Nous sommes appelés à nous prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat et de coopération (APC) entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Turkménistan, d'autre part.
Avant d'évoquer le contenu de cet accord et de vous donner mon sentiment, je souhaiterais vous présenter brièvement la situation du Turkménistan et les enjeux de la présence française et européenne en Asie centrale.
Le Turkménistan est l'un des cinq États d'Asie centrale issus de l'éclatement de l'URSS en 1991. Il compte 5 millions d'habitants, dont la très grande majorité de Turkmènes, de religion musulmane, avec une minorité russe (6 %).
Quasi désertique, mais riche en gaz (ce pays occupe le 4e rang mondial concernant les réserves potentielles de gaz naturel), le Turkménistan connaît une forte croissance économique, de l'ordre de 10 % par an, et un important programme de construction (infrastructures, bâtiments officiels, etc.).
En matière de politique étrangère, le Turkménistan a fait le choix de la neutralité, reconnue par une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies en décembre 1995.
On oublie également souvent de mentionner le fait que, au lendemain de la dislocation de l'URSS en 1991, tous les pays d'Asie centrale ont fait le choix de renoncer aux armes nucléaires héritées de l'Union soviétique.
A la différence d'autres pays d'Asie centrale, comme le Kazakhstan par exemple, le Turkménistan souhaite s'émanciper de la Russie, qui reste son premier partenaire commercial.
En raison de son statut de neutralité, le Turkménistan refuse de participer aux initiatives d'intégration renforcée au sein de la Communauté des Etats indépendants (CEI) et n'adhère pas aux organisations régionales sous tutelle russe (Organisation de Coopération de Shanghai, Organisation du Traité de Sécurité Collective). Par ailleurs, il n'est pas non plus membre de l'OMC.
Cette volonté d'indépendance s'est heurtée en 2009 à des positions plus fermes de Moscou dans le domaine énergétique avec l'interruption de l'importation de gaz du Turkménistan par Gazprom, provoquant ainsi une crise ouverte entre Moscou et Achgabat et une fragilisation de l'économie turkmène. A partir de janvier 2010, les exportations ont repris mais à des volumes et un prix inférieurs à ceux escomptés par Achgabat (10 Mds m3/an ; 195 USD/m3).
Le pays entretient des relations apaisées avec ses voisins, notamment avec l'Ouzbékistan et s'est rapproché de l'Azerbaïdjan depuis 2008 malgré la persistance du contentieux sur la délimitation de la mer Caspienne.
Le Turkménistan a des liens privilégiés avec la Turquie, qui mène une politique culturelle et commerciale très active, soutenue par une certaine proximité linguistique.
Le Turkménistan mène une politique de coopération avec le voisin iranien : Achgabat assure 40 % de la consommation en énergie de la conurbation industrielle de Téhéran, ce qui permet à l'Iran d'exporter ses hydrocarbures du sud du pays vers l'Extrême-Orient. Un nouveau gazoduc vers l'Iran a été inauguré en janvier 2010 (6 Mds m3/an).
Sa politique à l'égard de l'Afghanistan est pragmatique, alliant soutien humanitaire et promotion de projets économiques, notamment celui du gazoduc TAPI (Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde). Le Turkménistan a apporté son soutien de principe à la coalition anti-terroriste après les attentats du 11 septembre 2001 et autorisé l'acheminement à travers son territoire de l'aide humanitaire sous l'égide de l'ONU, mais refuse tout déploiement de troupes étrangères sur son sol.
La coopération énergétique avec la Chine est dynamique : un gazoduc, inauguré en décembre 2010, construit en seulement 27 mois (7000 km à travers le Turkménistan, l'Ouzbékistan et le Kazakhstan), devrait permettre de fournir près de 30 milliards de mètres cube de gaz annuels à la Chine durant 30 ans (environ 6 milliards de mètres cubes en 2010). Il met un terme au monopole de Gazprom sur l'exportation du gaz turkmène. Par ailleurs, la Chine a accordé au Turkménistan des crédits dont le montant avoisine les 9 milliards de dollars.
Le Turkménistan accorde un rôle important aux Nations unies et accueille le premier Centre régional de diplomatie préventive des Nations unies qu'il souhaite valoriser pour affirmer son rôle de médiateur dans la région.
Enfin, les relations du Turkménistan avec la France sont bonnes et les entreprises françaises y sont actives. Le Turkménistan est le 3e partenaire commercial de la France en Asie centrale avec des échanges commerciaux de 94 millions d'euros en 2011. Les relations économiques et commerciales sont nourries exclusivement par la réalisation de grands contrats. Les exportations françaises sont essentiellement composées de biens d'équipements mécaniques et électriques ainsi que de biens intermédiaires (minéraux, produits chimiques) utilisés dans l'industrie extractive. Nos importations se composent à 87 % d'hydrocarbures. La part de marché de la France au Turkménistan est limitée (3 % environ), notamment par rapport à l'Allemagne. Les principales entreprises françaises sont Bouygues (qui y réalise 50 % de son chiffre d'affaires à l'international), Alcatel-Lucent, Accor, Schlumberger, Schneider Electric, Thales, Total, Vinci, Veolia, etc.
Enfin, en matière de coopération culturelle, le centre culturel français Jules Verne organise des expositions, des concerts, mais également des conférences et des sessions de formation (cours de français, formation des professeurs, notamment ceux des 4 écoles turkmènes enseignant le français).
J'en viens maintenant à l'accord qui est soumis à notre examen.
Il s'agit d'un accord de partenariat et de coopération, signé en 1998 (il y a déjà presque 15 ans !) entre l'Union européenne et le Turkménistan, qui complète le maillage des accords déjà conclus avec les autres pays d'Asie centrale. C'est toutefois le seul à ne pas être encore entré en vigueur.
Son objectif est de créer un cadre unique pour l'ensemble des relations de l'Union européenne avec le Turkménistan.
Il prévoit notamment :
- des consultations politiques régulières, avec un Conseil de coopération au niveau ministériel, assisté par un comité de coopération au niveau des hauts fonctionnaires, et une commission parlementaire de coopération, réunissant des membres du Parlement turkmène et des membres du Parlement européen ;
- un renforcement des échanges économiques, avec notamment l'objectif d'établir une zone de libre échange ;
- des stipulations concernant la liberté d'établissement des entreprises, des services et des capitaux, ainsi qu'en matière de protection de la propriété intellectuelle et commerciale ;
Enfin, l'accord fait référence, dans son préambule et dans plusieurs articles, au respect de la démocratie et des droits de l'Homme. Il prévoit notamment un renforcement de la coopération en matière d'Etat de droit et de protection des droits fondamentaux, en particulier grâce à des programmes d'assistance technique et des formations.
Bien que signé en 1998, cet accord n'est pas encore entré en vigueur. En effet, le Parlement européen et deux Etats membres (le Royaume-Uni et la France) sur Quinze n'ont pas encore ratifié cet accord. Pour les nouveaux Etats membres, la ratification ne nécessite qu'un protocole.
Le Parlement européen, le Royaume-Uni et la France (mais pas l'Allemagne) ont pendant longtemps bloqué la ratification de cet accord pour dénoncer l'absence de progrès du Turkménistan en matière de démocratie et de respect des droits de l'homme.
Il faut savoir, en effet, que le Turkménistan a pendant longtemps été considéré comme une sorte de « Corée du Nord » en Asie centrale.
Après son indépendance en 1991, le Président Nyazov, qui se faisait appeler « Turkmenbachi » (le « père des Turkmènes »), a instauré dans ce pays un régime autoritaire et autarcique.
Développant sur la scène intérieure un culte de la personnalité omniprésent ne laissant place à aucune opposition, le Président Nyazov a multiplié les décisions autoritaires, conduites au nom du « Ruhnama » (livre officiel écrit par le Président) et confortées par un contrôle étroit de la population : suppression de l'enseignement supérieur, fermeture des hôpitaux, etc.
Cette dérive autoritaire du régime, fortement critiquée par les organisations non gouvernementales, avait amené la France à réduire le niveau de ses relations avec le Turkménistan.
Depuis la mort du Président Nyazov en 2006, son successeur, le Président Berdymouhammedov, élu en 2007 avec 97 % des voix, s'inscrit dans les pas de son prédécesseur mais montre toutefois des velléités de réformes.
Rompant avec la politique d'isolement, il accompagne l'ouverture de son pays par quelques réformes institutionnelles, comme l'illustre la réforme de la Constitution en 2008, l'adoption d'une nouvelle loi électorale, l'autorisation d'un deuxième parti politique, la réforme du système pénal et pénitentiaire (la peine de mort est abolie) ou encore l'autorisation des activités de l'église catholique.
La situation au regard de la démocratie et des droits de l'homme demeure toutefois très dégradée.
Il n'existe pas réellement d'opposition, le contrôle de la population est très étroit et le culte de la personnalité demeure très important. Les libertés d'expression, de manifestation et d'association sont inexistantes. Enfin, les opposants font l'objet de détentions arbitraires.
On note toutefois certains progrès. Ainsi, s'il n'existe pas de médias indépendants, les habitants ont accès, par les paraboles ou l'Internet, aux médias occidentaux ou turcs. En revanche, les réseaux sociaux font l'objet d'une censure du régime. Par ailleurs, il s'agit d'un régime laïc, où la religion n'intervient pas dans l'espace public.
Enfin, le régime se montre sensible aux pressions des pays européens.
Ainsi, le présent projet de loi avait été déposé une première fois en novembre 2009 à l'Assemblée nationale. Il avait fait l'objet d'un rapport de notre collègue député M. Gaëtan Gorce, qui l'avait présenté devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, en avril 2010.