Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 27 février 2013 à 14h30
Amnistie à l'occasion de mouvements sociaux — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les élus de la République que nous sommes ne peuvent être indifférents à la détresse de ceux qui perdent leur emploi, de ceux qui craignent de le perdre ou encore de ceux qui vivent dans l’incertitude quotidienne du lendemain. Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas, oublier l’angoisse qui s’abat sur ces familles. La nouvelle hausse du chômage ne fait qu’accroître leur inquiétude. Nous avons tous en mémoire les drames récents qui révèlent le profond malaise ressenti par des milliers de nos concitoyens.

Cette souffrance peut conduire certains d’entre eux à commettre des actes répréhensibles, passibles d’une sanction pénale ou justifiant tout simplement l’application de la loi. Bien sûr, mes chers collègues, nous devons aussi entendre cette détresse. C’est là que l’amnistie prend son véritable sens.

Avez-vous oublié, monsieur Charon, l’amnistie dont a bénéficié M. Chirac en 2002 ? Et les précédentes ?

Les membres de mon groupe ne sont pas opposés au principe même de l’amnistie, synonyme de pardon et surtout de générosité. L’histoire a montré qu’elle pouvait être utile pour cicatriser et panser les plaies, pour apaiser les tensions sociales entre les citoyens, autour de la République.

Si elle a marqué notre histoire au lendemain de périodes douloureuses, conflictuelles et parfois violentes, qui ont clivé ou séparé les Français, l’amnistie, forme de droit à l’oubli, est intervenue plus récemment, sous la Ve République, après chaque élection présidentielle, hormis les deux dernières.

C’est la raison pour laquelle il nous semble important que le présent texte s’inscrive dans cette continuité et maintienne la date de l’élection présidentielle comme limite au bénéfice de l’amnistie.

Depuis 2002, les deux derniers présidents de la République n’ont pas souhaité poursuivre l’usage du recours à l’amnistie. Il faut reconnaître que la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans pose la question de l’opportunité d’une telle loi après chaque élection présidentielle.

Je le répète, la majorité du groupe RDSE n’est pas défavorable à l’idée même du pardon républicain, mais nous devons nous interroger sur ses limites, et donc sur le champ des infractions couvert par l’amnistie.

Autrement dit, quelles infractions la République peut-elle pardonner ? Je dirais même, quelles infractions la République peut-elle pardonner aujourd’hui ? À cette question, nous pensons que les réponses changent et fluctuent en fonction des époques et des évolutions de la société française.

Sur ce point, nous avons quelques divergences avec nos collègues du groupe CRC. J’ai pu m’en entretenir en toute franchise avec sa présidente, Mme Éliane Assassi, dont je respecte les convictions sincères. Je salue sa volonté d’aboutir à un texte de consensus autour duquel se retrouverait la majorité sénatoriale.

Il n’est pas possible, mes chers collègues, de tout amnistier aveuglément.

Le pardon républicain ne peut pas concerner des agissements contraires à l’ordre républicain. Pour nous, héritiers directs de Georges Clemenceau, il est des infractions qui ne peuvent en aucun cas figurer dans une loi d’amnistie. Je pense bien sûr à toutes les violences physiques, qu’elles visent des personnes dépositaires de l’autorité publique, ou tout simplement d’autres citoyens qui défendent d’autres convictions, quelles qu’elles soient.

Pour nous, rien ne peut ni ne pourra justifier des actes de violence ! Nous ne reconnaissons que celle de l’État, détenteur du « monopole de la violence physique légitime », pour reprendre l’expression de Max Weber. Exclure de l’amnistie toutes les violences et limiter l’amnistie aux atteintes aux biens nous paraît une condition indispensable à l’adoption d’un tel texte.

Cette condition est indispensable, mais pas suffisante, car d’autres infractions, de par le quantum de la peine, doivent, elles aussi, être exclues du champ d’application de la loi.

Chères Annie David et Éliane Assassi, votre texte vise les infractions passibles de moins de dix ans d’emprisonnement. Ce n’est pas rien !

S’il est possible d’amnistier certains débordements, nous ne croyons pas devoir le faire pour des peines aussi lourdes. C’est la raison pour laquelle nous proposons de limiter l’amnistie aux infractions passibles d’une peine d’emprisonnement de cinq ans et moins. Nos collègues socialistes, qui souhaitaient initialement la circonscrire aux infractions passibles d’une peine d’emprisonnement de sept ans, se rallient désormais à notre avis.

Il s’agit pour nous de rappeler que l’action collective ne peut ni cautionner tous les délits ni justifier que l’on enfreigne systématiquement la loi.

Je l’ai souligné en commission : je m’étonne que l’exposé des motifs de la proposition de loi évoque des « sanctions injustes [...] qui ne vis[ent] qu’à éteindre toute velléité de contestation ». Affirmer que les magistrats rendent leurs jugements avec la volonté délibérée d’éteindre des mouvements sociaux n’est guère acceptable et n’est d’ailleurs pas vrai ! C’est remettre en cause l’impartialité de la justice et faire un procès d’intention aux magistrats, qui s’efforcent d’exercer leurs fonctions en toute conscience et dans les conditions difficiles que l’on connaît, n’est-ce pas, madame le garde des sceaux ? Et je ne doute pas que mon objection reçoive le soutien de quelques syndicats comme le Syndicat de la magistrature ou l’Union syndicale des magistrats.

Mes chères collègues, votre proposition de loi a une trop grande portée. Il est important de trouver un juste équilibre entre pardon républicain et refus de l’incivisme. À ce titre, nous approuvons les amendements déposés par Virginie Klès et nos collègues socialistes qui visent à restreindre le champ d’application de l’amnistie et à exclure certaines infractions particulièrement inexcusables dans la période actuelle.

Je pense notamment aux dégradations volontaires ayant pour conséquence de nuire au bon déroulement de travaux scientifiques. Il nous faut tous combattre avec force l’obscurantisme des faucheurs qui commettent des actes irresponsables et réduisent à néant des années de recherche.

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