La situation économique de la Libye est l'un des éléments fondamentaux duquel dépendent les relations que la France et nos entreprises pourront avoir avec ce pays. Ce n'était naturellement pas l'objet principal de la mission de la commission, mais nous ne pouvons faire abstraction de cet environnement sachant que là comme ailleurs, la stabilité et la paix dépendent pour l'essentiel du développement.
En préambule, il faut rappeler qu'après la révolution, les nouvelles autorités libyennes avaient décidé de réexaminer l'ensemble des contrats passés avec l'ancien régime sous l'angle des critères économiques, de la lutte contre la corruption et de la transparence. Globalement cela représente plus de 1 500 contrats majeurs dont une partie concerne des entreprises françaises. C'est toute la question de la liquidation des créances et de la poursuite des contrats en cours qui se pose. Il est évident qu'une solution apportée à ces problèmes serait de nature à persuader nos entreprises de réinvestir ce marché.
Par ailleurs, certaines de nos entreprises, comme celles d'autres pays, ont connu des pertes et des destructions du fait de la guerre. Elles demandent des compensations.
A ces éléments factuels qui permettraient d'apurer le passé, il faut ajouter deux considérations :
D'une part, l'environnement financier des affaires est encore très dégradé et peu de banques françaises acceptent de travailler sur la Libye. En novembre dernier, la COFACE a classé la Libye dans la catégorie des pays à risque très élevé. Nous ne nous sommes pas penchés sur les aspects juridiques et notamment la sécurité des contrats et des investissements, sur la lutte contre la corruption, mais là aussi, il y a sans doute un très important travail législatif et réglementaire à effectuer.
D'autre part, la Libye est encore sous embargo. Les projets de contrats actuellement en cours de négociation finale doivent tous être soumis à l'aval du comité des sanctions des Nations unies, une fois les autorisations d'exportation accordées par la commission interministérielle d'exportation des matériels de guerre. Il est évident que très rapidement, plusieurs gros prospects envisagés nécessiteront une levée de cet embargo.
Quelle est la situation économique ? Je crois que nous pouvons dire que, comme dans pratiquement tous les domaines, ainsi que le faisait remarquer le président Carrère, les fondamentaux macro-économiques sont solides mais l'économie stagne du fait de la lenteur ou de l'absence de décisions.
Comme avant la révolution, les hydrocarbures représentent plus de 96 % des revenus de l'Etat. Grâce aux efforts conjoints des compagnies étrangères et libyennes, la production pétrolière est remontée à 1,6 M b/j dès l'été 2012 et les exportations de gaz naturel vers l'Italie ont repris. Toutefois, des mouvements sociaux et la vétusté des infrastructures pétrolières rendent la Libye vulnérable à des baisses ponctuelles de production. Ainsi, depuis fin décembre 2012, la production est en baisse à moins d'1,4 M b/j.
Mono-économie, la Libye ne manque cependant pas de moyens. La Banque centrale de Libye a été « délistée » et a ainsi pu reprendre le contrôle d'environ 100 milliards de dollars d'actifs liquides. Les avoirs des fonds souverains libyens, environ 60 Mds $ encore partiellement gelés en attendant leur réorganisation, n'ont pas été entamés par la Révolution.
Le budget 2012 (41,3 Mds EUR) a fait le choix, politiquement sage et avisé, d'une augmentation très sensible de la part des dépenses courantes (67,1 % des dépenses, contre 49 % en 2010) par rapport à celles d'investissement, traduisant un choix de redistribution immédiate des richesses à la population dans le but d'acheter la paix sociale. Cela s'est traduit par la hausse des salaires, des embauches, et des subventions.
Il faudra naturellement prendre garde à un dérapage dans le sens d'un accroissement de la part des dépenses courantes pour satisfaire les revendications.
En effet, une des conclusions de notre mission, c'est que la paix sociale dépend, au-delà de ces mesures immédiates, du retour de la sécurité et à plus long terme de la reconstruction du pays qui fournira infrastructures et emplois. Ce qui suppose de relancer les investissements et surtout de décider de le faire.
Depuis plusieurs mois, l'interrogation principale des partenaires économiques de la Libye concerne les conditions de reprise des projets d'infrastructures, suspendus depuis la Révolution, le lancement éventuel de nouveaux projets de développement ainsi que le redémarrage de l'exploration pétrolière. On estime sur 10 ans à 200 milliards de dollars le montant des infrastructures à construire. Il me semble que la France doit pouvoir en prendre toute sa part.
Mais avant d'aborder nos relations bilatérales, il faut que nous soyons bien conscients que le fait d'avoir été le fer de lance de l'intervention militaire, et donc de la libération du peuple libyen, s'il nous apporte la reconnaissance sincère des autorités, ne signifie en rien que nous aurions un passe droit pour l'obtention des marchés à venir.
Nos interlocuteurs nous l'ont dit de manière très explicite : ce n'est qu'à offre égale que les entreprises françaises pourront avoir une priorité due à notre « prime » politique. Or soyons bien conscient que la concurrence sera rude, en particulier avec des pays comme la Turquie, l'Italie, l'Allemagne ou le Royaume-Uni qui placent leurs pions et leurs experts. Pour l'instant, les pays qui ont pris position contre la révolution, comme la Chine ou la Russie, sont déclassés, ce qui est logique. Mais ne nous faisons pas d'illusion, ils reviendront dans des délais courts.