'exploitation de Bouillante, il y a encore un fort potentiel à développer. Un projet Bouillante 3 doit voir le jour ; dans la zone de Vieux-Habitants, au Sud, des études sont actuellement en cours. Les résultats devraient être disponibles d'ici la fin du premier semestre 2013.

Un potentiel de développement un peu plus caché, et à approfondir, existe à la Martinique dans trois zones : sur le flanc ouest de la montagne Pelée, au niveau de la petite anse au sud de l'île ; sur la plaine du Lamentin. A cet endroit des forages ont déjà été réalisés dans les années 2000, avec des résultats assez prometteurs en matière de production de moyenne énergie.

A La Réunion, le potentiel en géothermie concerne les cirques de Salazie et Cilaos (Piton des neiges) et le secteur de la plaine des sables à l'ouest du Piton de la fournaise et de la rivière des remparts. Fin 2008, le projet de réalisation de trois forages exploratoires dans la plaine des sables a été abandonné en raison des risques pesant sur la demande de classement au patrimoine mondial de l'UNESCO, s'agissant d'une zone située dans le parc national, mais il pourra peut être revoir le jour à un autre endroit.

La géothermie électrogène permet de consolider et sécuriser les systèmes énergétiques insulaires, souvent intermittents en ce qui concerne l'énergie éolienne ou solaire. La géothermie est une énergie de base avec des taux de disponibilité qui peuvent être supérieurs à 90 %. Il s'agit d'une production locale, indépendante des importations de combustibles fossiles. Elle est moins chère, puisque le tarif de rachat actuel fixé par la commission de régulation de l'énergie est de 130 euros par mégawatt heure, alors que les énergies conventionnelles sont plutôt autour de 200 euros par mégawatt heure. Il est en outre possible d'utiliser tout ou partie de la ressource géothermale, « en cascade », pour des applications « chaleur », dans le domaine agricole (séchage), industriel (froid)... Cette production émet peu de rejets en CO2. Il s'agit en outre une filière complète, déjà structurée.

Nos attentes de professionnels de la géothermie sont les suivantes.

Il faut tout d'abord continuer à développer la connaissance des ressources géothermiques, que ce soit pour la production de chaleur ou la production d'électricité. Il faudrait également instaurer un dispositif de couverture du risque géologique pour la production d'électricité, comme cela existe déjà pour la production de chaleur. La conception de mécanismes de soutien financier au développement de la géothermie dans les territoires insulaires, notamment en termes de tarifs d'achat, permettrait par ailleurs à beaucoup de projets de voir le jour ; il faudrait que le tarif d'achat soit compris entre 170 et 200 euros du mégawatt-heure. Il faudrait également définir une réglementation adaptée aux territoires insulaires, notamment pour l'importation d'électricité : la production d'électricité sur l'île de la Dominique pourrait intéresser la Martinique ou la Guadeloupe. Des adaptations de la réglementation sont également nécessaires : lorsque l'on fait des forages d'exploration, ne pourrions-nous pas travailler comme dans le domaine des hydrocarbures, avec un système de déclaration plutôt que d'autorisation, qui prend beaucoup plus de temps ?

Pour améliorer l'insertion des projets dans les territoires, la mise en place d'une redevance communale permettrait aux collectivités locales de s'y retrouver sur le plan financier.

Il faudrait, enfin, renforcer les actions de recherche et développement engagées dans le cadre des investissements d'avenir : nous pensons aux AMI, mais aussi à l'institut d'excellence, qui doit permettre de mettre en place des démonstrateurs en géothermie profonde pour dynamiser la filière.

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