Avec Alain Gournac, Joël Guerriau et Jean-Claude Requier, nous nous sommes rendus à Tripoli du 11 au 13 décembre 2012.
Nous avons pu, en un temps très limité, rencontrer les principaux responsables libyens, à l'exception du Premier ministre M. Ali Zeidan et du Ministre de la Coopération Internationale M. Mohamed Abdelaziz, qui étaient en déplacement au Tchad, en Algérie et au Niger. De plus, le ministre des affaires étrangères n'avait pas encore été investi à l'époque où nous étions à Tripoli. C'est à présent M. Mohamed Abdelaziz qui a été nommé récemment et que nous avons reçu le 12 février dernier devant notre commission.
En revanche, nous avons rencontré le ministre de la défense M. Mohamed al-Barghati et nous avons eu des entretiens très approfondis avec le Colonel Idriss el Maadi, directeur des affaires politiques et militaires ainsi qu'avec le chef d'état major adjoint, le général Mansour Abu Hajar.
Du point de vue parlementaire, nous avons rencontré les présidents des commissions des Affaires Etrangères, de la Défense et de l'Intérieur du Congrès général national (CGN).
De plus, nous avons pu échanger avec le président du CGN, M. Mohamed Magarief, qui est, dans cette période transitoire, le chef d'Etat, et avec son vice-président M. Saleh Makhzoum.
Sur les aspects coopération, sécurité et développement, nous avons vu les représentants de l'ONU et de l'Union européenne ainsi que les représentants de la communauté économique française implantés en Libye.
Tous ces entretiens ont naturellement été complétés par les réunions de travail que nous avons tenues avec l'ambassadeur et les chefs de service de l'ambassade que je tiens à remercier chaleureusement pour leur accueil et leur aide précieuse.
Nous devons également souligner la qualité des entretiens à tous les niveaux. Nous y avons recueilli les témoignages de reconnaissance vis-à-vis de la France mais nous avons également apprécié la transparence et la franchise des analyses face à la situation. Il existe, chez les dirigeants libyens, une claire conscience des difficultés et de l'énormité de la tâche à venir. Ils sont pleinement conscients de la nécessité d'une aide et d'une assistance internationales mais ils l'attendent dans le plein respect de leur souveraineté et de leur liberté retrouvée. Ils ne veulent pas d'une solution plaquée sur une réalité qu'ils connaissent parfaitement et, personnellement, je crois que c'est une excellente chose si l'on regarde les erreurs qui ont été faites, au départ, en Irak ou en Afghanistan et dont les conséquences sont graves. Cette constatation doit servir de ligne de conduite à notre action et à nos relations avec ce pays.
La Libye fait face à des défis considérables qui se trouvent compliqués par les récents évènements au Mali, en Egypte et en Tunisie.
Après 42 ans de dictature, tout est à faire en Libye, tout est à reconstruire et tout est à organiser.
D'une manière générale, la dictature de Kadhafi a été une longue période de glaciation : pas d'investissements dans les infrastructures, développement d'une administration hypertrophiée et inefficace qui permettait d'attribuer des emplois et des revenus à des affidés, méfiance à l'égard de l'armée en dehors d'une garde prétorienne constituée en partie de mercenaires, régime répressif et policier, mise en place d'un assistanat généralisé que permettait la manne pétrolière etc...
Les évènements et les destructions dus aux combats ont accru cette désorganisation générale.
Un pays ruiné faute d'une gestion minimale sort du chaos de la révolution. Que ce soit dans le domaine des ressources pétrolières, de l'eau, de l'électricité, des facilités portuaires et aéroportuaires, du système de santé, de la justice et de l'État de droit en général, toutes les réformes doivent être menées de front et toutes sont prioritaires.
L'un des principaux sentiments qui ressort de nos entretiens est que les responsables libyens sont confrontés à un engorgement des décisions du fait même de l'urgence à laquelle ils sont confrontés et de l'inefficacité de l'administration. Leur principale difficulté est de s'en extraire pour arriver à décider.
Au moment où le pays vient de fêter l'anniversaire de la Révolution du 17 février, les défis demeurent les mêmes et leur prise en charge a relativement peu évolué depuis un an, créant ainsi une situation qui risque, peu à peu, de devenir critique.
Il ne faut pas néanmoins oublier le chemin remarquable qui a été parcouru : une révolution réussie qui n'a pas basculé dans la guerre civile tribale ou religieuse, des élections dont on a salué le caractère transparent ; il n'y a pas eu d'éclatement du pays en dépit de la tendance irrédentiste de l'Est libyen, il n'y a aucune possibilité de restauration de l'ordre ancien et l'esprit de revanche, s'il existe, ne prédomine pas.
L'un des atouts de la Libye réside également dans la détermination de ses dirigeants. Je voudrais citer le président Magarief qui, lors de notre entrevue, nous a dit de la réussite de l'entreprise actuelle : « c'est notre devoir envers le peuple, et quelque chose que nous devons au monde ; notre échec serait notre honte, et une déception pour le monde. J'ai confiance en notre succès, qui sera source de fierté pour les amis qui nous ont aidés ».
Les défis de la Libye sont connus : ce sont ceux de la réconciliation nationale, du désarmement des milices, du contrôle des frontières, de la reconstruction d'une armée et d'une force de police, et de la remise en route des circuits économiques et financiers. Je voudrais centrer mon propos sur les deux principaux qui, à dire vrai, les recouvrent tous : la sécurité et l'Etat de droit.
Le principal défi est bien évidemment sécuritaire.
La sécurité est bien sûr liée à la prolifération des armes en tout genre qu'a amené la révolution. Selon le directeur politique du ministère de la défense, le colonel Idriss el Maadi, c'est la première préoccupation du gouvernement et du ministère.
Le pillage des arsenaux a conduit à une très large diffusion dans la population d'armement de toute nature, principalement en armes légères. Cela alimente le trafic des armes dans toute la région et l'on en a vu les conséquences au Nord Mali.
Paradoxalement, cette prolifération en Libye est un facteur de stabilité des forces en présence, pour lesquelles joue un certain équilibre de la terreur, qui les dissuade de s'affronter les unes les autres.
En dehors des forces fidèles au colonel Kadhafi et de ses troupes mercenaires, l'armée libyenne, dont le dictateur se méfiait, n'était plus que l'ombre d'une armée depuis qu'en 1988 avaient été supprimées toutes les zones militaires. La révolution n'a fait qu'accentuer la déliquescence complète de l'outil militaire.
De ce fait, ce sont les katibas des révolutionnaires qui assurent pour l'essentiel la sécurité sur une base locale. Il y a eu en quelque sorte une miliciarisation et une décentralisation de la sécurité.
L'enjeu, après l'élimination des katibas qui se sont lancés dans la délinquance et le trafic, c'est d'intégrer progressivement ces brigades révolutionnaires au sein des forces armées et de la police.
Le désarmement des milices est en cours mais il se heurte à la méfiance de celles-ci les unes vis-à-vis des autres ainsi qu'à leurs craintes de se voir voler leur révolution. Faute d'une intégration complète, le pays vit dans une situation où les brigades ayant fait allégeance au gouvernement s'opposent à celles qui ont fait le choix de la marginalisation et de la délinquance.
Ce processus difficile et complexe devrait aboutir à terme à la reconstitution d'une armée nationale. La France peut et doit jouer un rôle important dans l'émergence des nouvelles forces armées tant au niveau de la formation que de l'équipement. La reconstitution de forces armées est un enjeu fondamental notamment si nous songeons que la Libye est l'Etat fragile de la zone et que les évènements au Mali ne manqueront pas d'avoir une incidence en retour sur sa sécurité. C'est la raison pour laquelle la question des gardes frontières sur laquelle je vais revenir est cruciale.
De notre point de vue français, trois menaces doivent être prises en compte :
- la première est le terrorisme qui persiste notamment à l'Est et à Benghazi où existe un foyer d'Al-Qaïda composé de personnes dont certaines sont de retour du Waziristân et qui constitue une zone de recrutement et d'entraînement, en particulier pour la Syrie mais qui pourrait menacer notre pays demain compte tenu de l'opération au Mali. De plus, AQMI est présent dans le Sud où ses combattants étaient déjà actifs dans l'achat d'armes, dans l'escorte de convois de drogue et où ils avaient repéré des zones dans l'éventualité d'un repli du Nord Mali. L'opération SERVAL qui est en cours va nécessairement avoir un effet de vases communicants vers la Libye, qui est l'Etat le plus exposé et le plus fragile de la zone. Les risques de déstabilisation sont importants et, du reste, durant nos entretiens, les autorités libyennes nous avaient clairement dit qu'elles souhaitaient une solution politique au Mali car elles craignaient les conséquences d'une guerre. M. Abdul Rahman Swehli, président de la commission de la défense du CGN, a rappelé que la région était tumultueuse, ajoutant que, je le cite, « nous connaissons le prix de la guerre ; Il est facile d'en déclencher une, mais très difficile de la finir et d'en effacer les séquelles ». Lors de son audition devant notre commission, le ministre des affaires étrangères libyen nous a néanmoins assuré du soutien des autorités de son pays. L'assassinat de l'Ambassadeur américain à Benghazi le 11 septembre dernier n'a pas suffi pour déclencher la réaction de sursaut national qu'on aurait pu espérer. A cela s'ajoutent les incidents ethniques et tribaux qui fragilisent la sécurité régionale du pays, en particulier au sud-est entre Zwaï et Toubous, au sud-ouest entre Arabes et Touaregs.
- la seconde menace concerne un éventuel retour des Kadhafistes qui contrôlent encore à l'intérieur de la Libye quelques zones et qui se sont réfugiés dans les pays voisins, en particulier en Égypte où une communauté nombreuse d'exilés dispose de gros moyens financiers. Au Niger, le fils du colonel Kadhafi, Saadi, tente d'utiliser la déstabilisation du Sahel et en Algérie sa fille est particulièrement active. Comme je l'ai dit en introduction, et sans minimiser leur pouvoir, je crois qu'il s'agit plus d'une nuisance que d'une menace, sauf bien sûr si la situation devait verser dans le chaos, ce qui n'est pas le cas.
- la troisième menace est bien évidemment celle de l'ensemble des trafics de drogue, armes, d'êtres humains qui constituent une préoccupation majeure. Le régime précédent luttait, il est vrai d'une manière ambigüe, contre l'immigration clandestine. La drogue, les armes, l'immigration clandestine menacent directement l'Europe.
Cette énumération des menaces montre à l'évidence que l'urgence à laquelle fait face la Libye est celle de la sécurité de ses frontières par lesquelles transitent tous les trafics : drogue, armes, produits subventionnés, traite des êtres humains.... C'est l'un des thèmes qui a été le plus constamment cité dans nos entretiens. La question des frontières est du reste l'une des priorités de la mission d'appui des Nations unies pour la Libye (MANUL) et de l'Union européenne.
La sécurisation des frontières pose un premier problème, celui de l'identification de l'autorité qui en a la charge : Armée ? Etat-Major ? Police ? Garde-frontières ? Cette dispersion de l'autorité est d'ailleurs l'un des problèmes principaux de l'efficacité des institutions. Lors de notre visite, le ministre de la défense nous a indiqué que la décision venait d'être prise de confier l'ensemble de la responsabilité des garde-frontières au chef d'état-major des armées.
J'avais alors souligné l'urgence de traiter cette question dans la perspective d'une intervention au Mali qui verrait, par effet de percolation, les terroristes remonter vers le Niger puis la Libye.
L'UE devrait apporter son soutien dans ce domaine par le déploiement d'une mission PESD qui pourrait compter entre une soixantaine et une centaine de membres, mais ceci n'interviendrait pas avant juin ou juillet 2013. Cette mission s'étendrait sur 2 à 5 ans.
La vision stratégique globale de l'UE est de ramener la Libye vers l'espace euro-méditerranéen. Les négociations commencées du temps de Kadhafi pour un accord-cadre entre la Libye et l'UE pourraient reprendre prochainement. L'Europe jouit ici d'un fort capital de sympathie, et constitue l'horizon désiré par les Libyens. Cela nous a été fortement rappelé le 12 février par le ministre M. Mohamed Emhemed Abdelaziz.
Le Colonel Rio, colonel de gendarmerie, expert militaire français, qui malheureusement n'a pas été remplacé, nous a rappelé que la sécurité en Libye constituait également un enjeu de premier ordre pour l'espace européen. Le pays constitue une base potentielle aux portes de l'Europe pour le terrorisme. Le crime organisé pourrait également utiliser la Libye comme tremplin vers l'Europe. Si on n'y prend garde, la Libye pourrait prendre le relais des Balkans comme source d'approvisionnement de la pègre en armements de tous calibres. Mais pour le moment, elle n'a aucun moyen d'identifier les flux qui transitent par son territoire, faute de surveillance aux frontières. Si on l'aide à se stabiliser, la Libye peut devenir un élément stabilisateur pour toute la région et la frontière Sud de l'Europe.
Pour conclure sur ce point, il est évident que la question des frontières est un enjeu majeur de sécurité, mais également une opportunité en termes de marché pour nos entreprises. L'immensité des zones incontrôlées, les milliers de kilomètres de frontières, ne peuvent être contrôlés par les forces d'une armée encore décomposée. L'utilisation systématique des outils de contrôle technologique, couplée avec des moyens aéroportés et des forces spéciales, est indispensable. Un travail important doit également être entrepris en matière de mise en place et d'organisation des services de renseignement. La France pourrait aussi apporter un soutien dans ce domaine. Nous avons d'ailleurs fortement insisté pour que le savoir-faire de nos entreprises en la matière puisse être présenté et que les responsables libyens puissent aller voir les réalisations qui ont été faites dans les pays voisins par nos entreprises.
Dans ce contexte, la reconstitution de l'armée libyenne est une entreprise prioritaire. Elle est difficile car cette armée, déjà sclérosée par la méfiance du régime du colonel Kadhafi, a fini d'être détruite par la révolution. Elle est compliquée, car les cadres existants sont contestés par les révolutionnaires. Elle suppose un renouvellement quasi complet de ses équipements et un effort fondamental dans le domaine de la formation.
Notre coopération est formalisée par une déclaration d'intention signée le 25 février 2012 à Tripoli par les ministres de la défense et instaurant la mise en place d'une commission mixte. Celle-ci s'est déjà réunie à trois reprises, la dernière fois à Tripoli du 27 au 29 novembre, peu avant notre déplacement.
A court ou moyen termes, les perspectives de contrats de défense et de sécurité avec la Libye concernent principalement les secteurs aéronautique, naval, ainsi que ceux de la surveillance et du contrôle des frontières.
- en ce qui concerne les forces aériennes et celles de défense aérienne, sous commandements séparés en Libye, il s'agit de reconstruire l'ensemble des moyens capacitaires, anéantis par une trentaine d'années de négligence et les frappes de l'OTAN durant la révolution ; nous avons plusieurs pistes en cours qui vont de la remise en état des Mirage de l'armée de l'air, à la réfection des bases aériennes en passant par la vente d'appareils et, sans compter avec la mise en place de la future armée de l'air libyenne ;
- s'agissant des forces navales, leur reconstruction doit s'inscrire dans une vision globale de protection des frontières, centrée sur la surveillance, la défense de ses approches maritimes, la lutte contre l'immigration clandestine, les trafics illicites et la police des pêches ; je vous rappelle que nous avons eu une importante action en matière de déminage et que de très nombreuses opportunités de coopération et d'équipement se profilent, en particulier en matière de patrouilleurs.
- le volet des forces terrestres et des garde-frontières constitue, comme je l'ai indiqué, une préoccupation majeure des responsables politiques et militaires dans la perspective de la sécurisation des frontières.
Nos interlocuteurs ont rappelé que du temps de Kadhafi, à quelques exceptions près (comme nos Mirage pour l'armée de l'air), l'équipement des forces libyennes avait été demandé aux pays de l'Est de l'ancien bloc communiste. Ces équipements sont aujourd'hui en très mauvais état ou ont été détruits. Il convient de les remplacer. De même, pratiquement toutes les casernes ont été détruites ou endommagées. L'armée, notamment l'armée de terre, manque d'armes et de formation.
A plusieurs reprises, nos interlocuteurs ont regretté le manque de soutien de la communauté internationale pour permettre à l'armée de se reconstruire et de se rééquiper. Je vous rappelle que la Libye est toujours sous embargo pour ce qui concerne les armes et cela explique que jusqu'à présent, seuls de petits contrats aient été passés.
La France a bien évidemment une carte importante à jouer. Elle bénéficie d'un a priori très favorable du fait de son rôle dans la révolution, le savoir-faire de nos militaires comme de nos industriels est reconnu, mais cette situation pourrait péricliter si nous n'y prenons pas garde, et si nous tardons !
De ce point de vue, nous avons noté quatre points importants :
- les responsables libyens souhaitent que nos entreprises arrivent avec des propositions groupées, sous forme de consortium, et non pas en ordre dispersé, voire en concurrence les unes avec les autres ;
- il est particulièrement nécessaire que nous puissions mettre des experts militaires de haut niveau à disposition des forces armées et des autorités du ministère de la défense. C'est un impératif qu'ont bien compris nos concurrents, en particulier le Royaume-Uni. Or, nous faisons tout le contraire et notre expert gendarme auprès de l'Union européenne est parti. Il n'est pas remplacé à ce jour. Il faut une politique d'ampleur dans ce domaine. Comme en Bosnie, je crains que nous ne refassions les mêmes erreurs !!!
- la Libye dispose, avec le pétrole, de revenus importants, mais il me semble qu'il ne faut pas s'arrêter à ce constat et considérer l'immensité des besoins de la reconstruction. Il nous faut donc penser nos offres en fonction de cette réalité et proposer des solutions technologiquement adaptées aux besoins. Soyons aussi conscients que les Libyens paraissent culturellement fermés à une solution d'encadrement de leur armée par des experts sur le modèle, par exemple, des forces des Emirats arabes unis. Il est clair que, si cela est avéré, l'hypothèse d'une armée à haute technologie, qui suppose l'intervention d'experts occidentaux, n'est pas l'objectif immédiat.
- l'obstacle de la langue doit être dépassé, en particulier en organisant une formation linguistique au français et des invitations en France.
Pour conclure sur ce point, il me paraît utile de bien faire prendre conscience que le rétablissement de la sécurité est la première attente de la population et qu'elle est donc un enjeu majeur de la transition politique et de la légitimité des autorités politiques. Nous devons accompagner les autorités libyennes. Il est évident que la stabilisation de la Libye est de notre intérêt, comme de celui de l'Europe toute entière.
Je constate que ces analyses sont totalement partagées par la communauté internationale et qu'elles sont sérieusement prises en compte par le gouvernement libyen. Le communiqué de Paris, du 12 février dernier, publié à l'issue de la Conférence ministérielle internationale de soutien à la Libye dans les domaines de la sécurité, de la justice et de l'état de droit, en témoigne.
Le second grand défi de la Libye, c'est la mise en place des institutions du futur État.
Le président de la commission de la sécurité intérieure de l'assemblée libyenne, M. Saif al-Nasr, nous disait qu'il était difficile de passer de la phase de la révolution à celle de la construction de l'Etat et que, dans ce domaine, ils attendaient l'aide de la France.
Le colonel Kadhafi a pris le pouvoir en 1969, date que le président Magarief qualifie de « malédiction », et dès 1973, il institue une forme de démocratie directe avec des comités populaires, puis en 1977, la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste ou État des masses. Ces différentes initiatives n'avaient en fait comme objet que de casser les structures d'un État classique au profit du seul pouvoir du Guide et de l'établissement d'une dictature.
C'est cet héritage politique que les responsables libyens ont aujourd'hui à gérer dans une situation chaotique post révolutionnaire. La Libye est en train de rechercher son nouveau modèle de gouvernance.
Il faut d'emblée souligner le grand succès des élections du 7 juillet 2012 qui ont été portées par l'ensemble de la population et vécues comme un moment historique et une grande fête. Elle a été précédée d'une forte mobilisation pour l'inscription sur les listes électorales qui s'est traduite par une participation de plus de 60 % aux élections, le tout dans d'excellentes conditions de sécurité.
Le résultat, en dépit d'un mode de scrutin complexe qui mélangeait un scrutin proportionnel et un scrutin uninominal à un tour, a conduit à un vote assez massif en faveur de l'Alliance des forces nationales modérées, modernes et tournées vers l'avenir, qui a remporté 39 sièges sur 200 élus, et un échec relatif, mais surprenant, des partis islamistes liés aux Frères musulmans qui n'ont obtenu que 17 sièges. Cette appréciation doit néanmoins être nuancée par l'importance du nombre des indépendants - qui sont près de 120 - dont les votes pourront varier en constituant des majorités de circonstance. La difficulté va donc être de trouver une majorité stable. Le risque de dilution, de versatilité suivant le thème du débat et de fragmentation est un défi que le gouvernement libyen doit relever.
En effet, sept mois après ces élections, la situation en Libye est celle d'institutions fragiles qui ont du mal à se mettre en place.
Depuis son élection le 14 octobre 2012 par le Congrès général national (CGN) et l'annonce de la formation de son gouvernement le 30 octobre, le premier ministre, M. Ali Zeidan, qui a la réputation d'être un rassembleur dans l'intérêt national, peine à dépasser sa fonction de plus petit dénominateur commun entre les forces politiques qui s'opposent au Congrès général national.
Le gouvernement de coalition a eu beaucoup de difficultés à se former, huit de ses ministres n'avaient pas été approuvés par le comité d'éthique dont, en particulier des ministères clés comme celui des affaires étrangères ou de la défense. La nomination du ministre des affaires étrangères date du début de cette année.
Ces difficultés à constituer et diriger un gouvernement instable rend plus difficiles encore les réponses urgentes que le gouvernement doit apporter à une population qui exige des améliorations dans le domaine de la sécurité et dans le domaine social.
C'est l'une des principales constatations que nous avons pu faire lors de notre mission : alors que la situation requiert des décisions rapides pour résoudre les difficultés, les autorités libyennes, qui ont - me semble-t-il - une claire vision de la situation, ont une grande difficulté à prendre des décisions.
Il faut absolument éviter que le mécontentement social se traduise par des mouvements et des affrontements comme ceux que connaissent des pays comme l'Égypte ou la Tunisie qui seraient beaucoup plus difficiles à maîtriser compte tenu de la dispersion des armes au sein de la population, des vieilles rivalités tribales ou régionales comme celles qui divisent la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan.
Le Parlement de transition, dont le rôle principal est d'établir une nouvelle constitution, connaît d'importantes difficultés de mise en place comme a pu le constater la délégation du Sénat et de l'Assemblée nationale qui s'est rendue du 5 au 8 novembre 2012 en Libye et à laquelle a participé notre collègue Michelle Demessine. Cette mission avait bien identifié les priorités que sont l'initiation à la pratique parlementaire, la logistique et l'appui à l'élaboration de la constitution.
Le Congrès rencontre des difficultés pour la mise en place de son règlement intérieur, du fonctionnement des commissions, de la gestion de l'agenda parlementaire et du rôle des partis politiques. Ces difficultés n'ont rien d'étonnant pour un pays qui a connu 42 ans de dictature. Mais elle entraîne un certain nombre de risques dans le contexte que connaît la Libye qui se voit confrontée à la nécessité urgente de rétablir un État de droit et, pour ce faire, d'adopter progressivement mais rapidement un corpus législatif important et moderne. Nous avons fait part de la disponibilité du Sénat pour établir une coopération avec le congrès. Il faudra néanmoins coordonner cette aide avec le programme européen qui est en cours. Michelle Demessine nous en dira peut-être plus sur ce point.
Parallèlement, la mise en place de la future constitution traîne. Comme nous l'avait indiqué le président Magarief, un amendement adopté par le Conseil National de Transition à la fin de son existence avait prévu que le comité de 60 experts qui seraient chargés de la rédaction du projet de constitution pourraient être élus et non nommés. Or, comme nous le soulignait le président du Conseil National de Transition, prédécesseur du Congrès, cette commission doit être composée d'experts et non de politiques. Elle devrait par ailleurs respecter la représentation des trois grandes régions libyennes : la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan. Alors qu'il y a une grande urgence à ce que les travaux constitutionnels avancent, cette question n'a pas encore été tranchée. Cette situation préoccupante risque de prolonger de plusieurs mois le calendrier de la transition. Or, vous l'avez compris, ce dont la Libye a besoin, c'est de stabilité institutionnelle pour pouvoir se consacrer sur une base saine à la reconstruction et à la réconciliation.
Mais, maintenant qu'il est élu, le Congrès est la seule émanation du suffrage universel en Libye. Quels que soient ses défauts, il reste un acteur incontournable de la période transitoire.
Avant de conclure, je souhaite insister sur les répercussions de notre intervention au Mali.
Lors de nos entretiens, en décembre dernier, nos interlocuteurs ont tous exprimé, avec plus ou moins de force, leurs craintes d'une opération militaire. Tous ont souligné les risques de contagion et d'effet dominos de l'intervention et tous ont plaidé pour une solution politique.
Le ministre de la défense nous avait clairement fait part de son inquiétude et de sa préférence pour qu'une opération militaire n'ait pas lieu.
Aujourd'hui, alors que l'opération est en cours, nous voyons très bien que l'objectif est d'encercler les terroristes d'AQMI dans l'Adrar des Ifoghas et de les éliminer. C'est une stratégie qui prendra du temps et qui s'inscrit dans un territoire immense et accidenté dont il est relativement aisé de s'échapper. Elle suppose aussi la coopération étroite des pays limitrophes. Or nous savons que AQMI avait commencé à reconnaître des zones de repli dans le sud libyen. La Libye est en effet l'Etat le plus fragile et qui aura le plus de difficultés à sécuriser ses frontières et les zones de repli éventuel du terrorisme. Ces constatations confirment que la sécurisation des frontières de la Libye et la stabilisation de ce pays sont des priorités absolues.
Je vous remercie et je passe immédiatement la parole à nos collègues Jean-Claude Requier et Alain Gournac qui faisaient partie de la mission.