Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 27 février 2013 à 14h30
Amnistie à l'occasion de mouvements sociaux — Article 1er

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en délimitant le champ de l’amnistie, l’article 1er constitue le cœur de cette proposition de loi. Il faut donc lui accorder, ainsi qu’aux amendements qui ont été déposés, une attention particulière.

Il y aurait beaucoup à dire. La discussion générale, les travaux du rapporteur et ceux de la commission des lois ont révélé les principaux enjeux. Je me consacrerai donc à deux points : les champs temporels et circonstanciels de l’amnistie.

Le champ temporel de l’amnistie est fixé, dans le texte, aux infractions commises avant le 6 mai 2012. J’émettrai une double réserve sur ce bornage.

Tout d’abord, le 6 mai 2012, s’il a constitué un espoir pour nombre de Français, ne marque pas, hélas, un arrêt des violences économiques qui sont le terreau des graves conflits sociaux que nous pouvons connaître.

Pour ce qui concerne la seule lutte sociale en outre-mer, largement oubliée dans ce débat, je voudrais rappeler les revendications liées à l’orpaillage clandestin qui secouent la Guyane depuis le début de l’année ou encore les violents heurts qui se sont déroulés la semaine dernière à la Réunion, plus précisément à Saint-Louis.

L’amendement qui aura pour objet de corriger ce bornage devra tenir compte des conflits sociaux sur l’ensemble du territoire. S’il faut fixer au plus près la date de fin d’amnistie, il faut savoir également étendre raisonnablement son point de départ.

Il est inutile de remonter au-delà de 2002, puisque la dernière loi d’amnistie votée couvre déjà, pour les faits concernés, les années antérieures. Mais où situer le curseur entre 2002 et 2013 ?

La date du 1er septembre 2008, à laquelle la crise économique aurait débuté, avait été proposée. Cette date retient la situation de cessation de paiement de plusieurs établissements bancaires américains, mais cette crise n’est que la seconde phase d’un mouvement engagé au second semestre de 2006 et révélé au début de l’année 2007, à savoir la crise dite des subprimes. Le 1er septembre 2008 ne semble donc pas constituer un point de départ pertinent. Du reste, l’amendement qui visait à retenir cette date a été rectifié en faveur du 1er janvier 2008.

Toutefois, la crise économique ne doit pas être conçue comme un point de rupture entre des conflits aujourd’hui amnistiés et des conflits antérieurs condamnables. Certes, les conflits en métropole sont exacerbés par la crise, mais la détresse économique en outre-mer dépasse largement les bornes de la crise financière.

Permettez-moi de rappeler quelques chiffres : entre 2002 et 2012, selon le Bureau international du travail, le taux de chômage a oscillé en France hexagonale entre 7 % et 10 % ; en Guyane, entre 21 % et 24%, avec un pic à 26 % en 2006 ; à la Réunion, entre 25 % et 30 %. De plus, 55 % des foyers fiscaux ultramarins disposent d’un revenu annuel inférieur à 9 400 euros contre moins de 25 % en métropole.

Retenir la date de 2008 et la crise bancaire revient à cacher, parce que lointaine, la détresse économique ancienne et réelle des populations d’outre-mer.

Il nous faut adopter un marqueur politique : je propose de remonter au 1er janvier 2007, année de conflits sociaux importants, chez EDF notamment, en outre-mer et en Guyane en particulier, conflits durement sanctionnés à la fois par la politique pénale du nouveau gouvernement mais aussi par les entreprises, trop heureuses des signaux envoyés par l’ancien locataire de l’Élysée.

À cet égard, s’il faut faire une distinction entre les départements d’outre-mer et la métropole, nous pouvons nous appuyer sur le principe constitutionnel d’adaptabilité posé par l’article 73 de la Constitution.

Le second champ de l’article 1er sur lequel je porterai mon attention concerne l’ensemble de circonstances dont doivent relever les infractions afin d’être amnistiées. La proposition de loi en retient une définition positive, qui permet de s’inscrire dans l’abandon des pratiques d’amnistie générale à l’issue d’une élection présidentielle.

La compréhension de cette définition reste cependant large pour les conflits sociaux et syndicaux : les personnes concernées peuvent être des salariés, des agents publics, des professionnels libéraux ou des exploitants agricoles. Pour ce qui est des mouvements collectifs, les causes de manifestations peuvent relever de l’éducation, du logement, de la santé, de l’environnement et du droit des migrants !

L’extension de cette définition permet d’étendre l’amnistie aux très durs conflits contre la vie chère qui surgissent en outre-mer. Depuis six ans aux Antilles et en Guyane, jusqu’à l’année dernière à la Réunion et à Mayotte, la lutte contre la vie chère, à commencer par celle contre le prix des carburants, fait l’objet d’une mobilisation afin de combattre une situation de détresse économique généralisée.

Les interlocuteurs ne sont pas les entreprises. Dois-je rappeler que, en outre-mer, 75 % des entreprises n’ont aucun salarié et que 90 % d’entre elles emploient moins de cinq salariés ?

Si les seules revendications considérées comme justifiant une mesure aussi symbolique que l’amnistie sont celles qui sont relatives au travail et au logement, alors les conflits en outre-mer ne paraissent plus dignes d’une mesure de justice qui se doit d’être la marque du changement attendu. Ces conflits concernent aussi bien le pouvoir d’achat, le transport, le foncier, la santé, la formation : ils ne peuvent pas ne pas s’inscrire dans le champ matériel de cette proposition de loi d’amnistie.

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